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Parmi les figures ayant marqué le milieu philosophique québécois depuis la Révolution tranquille, on compte sans conteste Josiane Boulad-Ayoub. Originaire d’Alexandrie, celle-ci arrive à Montréal en 1969 et occupe rapidement un poste d’enseignante de philosophie au Cégep du Vieux Montréal. Elle est inscrite à la même période au doctorat en philosophie à l’Université de Lyon sous la supervision de Geneviève Rodis-Lewis avec une thèse sur le statut des idées de Platon à Malebranche. Josiane Boulad-Ayoub est ensuite recrutée au département de philosophie de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) où elle poursuit l’essentiel de sa carrière. Elle y enseigne la philosophie moderne, la philosophie politique et les théories des idéologies pendant plus de trente ans. Titulaire de la Chaire UNESCO d’étude des fondements philosophiques de la justice et de la société démocratique, elle occupe aussi de nombreuses fonctions honorifiques, en particulier comme membre de la Société royale du Canada et comme officier de l’Ordre des Arts et des Lettres de la République française.
Josiane Boulad-Ayoub rend compte dans ce livre de son parcours intellectuel, depuis ses premiers contacts avec la philosophie au lycée jusqu’à ses fonctions universitaires. Ce trajet est tout au long alimenté par la fréquentation des grands auteurs de la tradition philosophique, de Platon, notamment le Parménide dont la lecture fut décisive, à Descartes, dont la conception de la liberté joua un rôle déterminant dans son développement de pensée, jusqu’aux pensées de Rousseau, Kant, Hegel et Marx à partir desquelles sa conception du politique s’est constituée. L’importance de ces classiques ne l’empêcha cependant pas de travailler sur des courants et des figures qui sont moins documentés aujourd’hui, dont d’Holbach, qu’elle édite, mais surtout les Idéologues à qui elle consacre une recherche pertinente et qui a conduit à la publication de la Décade philosophique.
Le lecteur y trouvera quelques éléments autobiographiques, lesquels concernent son immigration au Canada, ses premiers enseignements au Cégep dans un contexte social et politique de grande contestation et des considérations sur la communauté de recherche et d’enseignement universitaire qu’elle côtoya pendant toutes ces années. Mais l’essentiel est ailleurs et consiste à nous présenter ses principales contributions à la recherche. De manière tout à fait convaincante, Josiane Boulad-Ayoub parvient à rendre compte de ces publications en tant qu’elles font véritablement partie d’une même oeuvre marquée dès le départ par des idées maîtresses. Mentionnons son Contre nous de la tyrannie. Des relations idéologiques entre Lumières et Révolution, paru en 1989, qui s’articule autour du concept de koinon agonique pour dégager des lieux communs de l’époque des Lumières et de la Révolution française, où discours et pratique s’influencent mutuellement. Quelques années plus tard paraît l’ouvrage Mimes et parades. L’activité symbolique dans la vie sociale (1995) qui conceptualise plus généralement la théorie de l’idéologie qui était déjà mise en application dans son travail sur la philosophie du XVIIIe siècle. Au lieu d’insister sur la dichotomie épistémologique entre le vrai et le faux dans le traitement des idéologies, il s’agit ici pour elle de les traiter dans leurs significations symboliques et culturelles.
Parallèlement à ces monographies, Josiane Boulad-Ayoub amorce un travail d’édition de textes dont la richesse est remarquable. D’abord, une publication des principaux rapports et projets de décrets du Comité d’instruction publique sous la Révolution française qui permettent de saisir l’ampleur des objectifs pédagogiques de ce mouvement politique. Ensuite, l’imposante édition des procès-verbaux de ce même comité en dix-neuf volumes. Aussi, une anthologie de la Décade philosophique qui rend compte de l’influence, trop souvent négligée en histoire de la philosophie, des penseurs de l’Idéologie pendant la Révolution. À ces ouvrages s’ajoute la direction de nombreux volumes collectifs. Il est certainement pertinent d’insister sur l’un d’entre eux, soit La pensée philosophique d’expression française au Canada, codirigé avec Raymond Klibansky qui est, encore aujourd’hui, l’une des rares contributions sur l’état de la philosophie dans le Québec contemporain.
Ce parcours nous fait comprendre l’implication constante de Josiane Boulad-Ayoub auprès de la communauté universitaire et philosophique. La Chaire UNESCO a certes été un lieu privilégié d’échanges et de débats, dont plusieurs travaux sont publiés dans des collections qu’elle créa aux Presses de l’Université Laval, notamment les Cahiers Verbatim. La présentation de ce parcours est finalement consacrée à ses tâches d’enseignement. Ayant toujours eu à coeur d’adapter les outils pédagogiques aux avancées technologiques, elle fut certainement l’une des premières au Québec en philosophie à développer des cours en ligne et à oeuvrer dans le domaine des humanités numériques pour parfaire son enseignement. À une époque où plusieurs doutaient peut-être de ces nouvelles méthodes, Josiane Boulad-Ayoub fait manifestement office de pionnière.
Écrit dans un souci de synthèse, ce livre nous fait connaître encore une fois une figure marquante du paysage intellectuel québécois et canadien et intéressera celles et ceux qui veulent en savoir davantage sur l’histoire de la discipline philosophique.