Étude critique

Du rapport au temps contemporain : l’accélération de l’histoire et le présentisme, entre historicité et temporalitéNote critique sur L’accélération de l’histoire. Des Lumières à l’Anthropocène de Christophe Bouton[Notice]

  • Jonathan Martineau

…plus d’informations

  • Jonathan Martineau
    Liberal Arts College, Université Concordia

Le récent ouvrage de Christophe Bouton est un examen critique du concept « d’accélération de l’histoire », qui interroge les maintes fonctions qu’il a pu jouer au sein de diverses réflexions sur l’histoire et le temps social des Lumières à aujourd’hui. Je souhaite situer cette brillante contribution dans une littérature en sciences historiques qui se déploie autour du thème de l’historicité comme les travaux de François Hartog sur les « régimes d’historicité » et le « présentisme », ou ceux de Reinhart Koselleck sur le temps historique. Ce riche texte de Bouton est aussi une occasion inouïe de mettre en dialogue ces travaux sur l’historicité avec une littérature critique sur la temporalité sociale qui traite également de thèmes tels que « l’accélération » ou le « présentisme », mais qui demeure largement omise des travaux de Bouton et Hartog sur l’historicité. L’occasion est belle : Bouton pose déjà dans ce livre un geste interdisciplinaire, par exemple en intégrant à son analyse de l’accélération la contribution sociologique très influente d’Hartmut Rosa, ou encore la littérature multidisciplinaire foisonnante autour de la notion d’Anthropocène. Dans cette note critique, je souhaite poursuivre et approfondir ce geste d’ouverture et de mise en dialogue. Dans la première section, je résume l’ouvrage de Bouton en le rapprochant des travaux de Hartog et de Koselleck. Dans la seconde section, je présente la thèse principale de Bouton, selon laquelle l’historicité contemporaine se déploie comme une « polychronie » formée d’un quatuor de « régimes d’historicité » distincts. Dans la troisième section, je mobilise des contributions sur la temporalité sociale, notamment sur ses dimensions socio-économiques et technologiques, afin d’enrichir la réflexion qu’offre Bouton sur l’accélération et le présentisme. Dans la quatrième section, j’amorce une réflexion sur la mise en place d’une forme nouvelle de présentisme dans la foulée des technologies algorithmiques. La thèse de l’accélération de l’histoire est une catégorie de l’expérience historique qu’il s’agit, selon Bouton, de « déconstruire », afin d’en montrer toute la diversité conceptuelle, empirique et normative. L’ouvrage s’ouvre par conséquent sur une « courte histoire de l’accélération de l’histoire », où Bouton lit, entre autres, les contributions de Henry Adams, Daniel Halévy, Pierre Nora, Hartog, Rosa, et Paul Virilio. Aux fins de son analyse, Bouton mobilise une « théorie critique de l’histoire », une méthode à la fois analytique et normative qui « explicit[e] les normes qui sous-tendent les jugements de valeur imprégnant ces catégories [...] [et] les situ[e] historiquement » (p. 23). Le cadre théorique de Bouton s’inspire ici largement des travaux de Koselleck sur l’accélération de l’histoire, et son analyse s’étage en trois plans. Premièrement, sur le plan conceptuel, l’auteur interroge le concept d’accélération. Possède-t-il une réelle valeur heuristique, ou s’agit-il d’une métaphore, voire d’un slogan ? Deuxièmement, sur le plan empirique, Bouton demande si l’accélération est un « phénomène historique réel », ou bien, comme le suggère Clément Rosset, une « hallucination collective » (p. 19). Troisièmement, sur le plan normatif, Bouton s’interroge sur la « normativité immanente » de cette catégorie historique de l’accélération : correspond-elle à la libération des individus ou bien à une menace toujours plus redoutable ? Sur le plan conceptuel, Bouton dégage trois sens du concept d’accélération de l’histoire : politique, technologique, et eschatologique. L’accélération politique nous renvoie immanquablement à l’horizon révolutionnaire, à « l’événement déclencheur » de la modernité politique : la Révolution française. Robespierre incarne cette nouvelle temporalité politique lorsqu’il déclare aux députés de la Convention en 1793 qu’ils ont le devoir d’« accélérer » la révolution (p. 32). C’est ainsi qu’aux xviiie et xixe siècles, les révolutions, l’augmentation de la fréquence …

Parties annexes