Disputatio

Remarques sur la réponse de Leo Strauss au problème de l’historicisme[Notice]

  • Antoine Pageau-St-Hilaire

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  • Antoine Pageau-St-Hilaire
    University of Chicago

L’ouvrage de Sophie Marcotte Chénard aborde de front la complexe et importante question du statut de l’histoire pour et dans la philosophie politique. La confrontation qui y est articulée entre la pensée de Raymond Aron et celle de Leo Strauss est censée éclairer la position de chacun des philosophes sur cette question ainsi que permettre de penser ce problème à nouveau. Comme le titre de mes remarques l’indique, je m’attarderai surtout à la lecture que Marcotte Chénard propose du traitement du problème de l’historicisme chez Strauss. En premier lieu, je situerai la thèse de l’ouvrage sur cette question dans une sorte de typologie des herméneutiques qui prévalent dans les études sur la pensée de Strauss. J’examinerai ensuite ce qui ressort de la méthode comparative employée par l’auteure pour traiter la position straussienne sur l’historicisme. Je me tournerai finalement vers la thèse de Marcotte Chénard concernant la réponse de Strauss à l’historicisme et formulerai trois objections à cette interprétation. Comme l’auteure le souligne au début de son ouvrage, les interprétations de Strauss demeurent encore à ce jour — sauf quelques rares exceptions dont Devant l’histoire en crise fait partie — assez polarisées : il y a d’un côté diverses interprétations straussiennes de Strauss, et de l’autre, différentes interprétations anti-straussiennes du penseur. La question de l’historicisme ne fait pas exception. Que Strauss soit antihistoriciste est incontesté puisqu’incontestable. La question est plutôt de savoir si Strauss a raison d’adopter une position antihistoriciste et si celle-ci est convaincante. La majorité écrasante des interprétations straussiennes affirment que Strauss 1) critique à juste titre l’historicisme et 2) répond de façon satisfaisante à l’historicisme. Les interprétations anti-straussiennes affirment généralement que Strauss 1) rejette l’historicisme à tort et 2) ne répond à la thèse historiciste que de façon partielle ou insatisfaisante. Évidemment, cet état de choses n’épuise pas l’éventail des réponses philosophiques possibles à cette question. On peut tout à fait penser que Strauss a de bons motifs de critiquer l’historicisme sans toutefois parvenir à le réfuter. On doit noter dès à présent que la thèse de Marcotte Chénard ne se laisse pas aisément situer dans cette typologie initiale, et qu’il faut admettre la possibilité de réponses moins tranchées aux deux questions qui la structurent. D’abord, l’auteure concède que Strauss a de bonnes raisons de critiquer l’historicisme, mais elle semble penser du même coup qu’il y a du vrai dans la thèse historiciste. Il ne s’agit donc pas de présenter la critique de l’historicisme chez Strauss comme injustifiée, mais plutôt de critiquer chez elle, depuis la perspective d’Aron, un manque d’attention à la possible fécondité philosophique d’une certaine forme d’historicisme. Sur la deuxième question, à savoir celle de la validité de la critique que Strauss propose de l’historicisme, la position de l’auteure m’apparaît également ambiguë. Marcotte Chénard semble en effet osciller entre deux idées dans son ouvrage. D’une part, elle soutient que l’alternative de Strauss à la conscience historique est un retour à la philosophie platonicienne prise en son sens zététique (p. 306), et donc à un retour aux problèmes philosophiques fondamentaux plutôt qu’un retour à des solutions anciennes à ces problèmes, et donc un retour à la vie philosophique plutôt qu’à des thèses philosophiques. D’autre part, elle se fait très critique quant à la possibilité, mais surtout quant aux conséquences, d’un tel « retour aux Grecs » ou antimodernisme. Le fait que la posture de l’auteure ne se laisse pas aisément situer dans la typologie que j’ai brièvement esquissée m’apparaît une chose louable. Il s’agit, il me semble, d’un signe que son ouvrage s’inscrit bel et bien dans ce qu’elle appelle ci-haut le « mouvement de “déstraussianisation” …

Parties annexes