Comptes rendus

Elizabeth Frazer et Kimberly Hutchings, Violence and Political Theory, Cambridge : Polity Press, 2020, 190 pages[Notice]

  • Éléonore Paré

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  • Éléonore Paré
    Université d’Ottawa

Matérielle, psychologique, symbolique, épistémique, structurelle, physique : depuis quelques décennies maintenant, le lexique du concept de violence se diversifie, et celle-ci se trouve à définir davantage de pratiques. Les pensées critiques marxiste, féministe, décoloniale et antiraciste ont notamment levé le voile sur des structures économiques et sociales qui s’appuient sur des violences perpétrées à l’endroit de certains groupes (capitalisme, patriarcat, colonialisme). Et les penseurs structuralistes et poststructuralistes ont étudié les diverses formes de violence au sein du langage et du discours. La violence est aujourd’hui scrutée à travers un vaste éventail de disciplines scientifiques et bénéficie d’un lexique qui se complexifie d’année en année. C’est dans cette conjoncture que s’inscrit le plus récent livre d’Elizabeth Frazer et Kimberly Hutchings, Violence and Political Theory, et il arrive à point nommé. L’ouvrage propose à la fois une revue de la littérature et une thèse sur la pertinence d’une théorie politique de la violence à échelle humaine qui prend en considération toutes les dimensions énumérées plus haut. La compréhension qu’en proposent Frazer et Hutchings se résume, d’une part, à la suivante : la violence est toujours politique parce qu’elle est fondamentalement relationnelle. C’est pourquoi elle doit être étudiée à travers les intrications complexes et profondes entre les réalités sociales, économiques et culturelles, les imaginaires, les langages et les actions qui en tissent la toile de fond : D’autre part, Frazer et Hutchings adoptent la position normative notamment défendue dans leur précédent ouvrage Can political violence ever be justified ? pour définir d’emblée la violence comme intrinsèquement injustifiable, néanmoins explicable (p. 9). Ce livre constitue à la fois la mise en commun et l’aboutissement de précédents textes du duo qui explore depuis 2007 les réflexions de divers philosophes sur la violence. Toutes deux théoriciennes en politique internationale, les autrices mettent à profit une connaissance particulièrement pointue des théories féministes sur la violence, qui ont fait l’objet de plusieurs articles, et une habileté certaine pour l’analyse comparée. En tant que travail didactique, Violence and Political Theory est une contribution remarquable. Si le concept de la violence a fait l’objet de plusieurs essais importants dans les dernières décennies, ceux-ci se sont concentrés sur la pensée d’un·e auteur·e (p. ex. Machiavelli and The Orders of Violence) ou ont exploré les définitions de la violence en opposition à la non-violence, ce que Frazer et Hutchings écartent d’emblée comme projet. Pour ce qui est de la portée pédagogique, ce texte s’impose donc par rapport à des tentatives précédentes (p. ex. Reflexions on Violence) par son examen systématique et minutieux des multiples tensions au coeur des réflexions sur la violence politique, soit celles entourant la définition, la justification et la place accordée à la violence au sein de nos régimes politiques. Les chapitres sont organisés en fonction des différentes problématisations de la violence dans le domaine politique, de Machiavel (xve siècle) à Elaine Scarry (1985). Le chapitre 1 s’attarde à la relation entre la violence et la révolution ; le deuxième, à celle entre la violence et l’État ; les chapitres suivants se concentrent sur l’analyse de la violence au sein de courants de pensée plus ou moins uniformes, soit chez Walter Benjamin et Hannah Arendt dans le troisième, chez les structuralistes et poststructuralistes dans le quatrième, dans la pensée anarchiste dans le cinquième, et dans les philosophies décoloniale et féministe pour les deux suivants. Le dernier chapitre traite uniquement de la philosophie d’Elaine Scarry, que Frazer et Hutchings présentent comme la forme la plus proche d’une théorie « relationnelle » de la violence. Dans The Body in Pain, Scarry analyse la violence sous plusieurs …

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