Corps de l’article

Introduction

Le trouble dysphorique prémenstruel (TDPM), une forme sévère du syndrome prémenstruel (SPM), a été ajouté à la cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) en tant que diagnostic officiel et est désormais classé comme un trouble de l’humeur.[2] Les principaux critères diagnostiques du TDPM sont « une labilité de l’humeur, une irritabilité, une dysphorie et des symptômes d’anxiété qui surviennent de manière répétée pendant la phase prémenstruelle du cycle et qui disparaissent autour de l’apparition des règles ou peu après »[3] (ma traduction). Selon le DSM, le taux de prévalence de cette condition se situe entre 1,8 % et 5,8 % parmi la population des femmes qui ont des menstruations.[4] Avant la création du TDPM dans le DSM-5, la détresse psychologique prémenstruelle avait déjà été intégrée dans le manuel. Elle a d’abord été conceptualisée dans le DSM-III-R[5] sous le nom de trouble dysphorique de la phase lutéale tardive (Late Luteal Phase Dysphoric Disorder, LLPDD) et ajoutée à l’annexe A « Catégories diagnostiques qui requièrent davantage de recherche ». Dans le DSM-IV, le LLPDD a été renommé TDPM, mais est demeuré dans la section des conditions qui demandent une étude plus approfondie avant de devenir un trouble mental officiel. Avec la publication du DSM-5, le TDPM a reçu son statut de diagnostic à part entière.[6] Le TDPM est désormais conçu comme un trouble mental officiel, au même titre que la dépression majeure ou la schizophrénie.

Cependant, la création du TDPM (et avant l’existence du LLPDD) a été contestée sous de multiples angles. Les principales critiques mettent en avant les lacunes quant aux éléments de preuve en faveur de la validité du TDPM, ainsi que le risque de pathologisation et de stigmatisation des changements physiques et comportementaux vécus par les femmes pendant leur phase prémenstruelle.[7] Malgré ces controverses, le DSM-5 a tout de même inclus le diagnostic dans sa liste officielle. Face à l’abondance des critiques ayant visé le TDPM, il convient de se demander si cette récente inclusion est légitime.

Pour éclairer cette controverse, je souhaite emprunter certains outils du cadre conceptuel des injustices épistémiques (IE) développé par Miranda Fricker.[8] Plus précisément, je vais me baser sur de récents travaux qui ont tenté d’appliquer ce cadre aux processus de catégorisation en médecine et en psychiatrie.[9] Cela me permettra de mettre au jour un angle mort du débat actuel sur le TDPM, soit les perspectives des personnes touchées par ces symptômes. Ces points de vue ont été généralement négligés, mais le cadre des IE nous permet de recentrer le débat sur les intérêts et les besoins des personnes affectées par les processus de catégorisation psychiatrique.

L’article est divisé en trois sections. Dans la première partie, j’expose plus en détail les critiques qui ont visé l’inclusion du TDPM au sein du DSM et les motivations du comité responsable de la révision du diagnostic dans le DSM-5. Dans la section 2, je présente le cadre des IE et ses applications à la catégorisation médicale et montre ensuite les implications de ce cadre dans le débat entourant l’inclusion du TDPM dans le DSM-5. Pour finir, j’illustre la pertinence du cadre des IE pour penser des améliorations possibles pour le TDPM comme diagnostic psychiatrique officiel.[10]

1. Les controverses entourant le TDPM

1.1 L’enjeu de la validité du TDPM

Comme mentionné plus tôt, la médicalisation de la détresse prémenstruelle physique et psychologique fait polémique depuis la création du LLPDD dans le DSM-III-R. Plusieurs angles critiques coexistent dans la littérature sur le sujet, et les critiques qui visent le TDPM et le SPM se chevauchent parfois. Parce que le point focal de cet article est l’inclusion officielle du TDPM dans le DSM-5, je vais me concentrer sur les critiques qui visent spécifiquement ce diagnostic et la description clinique du TDPM telle qu’elle apparaît dans le DSM-5.[11] Bien que la réalité et l’importance de la détresse associée au cycle menstruel ne soient pas remises en question, deux principaux enjeux peuvent être déterminés dans ces débats : la médicalisation illégitime de certains phénomènes normaux du corps des femmes et la validité empirique du TDPM en tant que diagnostic psychiatrique.[12] Dans cette section, je me penche sur l’enjeu de la validité. Dans la prochaine section, je présenterai la critique de la pathologisation illégitime de l’expérience prémenstruelle.

L’un des principaux problèmes liés à la validité du TDPM est sa comorbidité avec d’autres troubles de l’humeur. Bien que la description clinique du TDPM stipule que cette catégorie ne doive pas être confondue ou se présenter conjointement avec d’autres troubles mentaux, il semble que plusieurs femmes présentant des symptômes du TDPM puissent également avoir un diagnostic d’autres troubles de l’humeur comme la dépression majeure ou la bipolarité. Cela soulève la question de l’existence d’une population de TDPM « pure », c’est-à-dire dont les symptômes ne seraient pas liés à d’autres troubles de l’humeur.[13] Un autre élément lié à la validité du TDPM est le flou entourant les mécanismes causaux qui participent à l’émergence des symptômes. L’état des connaissances sur les causes sous-jacentes du trouble étant encore incertain, y compris l’étiologie hormonale liée au cycle menstruel qui lui est attribuée, certaines critiques ont suggéré qu’il s’agirait davantage d’un diagnostic socialement construit, plutôt que d’un réel trouble mental.[14] Étant donné que le TDPM est souvent accompagné d’autres troubles et que son étiologie est incertaine, plusieurs voix se sont élevées à l’encontre de son inclusion comme un trouble mental officiel dans le DSM-5.

1.2 La pathologisation illégitime du cycle menstruel

De nombreuses auteures ont également critiqué la pathologisation illégitime du cycle menstruel qu’entraîne la médicalisation du TDPM. Une préoccupation constante est la conceptualisation du TDPM comme un trouble mental, alors que les symptômes seraient plutôt causés par l’environnement social dans lequel l’individu se trouve. Cette préoccupation se base sur le fait que les symptômes du TDPM s’expriment généralement de manière relationnelle, la plupart du temps chez des femmes qui portent sur leurs épaules des responsabilités familiales et professionnelles importantes, et qui inhibent leurs récriminations envers leur partenaire, leur entourage ou leurs collègues en dehors de la phase prémenstruelle.[15] Par ailleurs, le fait que le TDPM soit hautement corrélé avec un historique d’abus ou de traumatismes renforce cette hypothèse. D’autres critiques ont avancé que la détresse psychologique liée au TDPM pouvait s’expliquer par les représentations sociales stéréotypées de la féminité et de la maternité, où la femme est présentée comme patiente, douce, gentille et versée dans le souci de l’autre. C’est l’écart vis-à-vis de cette représentation qui serait en cause dans la détresse psychologique, mais aussi qui expliquerait la pathologisation de cette divergence par rapport à la « norme ». Il deviendrait difficile pour les femmes d’éprouver des affects négatifs durant la période prémenstruelle sans lire cette expérience à travers le prisme de la pathologie.[16] La stigmatisation des femmes diagnostiquées et ses effets sur la perception de ces femmes comme capables d’être mères ou d’être aptes au travail ont également été pointés du doigt comme des risques importants, éventuellement préjudiciables pour l’égalité entre les hommes et les femmes.[17] Ainsi, selon ces différentes perspectives critiques, l’inclusion officielle du TDPM dans le DSM-5 transformerait une détresse essentiellement sociale en une pathologie biologique et individuelle. Cette pathologisation pourrait entraîner des conséquences préjudiciables pour les femmes en renforçant la stigmatisation sociale des changements hormonaux.

Une autre ligne d’attaque a mis au jour l’influence de l’industrie pharmaceutique sur la création du trouble. Une grande part de la recherche sur le traitement du TDPM est financée par l’industrie.[18] Soixante-sept pour cent des membres du groupe de travail (Work Group) sur les troubles de l’humeur, en charge de la révision du TDPM, entretenaient des relations avec l’industrie, par l’intermédiaire de subventions ou de parts d’investissement, de participation payée à des conférences ou à des formations ou en siégeant à des conseils d’administration.[19] Il a été démontré que les liens avec l’industrie favorisent l’émergence d’habitudes de pensée « pro-industrie ».[20] Dans le cas du TDPM, l’existence de potentiels traitements pharmaceutiques a justement été perçue comme un argument en faveur de sa conceptualisation comme un trouble mental dans le DSM.[21] L’importance du diagnostic pour l’extension du brevet de Prozac (aujourd’hui appelé Sarafem), un médicament utilisé pour traiter le TDPM, a conduit certains à défendre le point de vue selon lequel il ne s’agissait pas d’un vrai diagnostic, mais uniquement d’une construction dont le but est la rentabilité de l’industrie pharmaceutique.[22] En somme, l’impact de l’industrie pharmaceutique sur la médicalisation du TDPM a conduit plusieurs auteur.e.s à se méfier de cette intégration récente.

1.3 En faveur du TDPM : le processus de révision du DSM-5

Comme nous l’avons vu dans les sections précédentes, une panoplie de critiques ont été dirigées à l’endroit du TDPM au cours des dernières années. Face à cette levée de boucliers, il convient de se demander pourquoi le DSM-5 a finalement inclus le TDPM dans la liste des diagnostics officiels et si cette inclusion était légitime. Dans cette section, je me penche sur le processus de révision du TDPM. Au cours de ce processus, le groupe de travail sur les troubles de l’humeur, responsable du TDPM, a mandaté un panel d’expert.e.s spécialisés dans la santé mentale des femmes pour formuler des recommandations sur le TDPM. Le panel était chargé « 1) d’évaluer les critères diagnostics précédents [dans le DSM-IV-R] du trouble dysphorique prémenstruel, 2) de déterminer s’il existe suffisamment de preuves empiriques pour soutenir son inclusion en tant que catégorie diagnostique, et 3) de commenter les critères diagnostiques précédents pour déterminer s’ils sont cohérents avec les données supplémentaires, rendues accessibles »[23] (ma traduction). Les huit membres du panel étaient tous représentatifs d’un pays différent, et six d’entre eux étaient des experts du TDPM ou des troubles reproductifs de l’humeur. Presque tous les membres du panel avaient des liens avec une ou plusieurs industries pharmaceutiques. La stratégie générale du DSM-5 pour faire face à la menace de l’influence indue de l’industrie pharmaceutique était d’exiger la transparence des conflits d’intérêts des membres faisant partie des groupes de travail responsables du processus de révision. Les conflits d’intérêts sont donc révélés à la fin du rapport.

Epperson et ses collègues, membres du panel, ont publié un rapport dans lequel ielles exposent les raisonnements ayant finalement motivé l’inclusion officielle du TDPM. On peut y lire que le panel a effectué une revue de littérature exhaustive sur les différents enjeux liés à l’inclusion du TDPM. Sur la base de cet examen et de la discussion qui a suivi, le panel a recommandé en définitive que le TDPM soit déplacé dans la section officielle des troubles de l’humeur du DSM. Cette décision s’appuie sur un guide (Guidelines for Making Changes to DSM-V) produit par Kendler et collaborateur[24] et utilisé par les divers groupes de travail se penchant sur des révisions spécifiques.[25] Ce document est un aperçu des lignes directrices qualitatives visant à conseiller les groupes de travail dans l’évaluation du soutien empirique pour les modifications proposées aux catégories diagnostiques. Il prescrit trois types d’éléments valideurs : antécédents (par exemple, l’agrégation familiale telle que des études familiales ou de jumeaux), concomitants (par exemple, les marqueurs biologiques et les schémas de comorbidité) et prédictifs (par exemple, la stabilité du diagnostic, l’évolution de la maladie et la réponse au traitement).

Selon le panel, le TDPM répond à toutes les exigences de ces éléments valideurs. De façon très sommaire, il apparaît tout d’abord que le TDPM est au moins partiellement héréditaire. Deuxièmement, bien qu’il ne soit pas associé à un biomarqueur clair, le trouble dysphorique prémenstruel semble se distinguer d’autres diagnostics tels que la dépression majeure (DM) ou le trouble bipolaire (TB) en ce que les symptômes sont liés à la fin de la phase lutéale dans le cycle menstruel.[26] Qui plus est, les symptômes significatifs du TDPM sont la labilité émotionnelle et l’irritabilité, ainsi que des symptômes physiques comme la sensibilité des seins et les ballonnements, ce qui n’est pas le cas pour d’autres troubles de l’humeur.[27] Par ailleurs, les symptômes du TDPM sont associés à des fluctuations hormonales spécifiques.[28] Troisièmement, les symptômes du TDPM sont généralement stables en ce sens qu’ils sont récurrents à chaque cycle menstruel.[29] De plus, une réponse positive des patientes à des traitements utilisant des ISRS (des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine utilisés aussi dans le traitement de la dépression), des contraceptifs contenant un progestatif, la drospirénone, ou une suppression ovarienne avec un agoniste de la GnRH, a été considérée comme un facteur de validation prédictif par le panel.[30] On peut lire également dans le rapport du panel : « La Food and Drug Administration et les autorités équivalentes d’autres pays ont approuvé plusieurs agents pharmacologiques pour le traitement du trouble dysphorique prémenstruel, ce qui en fait en réalité un diagnostic, abstraction faite de sa position dans le DSM ».[31] Ainsi, les principaux arguments avancés en faveur de l’inclusion du TDPM dans le DSM-5 visent à dissiper les doutes qu’entretiennent les critiques quant aux données probantes justifiant la validité de cette catégorie pour le panel. Le panel défend que le TDPM devrait être inclus dans le DSM-5, car il est valide, en ce qu’il répond aux standards de validité empirique exigés pour la modification ou la création d’un diagnostic (caractère distinct, valideurs antécédents, concurrents et prédictifs).

Néanmoins, il convient de mentionner que le panel d’expert.e.s a également discuté des inquiétudes évoquées plus haut concernant la pathologisation et la stigmatisation du cycle reproductif des femmes, mais les a écartées en faisant valoir que l’inclusion du diagnostic « TDPM » amenait (selon le panel) plus d’avantages que d’inconvénients.[32] Un argument avancé était les altérations (impairments) dans le fonctionnement des femmes présentant des symptômes du TDPM.[33] Des études suggèrent que la qualité de vie des femmes vivant avec une forme sévère de TDPM est comparable à celle des femmes qui ont une dépression majeure.[34] Epperson et ses collègues ont soutenu que la création du diagnostic permettrait une meilleure prise en charge thérapeutique des personnes vivant avec une détresse sévère associée au TDPM. Ainsi, l’ajout du diagnostic au manuel a été justifiée principalement par des arguments concernant la validité empirique du trouble et l’accès aux soins cliniques pour les femmes.

À la lumière de cette controverse et de la décision finale des réviseur.e.s du DSM-5, il convient de se poser la question suivante : l’inclusion du TDPM dans la liste officielle des troubles mentaux du DSM-5 était-elle justifiée ? Si on analyse les différents enjeux du débat, on peut trouver au moins trois éléments qui posent problème : 1) la validité du trouble ; 2) le risque de pathologisation illégitime du trouble et 3) l’influence de l’industrie pharmaceutique. Le panel s’est positionné en faveur de la validité du TDPM et a écarté les risques de sa pathologisation en les comparant aux avantages attendus en matière de prise en charge thérapeutique. Cependant, il apparaît juste de dire qu’il a laissé de côté les critiques qui ont visé le pouvoir des compagnies pharmaceutiques sur la conceptualisation du TDPM dans son analyse. En effet, l’existence de traitements pharmaceutiques possibles pour soulager les symptômes du TDPM est utilisée sans remise en question dans l’argumentaire du panel, alors que de vives critiques existent dans les écrits sur le sujet. Cela me semble une première limite des justifications rapportées.

Cela dit, mon but ici n’est pas de pousser l’examen de l’impact de l’industrie pharmaceutique sur l’ajout du TDPM, mais d’éclairer un enjeu qui a été jusqu’à maintenant évacué du débat, tant par les défenseurs du TDPM que par ses critiques : les perspectives des personnes vivant avec le TDPM. Dans les prochaines sections, je souhaite donc proposer une piste d’analyse de cette controverse ancrée dans le cadre conceptuel des injustices épistémiques. Il permettra de justifier l’intégration de la perspective des personnes affectées par le TDPM dans les discussions futures concernant sa place dans le DSM.

2.Injustices épistémiques et TDPM

2.1 Présentation du cadre des injustices épistémiques

Dans ce qui suit, j’expose brièvement le cadre des injustices épistémiques (IE). Je présente ensuite des travaux récents qui ont appliqué ces ressources conceptuelles à la médicalisation et je montre comment elles pourraient également être appliquées au TDPM. Je défendrai le point de vue selon lequel l’inclusion du TDPM dans le DSM-5 a créé des IE et que, pour remédier à cette situation, les perspectives des patient.e.s doivent être mieux intégrées aux processus de révision futurs.

Les IE sont des torts liés à la production et à la transmission des connaissances. Deux types d’IE sont généralement relevés : l’injustice testimoniale et l’injustice herméneutique. L’injustice testimoniale se produit lorsqu’un.e auditeur.trice dévalorise la crédibilité de l’orateur.trice en raison d’un préjugé identitaire négatif. En d’autres termes, le/la locuteur.trice n’est pas pris au sérieux par la personne qui l’écoute, non pas en raison de son manque de connaissances ou d’une erreur de sa part, mais en raison de stéréotypes négatifs liés à son appartenance à un groupe socialement subordonné (comme dans les cas du racisme, du sexisme, du classisme, etc. — notons que les identités sociales peuvent donner lieu à des croisements).[35] Dans le cas de l’injustice testimoniale, un.e agent.e épistémique est miné quant à sa capacité à partager une connaissance. L’injustice testimoniale préemptive est une forme particulière d’injustice testimoniale qui se produit lorsque des agent.e.s épistémiques ne sont pas sollicités dans le processus de production de connaissances, ce qui les empêche d’exprimer leur témoignage, alors que celui-ci pourrait être pertinent. Leur témoignage est donc discrédité à l’avance en raison d’une dévalorisation de la crédibilité des membres d’un groupe marginalisé par le groupe au pouvoir. Il s’agit d’une injustice testimoniale si leur point de vue était pertinent pour le processus de production de connaissances, mais qu’en raison d’un préjugé quant à l’identité sociale d’un individu, ce dernier n’est même pas entendu.[36]

L’injustice herméneutique, elle, se produit lorsqu’il y a des lacunes dans les ressources interprétatives d’un groupe et que ces lacunes placent les membres de ce groupe dans une situation d’infériorité ou de désavantage face au groupe dominant.[37] Dans ce cas, les agent.e.s épistémiques sont lésés dans leur capacité à comprendre ou à participer à la compréhension collective du monde social. Ce type d’injustice touche les individus appartenant à des groupes sociaux marginalisés qui sont désavantagés quant à l’accessibilité des moyens de créer des ressources interprétatives (par exemple, des concepts, des schémas sociaux, etc.) qui rendraient intelligibles des aspects particuliers de leur propre expérience et de celle des autres. Les injustices testimoniales et herméneutiques sont des injustices en raison de leur nature discriminatoire et des conséquences néfastes qu’elles entraînent pour les individus lésés (par exemple, perte de confiance en tant qu’agent.e épistémique, sentiment d’isolement ou de confusion, etc.).

2.2 Les injustices testimoniales préemptives et le TDPM

Dans cette section, je soutiens que la conceptualisation du TDPM en tant que diagnostic clinique officiel est un cas d’injustice testimoniale préemptive. Pour faire valoir cette thèse, je m’appuierai ici sur le travail de Bueter[38] concernant le processus de révision du DSM-5. Bueter soutient que, dans ce contexte, les perspectives des patient.e.s sont peu prises en compte lorsque des choix sont faits concernant les conventions de nomenclature, le choix ou non d’une condition en tant que trouble mental, la détermination des seuils diagnostiques pour des catégories particulières et le choix des critères diagnostiques. Pourtant, selon Bueter, il existe de bonnes raisons de penser que l’apport des patient.e.s serait pertinent, comme des connaissances liées à l’expérience à la première personne que les patient.e.s peuvent fournir sur les effets et la pertinence d’une classification diagnostique particulière (à la section 3.2, je donne des exemples d’expériences phénoménologiques à la première personne qui font comprendre pourquoi il est pertinent de tenir compte de ces expériences lorsqu’on construit une classification psychiatrique). Étant donné que ces connaissances ne sont pas recherchées, les patient.e.s seraient donc lésés en tant qu’agent.e.s épistémiques pertinents.[39] Cette exclusion, parce que visant des agent.e.s épistémiques pertinents, mais socialement subordonnés, serait donc responsable de la création d’injustices testimoniales préemptives.

Lorsqu’on applique l’analyse de Bueter au cas particulier du TDPM, la même conclusion s’impose. Comme on peut le constater à la lecture du rapport du panel responsable de la révision du TDPM, aucune structure de consultation ou de discussion n’a été mise en place pour recevoir et intégrer les témoignages des personnes vivant avec le TDPM. Cela ne veut pas dire que les témoignages ont été totalement ignorés par le panel. La qualité de vie et les difficultés de fonctionnement des femmes vivant avec les symptômes du TDPM ont été des arguments clés en faveur de son ajout lors du processus de prise de décision. Le véritable problème, ici, est plutôt que, comme le rapport l’indique explicitement, l’évaluation des avantages et des inconvénients potentiellement liés à la création du TDPM a été laissée à la seule responsabilité des membres du panel (et du Groupe de travail responsable des troubles de l’humeur). Ainsi, l’inclusion du TDPM a créé une injustice testimoniale préemptive, dans la mesure où les personnes vivant avec le TDPM n’ont pas été retenues dans le processus d’évaluation des coûts et des avantages de son ajout, alors que cela aurait été pertinent.

2.3 L’injustice herméneutique et le TDPM

En plus de la création d’injustices testimoniales préemptives, le processus de médicalisation du TDPM a également causé une injustice herméneutique. Je m’appuierai ici sur la thèse de Wardrope,[40] qui propose de réinterpréter les critiques de la médicalisation comme des critiques de la présence d’injustices herméneutiques. Son travail cible le processus de médicalisation en général, mais beaucoup de ses exemples visent la création de troubles psychiatriques en particulier. Selon Wardrope, lorsque les auteur.e.s critiquent la médicalisation, leur critique doit être lue comme pointant vers la création d’injustices herméneutiques. Cette thèse s’appuie sur le fait que, selon Wardrope, les critiques de la médicalisation soutiennent que certains « aspects des phénomènes médicalisés […] sont déformés ou absents lorsqu’ils sont vus à travers le prisme médical [et] sont ainsi rendus inexprimables »[41]. Wardrope affirme que la médicalisation peut entraîner des injustices herméneutiques, lorsque les expériences des patient.e.s ne sont rendues que par le discours de la médecine. En raison de la puissance des concepts médicaux et de l’autorité que l’on accorde à la médecine de manière générale, ces concepts peuvent venir réduire la compréhension que les patient.e.s ont de leur expérience des troubles (mentaux).[42] En cela, ielles pourraient ne pas être en mesure de comprendre adéquatement leur expérience, étant donné l’étroitesse des concepts biomédicaux (par rapport à l’étendue et à la complexité de l’expérience vécue de ces conditions psychiatriques, des causes sociales de ces conditions, etc.).

Selon Wardrope, cette affirmation peut être renforcée par l’idée que les patient.e.s appartiennent à un groupe social marginalisé du point de vue herméneutique. Il en est ainsi en raison du privilège épistémique de la médecine sur les « problèmes de la vie ».[43] Habituellement, les ressources herméneutiques pour comprendre les phénomènes associés aux troubles (mentaux) sont forgées par le langage de la médecine. La compréhension collective que nous avons des troubles mentaux, parce qu’elle est développée principalement par le discours et les institutions officielles de la psychiatrie, masque ou obscurcit d’autres dimensions qui peuvent être associées à l’expérience de la maladie mentale. Par exemple, les expériences des patient.e.s peuvent être comprises uniquement en termes biomédicaux en raison de la domination des ressources herméneutiques créées par la psychiatrie neuro-orientée, par contraste avec d’autres modèles conceptuels qui ont été marginalisés, comme les approches phénoménologiques.[44]

Malgré ces possibles préjudices épistémiques liés à certains cas de médicalisation, Wardrope adopte une position nuancée à l’égard de ce processus. Il affirme que la médicalisation peut également fournir des ressources herméneutiques aux patient.e.s pour rapporter leurs expériences. Lorsqu’on examine les expériences personnelles de la médicalisation en fonction des individus et des diagnostics, les témoignages comprennent une grande variété de réponses au processus, allant d’attitudes positives à négatives (plus de détails à ce sujet dans la section 3). Les critiques unilatérales de la médicalisation, qui ne reconnaîtraient pas les attitudes positives des patient.e.s face à ce processus, seraient fautives en ce qu’elles ne reconnaissent pas le caractère éventuellement positif de la médicalisation en matière de création de ressources herméneutiques.

Si on applique l’analyse de Wardrope à l’inclusion du TDPM dans le DSM-5, on peut dire que seule l’autorité des professionnel.le.s de la santé mentale a forgé le diagnostic. En examinant la manière dont le TDPM a été conceptualisé pendant le processus de révision du DSM-5 (et en concevant le TDPM comme une ressource herméneutique), on constate une inégalité d’accès à la création de ressources interprétatives liées au phénomène du TDPM. En effet, les personnes vivant avec ce trouble ont été exclues des processus et des structures de prise de décision. Il s’agit donc d’un cas d’injustice herméneutique, étant donné que les patient.e.s n’ont pu participer à la création d’une ressource herméneutique commune qui contribuerait à l’interprétation de leurs expériences.

Il est intéressant de noter ici que les injustices préemptives et herméneutiques interagissent : c’est parce que des individus ont été exclus du processus de médicalisation du TDPM (injustice préemptive) qu’une injustice herméneutique a été créée. Puisque les individus n’ont pas été consultés, il est possible que leur expérience soit obscurcie par un langage et des concepts biomédicaux étroits qui décrivent de manière incomplète la complexité du trouble qui les affecte. Mais l’exclusion des personnes vivant avec ces symptômes est en elle-même une injustice testimoniale préemptive, puisque leurs perspectives auraient été pertinentes, mais n’ont pas été prises en considération. Le cadre des IE permet donc de cibler un problème de taille dans le processus de révision du DSM quant à la catégorisation du TDPM, soit l’absence de consultation des personnes vivant avec les symptômes du TDPM.

3. Recommandations pour les débats futurs sur le TDPM

3.1 TDPM et justice épistémique

À la suite de l’analyse présentée dans la section précédente, il est juste de dire que le processus de révision du DSM-5 a créé au moins deux types d’IE liées à l’ajout du TDPM : l’injustice testimoniale préemptive et l’injustice herméneutique. Toutefois, il convient de souligner ici que l’inclusion du TDPM a créé des torts pour des raisons différentes de celles traditionnellement invoquées par les critiques du diagnostic présentées à la section 1. Rappelons que ces critiques ciblaient le risque de pathologisation indue et de stigmatisation des expériences et des comportements prémenstruels des femmes et l’absence de preuves quant à la validité du TDPM. Importer le cadre des IE dans ce débat permet de mettre en lumière l’exclusion des personnes vivant avec le TDPM du processus décisionnel, un élément absent des débats jusqu’à maintenant. Dans les deux cas d’injustices préemptive et herméneutique, les torts éthiques ont été créés parce que le processus décisionnel n’était pas assez inclusif. Cela nous permet de réfléchir à la manière d’atteindre une plus grande justice épistémique (JE) dans le cas du TDPM, mais aussi d’attirer l’attention sur un angle mort des précédents débats ayant visé l’ajout du diagnostic dans le DSM.

Dans le cadre de l’IE, si les personnes présentant les symptômes du TDPM avaient été intégrées au processus et que leurs voix avaient été réellement entendues au sujet de leur expérience vécue, ce nouveau diagnostic aurait pu être considéré comme un cas de JE. La JE prescrit de faire de la place pour la consultation et la discussion critique impliquant les personnes atteintes de TDPM. Ainsi, utiliser le cadre des IE permet d’attirer l’attention sur les structures de prise de décision, qui sont généralement laissées de côté dans les débats sur le TDPM. Or cela ne veut pas dire que les critiques traditionnelles du TDPM ne sont pas pertinentes. Les risques de pathologisation illégitime et de stigmatisation des comportements liés au cycle menstruel me semblent des critiques recevables. Cependant, d’une part, ces critiques ont été développées principalement par des chercheures en sciences humaines et en psychologie, et l’évaluation de ces critiques n’a été laissée qu’aux professionnel.e.s de la santé mentale. Le cadre des IE souligne par contraste la pertinence d’examiner les structures de prise de décision qui mènent à la création de diagnostics particuliers (ici le TDPM) et le besoin de créer des structures permettant l’intégration des individus vivant avec des symptômes de maladies mentales dans les processus décisionnels. Ils pourront alors participer à l’évaluation des conséquences potentielles, positives et négatives, de la création du diagnostic.

3.2 Les perspectives des personnes vivant avec le TDPM

Étant donné que la consultation des personnes touchées par le trouble dysphorique prémenstruel n’a pas eu lieu, il est difficile de savoir avec précision quel aurait été le résultat d’un processus de décision inclusif fondé sur le cadre des IE. Cependant, des enquêtes récentes sur le TDPM ont mis en avant les récits de femmes présentant des symptômes spécifiques du TDPM (contrairement aux examens incluant à la fois le TDPM et le SPM), et se sont intéressées à l’impact de ce diagnostic sur leur expérience.[45] Ces études sont peut-être ce qui se rapproche le plus de ce que l’on pourrait obtenir par consultation. Je vais donc utiliser ces résultats pour réfléchir à la JE et à l’inclusion du TDPM dans le DSM-5.

Ces récentes études révèlent une attitude généralement positive des femmes vivant avec le trouble dysphorique prémenstruel à l’égard de la création du diagnostic. Le fait d’avoir reçu un diagnostic de TDPM (au lieu d’un autre diagnostic ou d’une absence totale de diagnostic) a été ressenti comme un soulagement par la plupart des femmes, qui ont eu le sentiment que leur expérience était enfin décrite et reconnue :

J’ai aussi l’impression que maintenant je sais pourquoi, que je sais pourquoi je me sens si anxieuse parfois et pourquoi je me sens si triste. Je sais que ce n’est pas ma faute, ce qui est probablement la chose la plus importante, je sais que ce n’est pas ma faute maintenant, je ne suis pas juste une mauvaise personne (participante 3).[46]

Dans l’une des études, les femmes diagnostiquées avec un TDPM ont rapporté des sentiments de reconnaissance, de changement de vie et d’identité, et l’impression d’être vraiment entendues. Leur attitude négative était plutôt dirigée vers leurs « années perdues » (lost years), lorsqu’elles n’étaient pas reconnues comme souffrant de TDPM.

Comme le suggèrent Osborn et ses collègues, l’attitude positive manifestée par les femmes diagnostiquées pourrait s’expliquer en grande partie par la détresse psychologique sévère associée au TDPM. Les participantes racontent à ce propos les effets extrêmement préjudiciables des symptômes du TDPM :

Tout d’un coup, tout est devenu noir, mon humeur émotionnelle a changé radicalement et je ne pouvais plus voir aucune chose extérieure, comme si des choses s’étaient produites qui m’avaient bouleversée ou rendue sombre, alors en tant que très jeune femme, je me demandais pourquoi je ressentais cette obscurité. J’avais l’impression qu’il n’y avait aucun intérêt à vivre.

Je ne pouvais pas contrôler ce que je ressentais, je pleurais pour un rien et je ne suis pas particulièrement du genre à pleurer. Il en faut beaucoup pour me mettre en colère, je ne pouvais tout simplement plus fonctionner. Je ne pouvais pas, je ne voulais pas sortir du lit le matin, je ne pouvais pas dormir la nuit, euh… je faisais des choses stupides comme arracher du papier peint parce que je ne pouvais pas faire face à l’anxiété, à la sensation d’anxiété.[47]

Ces témoignages illustrent la difficulté pour plusieurs femmes à vivre avec les symptômes du TDPM qui n’étaient pas pris en charge avant la création officielle du diagnostic. Bien sûr, d’autres recherches doivent être menées avant de pouvoir conclure (ou infirmer) que l’inclusion du TDPM est unanimement ou majoritairement accueillie de manière favorable par les personnes vivant avec les symptômes associés.[48] Mais ces résultats suggèrent au moins provisoirement que si les individus souffrant de TDPM avaient été intégrés dans les discussions liées à l’ajout du TDPM dans le DSM-5, ils auraient pu en faire la demande. D’un certain point de vue, cela signifie que les demandes des patientes sont compatibles avec la décision du groupe de travail responsable du PMDD d’élever ce diagnostic au rang des troubles mentaux officiels. Il semble donc que l’ajout du TDPM dans les diagnostics officiels du DSM ait contribué à la création de ressources herméneutiques.

Cependant, il convient de souligner que, dans le cadre de l’IE et selon un idéal de JE, la compatibilité de l’ajout du TDPM avec ces témoignages ne résume pas tout. Dans un premier temps, les personnes vivant avec le TDPM n’ont pas été correctement consultées. Bien que les patientes semblent favorables à la création du TDPM dans le DSM-5, les récits ont été recueillis après l’ajout du diagnostic. Pendant le processus de révision du DSM, ces résultats n’étaient pas connus. En l’absence de consultation durant le processus, il est tout à fait possible d’imaginer des scénarios différents avec une réception plus négative de ce diagnostic : il n’y avait aucun moyen lors du processus de révision du DSM de s’assurer que le diagnostic serait accueilli de manière favorable (d’autant plus que des critiques véhémentes avaient été formulées par rapport à ce diagnostic depuis plusieurs années). Pour remédier à cette situation, des structures officielles de consultation et d’inclusion pendant le processus de révision auraient permis de confirmer que le diagnostic répond véritablement aux besoins et aux intérêts des personnes vivant avec les symptômes du TDPM. Cela aurait contribué à un accès plus égalitaire à la création de ressources herméneutiques, réduisant ainsi les injustices herméneutique et testimoniale préemptive.

Par ailleurs, un aspect potentiellement négligé dans ces études sur la réception du diagnostic est la possibilité que, bien que les personnes vivant avec les symptômes du TDPM aient besoin de reconnaissance et de soins, elles pourraient ne pas vouloir que leur état soit considéré comme une pathologie. En d’autres termes, elles pourraient souhaiter une médicalisation du TDPM sans sa pathologisation.[49] Dans une autre optique, une étude portant plus généralement sur le SPM révèle que plusieurs femmes font état d’une hypersensibilité aux changements environnementaux et d’un « profond sentiment de vulnérabilité, d’un désir de se protéger des agressions de la vie quotidienne, et des exigences des autres ; de vouloir se replier sur soi ».[50] Les récits de ce genre pourraient concourir à façonner la description clinique du TDPM afin de s’assurer que les personnes vivant avec les symptômes associés se reconnaissent dans le diagnostic. Le diagnostic pourrait ainsi devenir un meilleur outil herméneutique, susceptible d’éclairer réellement l’expérience des personnes vivant avec ces symptômes. En outre, s’il semble clair que la plupart des femmes souhaitent que leurs symptômes soient soulagés, les traitements disponibles tendent à se concentrer sur la médication et, lorsqu’ils sont inefficaces, sur l’hystérectomie totale combinée à une ovariectomie bilatérale (entraînant la stérilité). Les femmes pourraient également souhaiter être reconnues et prises en charge sans devoir recourir à des médicaments ou à des procédures invasives (surtout si les traitements pharmaceutiques sont inefficaces pour certaines d’entre elles et que l’infertilité induite par l’hystérectomie totale est non désirée pour plusieurs d’entre elles).[51] Les traitements développés pourraient être plus diversifiés et comprendre des interventions psychologiques.[52]

Toutes ces possibilités sont encore majoritairement inexplorées à ce jour. Le fait qu’elles restent un angle mort des discussions sur le TDPM souligne les injustices épistémiques en jeu dans la médicalisation du TDPM et la nécessité d’une approche plus inclusive de la prise de décision dans le processus de révision du DSM. Sans nécessairement remettre en question l’ajout officiel du TDPM dans le DSM, il serait possible d’obtenir une description médicalisée du TDPM qui réduirait les injustices épistémiques, car réalisée en collaboration avec des personnes vivant avec le TDPM. Malgré le fait qu’il existe un besoin évident de reconnaissance et de prise en charge des personnes vivant avec les symptômes du TDPM, des consultations et des discussions supplémentaires sont nécessaires avant de le considérer comme un diagnostic satisfaisant. L’utilisation du cadre de l’IE permet de faire la lumière sur ces possibles améliorations futures, généralement négligées dans les débats passés.

Conclusion

L’objectif de cet article était d’explorer les façons dont le cadre des IE pouvait éclairer la controverse sur le récent ajout du TDPM dans la liste officielle de troubles mentaux du DSM-5. J’ai soutenu que ce cadre permet de mettre en lumière des enjeux qui ont été le plus souvent passés sous silence dans ces débats, tant du côté des défenseurs de la création du TDPM que de celui de ses opposants, soit la création d’IE et le besoin d’intégrer la perspective des personnes affectées par les symptômes du TDPM pour lutter contre ces injustices. À la lumière d’études récentes sur la réception du diagnostic, bien que l’ajout officiel du TDPM dans le DSM-5 apparaît souhaitable, la manière de conceptualiser le trouble et les traitements envisagés peuvent être remis en question en partenariat avec les personnes vivant avec les symptômes associés.

Ce que j’ai proposé ici est un premier pas vers une analyse plus large des IE dans le dossier du TDPM. Je ne prétends pas avoir proposé une analyse exhaustive. Par exemple, comme exposé dans la section 1, l’industrie pharmaceutique a été vue comme un moteur très important de l’ajout du TDPM dans le DSM,[53] ce qui représente un défi pour le cadre de l’IE (comment éviter que les perspectives des personnes vivant avec les symptômes du TDPM soient biaisées, elles aussi, par l’influence de l’industrie pharmaceutique ? Comment limiter l’influence de l’industrie pharmaceutique sur l’opinion des expert.e.s, qui entretiennent pour la plupart des relations avec ladite industrie ?). En outre, des travaux récents suggèrent que des IE peuvent également se produire au sein des groupes de défense des patient.e.s,[54] ce qui soulève la question de la prévention des IE provenant des organisations de patient.e.s. Plusieurs autres questions restent en suspens : comment faire dialoguer le cadre des IE avec les autres préoccupations critiques ayant visées le TDPM ? Par quels mécanismes s’assurer que les voix des patient.e.s soient réellement entendues dans un processus inclusif de révision du DSM ? Et que faire en cas de désaccord profond entre les participant.e.s (par exemple, entre les patient.e.s et les psychiatres, voire entre les patient.e.s) ? Cette liste de questions suggère que la recherche doit être poussée plus loin afin de mieux cartographier les nombreuses relations de pouvoir en jeu dans le processus de révision du DSM et les manières exactes dont les IE peuvent prendre forme dans ces structures. Néanmoins, je crois que les travaux sur l’IE et la recherche sur le TDPM doivent interagir davantage, dans l’intérêt des personnes vivant avec ces symptômes, mais également au bénéfice de la psychiatrie. J’espère avoir pu apporter ma propre contribution à ce dialogue naissant.