Disputatio

Réponses à mes critiques[Notice]

  • Iain Macdonald

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  • Iain Macdonald
    Université de Montréal

La contribution d’Aurélia Peyrical à ce dossier annonce « une limite de la voie interprétative » de What Would Be Different, qui, selon elle, serait trop axée sur la question des possibilités bloquées — ce qui impliquerait « un certain nombre de confusions et d’impensés ». La théorie critique adornienne s’intéresse-t-elle vraiment à la possibilité ? Ne serait-ce pas plutôt la catégorie de «“potentiel” qui, chez Adorno, répond à la question de la justification de l’existence possible du différent » ? La notion de possibilité que je présente dans le livre ne serait-elle pas trop « positive, voire hypostasiée » ? Je me trouve d’emblée au coeur d’une véritable disputatio, semble-t-il, et je remercie Aurélia Peyrical de participer avec vigueur à cet échange. Je la remercie certes aussi pour ses commentaires plus favorables, mais je me réjouis tout particulièrement de l’occasion qu’elle m’offre de répondre à ses critiques. Celles-ci concernent, pour la plupart, le sens de tel ou tel concept adornien. Dans la réponse qui suit, je tenterai de dissiper la confusion qui, à mon avis, les anime. Je tiens avant tout à clarifier un enjeu terminologique. À la défense d’un certain concept de potentiel, Aurélia Peyrical écrit : Or, si je ne suis pas du tout contre l’emploi du concept de potentiel — je l’utilise même à l’occasion dans le livre —, je ne crois pas, toutefois, que ce terme veuille dire ce qu’Aurélia Peyrical pense qu’il signifie. Rappelons, d’une part, que les termes « potentiel », « potentialité », « possible » et « possibilité » sont tous des traductions plausibles du concept aristotélicien de δύναμις et, d’autre part, qu’Adorno hérite de façon critique de l’interprétation hégélienne de celui-ci. Hegel, quant à lui, dit que la δύναμις désigne « la possibilité [Möglichkeit] (toutefois la possibilité réelle [reale Möglichkeit], non une possibilité en général, une possibilité superficielle), ou, comme on l’appelle, l’en-soi [Ansich] ». En revanche, les concepts de potentiel et de potentialité sont étrangers à la pensée hégélienne. Cela peut nous sembler curieux, mais c’est parce que la véritable potentia conduit toujours, chez Hegel, à la possibilité dite réelle qui correspond aux conditions de réalisation que composent les circonstances effectives. Le fait qu’Adorno emploie parfois le concept de potentiel (Potential), cet apparent intrus dans la pensée dialectique, pourrait être vu comme un élément de sa critique de Hegel et, à ce titre, un reflet terminologique de ce que je défends dans le livre. Non seulement Adorno pense-t-il que le « potentiel d’un meilleur aménagement de la société » rivalise avec le « potentiel de l’horreur absolue », mais il est aussi persuadé que la « meilleure part du potentiel » (besseres Potential) pourrait ne jamais se réaliser en raison de cette rivalité, voire en raison d’une victoire ultime de l’horreur absolue. Cela va presque sans dire que la philosophie hégélienne de l’histoire ne saurait admettre une telle situation. Adorno remet en cause cette position philosophique : autant le potentiel d’un meilleur aménagement de la société est une possibilité réelle, autant « la possibilité objective d’accéder à ce qui serait meilleur est obstruée ». Le concept de potentiel est donc synonyme de la « possibilité réelle » qui, malgré ce qu’affirme Hegel, peut rester coincée au palier d’un possible, et je l’emploie comme tel dans le livre. Aurélia Peyrical, pour sa part, tente une autre interprétation du concept de potentiel. Selon elle, le potentiel adornien ne serait qu’un simple « “être comme surcroît autre” indéterminé ». Elle ajoute la précision suivante : « Il suffit de montrer qu’il n’y a pas “rien que le réel” : la …

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