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Objectivité des valeurs : analyse, réduction et assimilation[Notice]

  • Jacques Duranceau

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  • Jacques Duranceau
    Université du Québec à Montréal

La notion d’objectivité des valeurs représente un enjeu important chez plusieurs philosophes moraux. Mais lorsqu’on lit les textes des auteurs qui se sont intéressés à cette notion et qu’on tente de comprendre exactement à quoi réfèrent les expressions « objectif », ou « objectivité » ou « objectivité des valeurs », il est parfois difficile de savoir précisément de quoi il est question. Si on jette un coup d’oeil chez quelques-uns des principaux auteurs qui ont écrit sur la question aux 20e et 21e siècles, on se rend compte qu’ils sont parfois très critiques à l’égard de cette notion. Moore considère qu’on fait souvent un usage erroné des termes « subjectif » et « objectif ». Il affirme notamment que le sens du terme « subjectif » est désespérément ambigu et que « objectif » est souvent confondu avec « intrinsèque », et « objectivité » avec « internalité » (internality). Hare parle de la « difficulté extrême » qu’il y a à faire la distinction entre « subjectif » et « objectif ». Il considère également que l’objectivisme est une notion confuse et inutile, notamment parce qu’elle est indistinctement opposée au relativisme, au subjectivisme ou à l’émotivisme. Il affirmera aussi que les termes « objectif » et « subjectif » n’ont apporté que de la confusion dans la philosophie morale et qu’ils n’ont jamais reçu une définition claire. Timmons juge que les caractérisations de l’« existence objective » en termes d’indépendance sont vagues. De son côté, Wiggins affirme que lorsque les philosophes parlent d’objectivité, il faut toujours garder à l’esprit la possibilité qu’ils ne savent pas ce qu’ils font ou qu’ils n’ont aucune idée de ce qui s’est dit avant eux. Selon Searle, les notions d’objectivité et de subjectivité sont une source de confusion massive dans notre tradition intellectuelle occidentale. Enfin, voici un commentaire de Darwall et al. : « One cannot, of course, assume that “objective knowledge”has any definite, well-understood and articulated meaning ». Et pourtant, malgré ces commentaires critiques, on trouve également des auteurs qui jugent cette notion fondamentale : « Objectivity is the central problem of ethics. Not just in theory, but in life ». Les auteurs qui soulignent la confusion qui caractérise selon eux la notion de l’objectivité des valeurs en viennent souvent à s’interroger sur l’usage et la signification des termes « objectif » et « objectivité ». Dans « Miscellanea Metaethica » notamment, onzième essai de Ethics, Wiggins s’interroge sur la différence entre « objectif » et « non-subjectif ». Cette question est fondamentale et on peut penser qu’une analyse plus systématique des éléments constitutifs de la notion d’objectivité permettrait d’en arriver à une compréhension plus claire de cette distinction. Le but du présent article est de clarifier cette notion qu’est l’objectivité des valeurs. Je défends deux thèses. Premièrement, à partir de ce qu’on constate dans la littérature, je défends l’idée qu’on peut réduire et assimiler la signification de « objectif » aux deux caractéristiques fondamentales suivantes : ontologique et épistémique. J’avance également l’idée que ces deux significations sont individuellement suffisantes et conjointement non nécessaires (l’une et l’autre suffisent à définir « objectif »). Ma seconde thèse est que, si « objectif » a le sens épistémique de « valide universellement », l’absence d’éléments subjectifs comme la partialité, les préjugés ou les préférences dans une affirmation ou une production intellectuelle quelconque (thèse, compte rendu, analyse, etc.) ne peut garantir ou justifier cette objectivité. Autrement dit, et malgré ce qu’on entend souvent, il n’est pas suffisant d’affirmer qu’un énoncé ou un texte est impartial ou dénué de préjugés pour conclure …

Parties annexes