Volume 47, numéro 1, printemps 2020
Sommaire (14 articles)
Varia
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Formes, objets et négation selon Granger : une interprétation constructive
Fabien Schang
p. 3–33
RésuméFR :
Il s’agit de comprendre dans cet article l’opposition formulée par Gilles-Gaston Granger entre deux types de négation : la négation « radicale », d’un côté, et les négations « appliquées » de l’autre. Nous examinerons les propriétés de cette opposition, ainsi que les enseignements à en tirer sur la philosophie de la logique de Granger. Puis nous proposerons une théorie constructive des valeurs logiques considérées comme des objets structurés, consolidant à la fois l’unité de la théorie logique de Granger et son pluralisme philosophique.
EN :
The point of the present paper is to understand the opposition formulated by Gilles-Gaston Granger between two kinds of negation, namely : ‘radical’ negation, on the one hand, and ‘applied’ negations on the other hand. We will examine the properties of this opposition, as well as the lessons to be drawn from Granger’s philosophy of logic. Then we will propose a constructive theory of logical values considered as structured objects, consolidating both the unity of Granger’s logical theory and its philosophical pluralism.
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L’authenticité : une esquisse de définition
Claude Romano
p. 35–55
RésuméFR :
L’objectif de cet article est de cerner la nature de l’idéal d’authenticité, si répandu dans notre culture et nos sociétés contemporaines. Tout d’abord, l’authenticité ne joue-t-elle pas un rôle analogue, par son ampleur et sa vocation à s’appliquer à la totalité de la vie, de ce qu’a été l’idéal de sagesse pour l’Antiquité ? D’autre part, l’authenticité peut-elle se définir simplement comme une sincérité intégrale ? N’est-elle pas plus proche de la vertu d’intégrité ? Nous nous efforçons de montrer l’insuffisance des deux principales voies pour approcher cette notion, celle des théories expressivistes de l’authenticité, d’inspiration romantique, et celle des théories volontaristes qui se sont développées dans le sillage de l’existentialisme : aucune de ces deux approches ne permet de répondre à ce que nous avons appelé le « problème difficile » de l’authenticité.
EN :
The aim of this paper is to circumscribe the nature of the ideal of authenticity, so widespread in our culture and our contemporary societies. First of all, does not authenticity play a similar role, by its amplitude and its tendency to be applied to life as a whole, of the ideal of wisdom for Antiquity ? On the other hand, is it possible to define authenticity only as a complete sincerity ? Is it not closer to the virtue of integrity ? This article attempts to show the insufficiency of the two major approaches to that notion : the expressivist conceptions of authenticity, issued from Romanticism, and the voluntarist conceptions that take shape in the wake of Existentialism : neither of these approaches is really able to answer to what we called « the hard problem » of authenticity.
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Archéologie du monde de la vie et phénoménologie de la corporéité chez Jan Patočka
Aurélien Zincq
p. 57–77
RésuméFR :
L’objectif de cet article est de mettre en évidence la façon dont la phénoménologie de la corporéité, développée dans ses derniers textes par le philosophe tchèque Jan Patocka, peut être envisagée comme l’ultime étape de l’archéologie de la Lebenswelt telle qu’elle a été pensée par Edmund Husserl et réélaborée par Martin Heidegger. Suivant cette hypothèse exégétique et philosophique, une phénoménologie du corps vivant peut seule être considérée comme une tentative sérieuse pour résoudre le conflit entre les images « manifeste » et « scientifique » du monde. La particularité de la phénoménologie du corps propre de Patočka est d’accentuer la connexion entre la notion de sens, la dimension affective de l’expérience humaine et la nécessité de tenir compte du point de vue de la corporéité dans l’expérience.
EN :
The purpose of this paper is to show how the phenomenology of the body developed in his late writings by the Czech philosopher Jan Patočka can be seen as the final stage of the archaeology of the Lebenswelt developed by Edmund Husserl and reshaped by Martin Heidegger. According to this exegetical and philosophical hypothesis, only a phenomenology of the body can be a serious attempt to resolve the conflict between the so-called “manifest” and “scientific” images of the world, in which the concept of Lebenswelt is rooted. The peculiarity of Jan Patočka’s phenomenology of the body is to stress the strong connection between the notion of sense, the affective dimension of human experience and the necessity of taking into consideration a “bodily” point of view on the experience.
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La fonction formatrice de l’université pour une société apprenante : le legs de la philosophie fichtéenne de la Bildung
Quentin Landenne
p. 79–98
RésuméFR :
Alors que les universités contemporaines sont vouées à repenser leur autonomie et leurs missions sociales dans le contexte de la société de la connaissance, cet article revient sur les riches débats philosophiques qui ont entouré la fondation de l’Université de Berlin, au début du dix-neuvième siècle, dans l’idéalisme allemand. Prenant pour fil conducteur les écrits de Fichte sur la philosophie de l’université, il propose de les reconstruire à partir de cinq grands modèles. Le modèle bien connu de la communauté organique isolée, plutôt dominant dans le Plan déductif de 1807, est ainsi complété et complexifié par quatre autres modèles. Pris ensemble, ces modèles permettent de penser à la fois l’autonomie interne et la fonction formatrice de l’université, en l’inscrivant dans le contexte plus large d’une société de l’apprentissage de la liberté.
EN :
This article revisits the rich philosophical debates emerging around the foundation of the University of Berlin in the early nineteenth century. Focusing on the particular case of Fichte’s philosophy of University, it proposes to review his writings on this topic by reconstructing five original models. The well-known model of the Plan of 1807 — University as an isolated organic community — is thus completed by four other models. Combined with each other, the five models offer an interesting conception of both the internal autonomy and the formative function of University, which has to be embedded in the larger project of an emancipating Learning Society.
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Nussbaum et la théorie stoïcienne des passions
Mathieu Burelle
p. 99–116
RésuméFR :
Martha Nussbaum a proposé une interprétation influente de la théorie stoïcienne des passions, que le présent article remet en question. Nussbaum soutient que les passions, pour les stoïciens, sont des jugements plutôt que des états intentionnels causés par des jugements préalables. Il sera montré que Nussbaum n’établit pas une distinction entre la passion, qui est en fait une impulsion de l’hegemonikon, et le jugement qui la cause. Cette distinction permet pourtant aux stoïciens de soutenir qu’une passion est un mouvement intentionnel ayant des dimensions évaluative, kinétique et affective, tout en affirmant qu’elle est causée par des jugements préalables. Il sera également montré que Nussbaum néglige l’existence d’un premier mouvement proche de l’impulsion, annonçant la passion, dont l’existence est pourtant prise en considération par Chrysippe, Cicéron et Sénèque dans leur thérapie des passions.
EN :
Martha Nussbaum has proposed an influential interpretation of the stoic theory of the passions, which will be challenged in this article. According to Nussbaum, the Stoics view the passions as judgments, rather than as intentional states caused by previous judgments. It will be argued that Nussbaum does not distinguish the passion, which is in fact an impulse of the hegemonikon, and the judgment that causes it. Such a distinction, however, is crucial to the Stoics, as it allows them to present the passion as an intentional movement having evaluative, kinetic and affective properties, while at the same time analysing the judgment that causes it. It will also be argued that Nussbaum fails to mention the existence of a first quasi-impulse, prior to the passion, which Chrysippus, Cicero and Seneca took into account in their therapy of the passions.
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Quatre approches de l’entreprise responsable
Thierry Ngosso
p. 117–137
RésuméFR :
Cet article compare quatre manières de penser l’entreprise responsable. Lorsque la fonction de l’entreprise fonde ses obligations morales, celles-ci se limitent aux obligations que lui impose sa fonction soit sans considérer sa capacité (fonctionnalisme strict), soit pour autant qu’elle soit compatible avec sa capacité effective (fonctionnalisme compatibiliste). Lorsque la capacité de l’entreprise fonde ses obligations morales, celles-ci se limitent aux obligations que lui impose son pouvoir, soit sans tenir compte de sa fonction (capacitarisme strict), soit pour autant qu’elle soit compatible avec sa fonction (capacitarisme compatibiliste). En raison de l’impossibilité d’aligner parfaitement les tâches morales sur les tâches sociales et de réduire toutes les obligations générales à des obligations spécifiques, le capacitarisme est préférable au fonctionnalisme. En prenant au sérieux la division du travail (moral), le capacitarisme compatibiliste se montre plus robuste que le capacitarisme strict.
EN :
This article compares four ways of thinking corporate responsibility. When corporate responsibility is defined by its function, firm’s moral obligations are limited to obligations imposed on it by its function, whatever its capacity (strict functionalism), or as far as it is compatible with its effective capacity (compatibilist functionalism). When corporate responsibility is defined by its capacity, firms’ moral obligations are limited to obligations which its power imposes on it, whatever its function (strict capacitarism), or insofar as it is compatible with the respect of its specific function (compatibilist capacitarism). Due to the impossibility of perfectly aligning moral tasks with social tasks and of reducing all general obligations to specific obligations, capacitarism seems more convincing than functionalism. Because of the indispensability of a division of (moral) labor, compatibilist capacitarism seems more robust than strict capacitarism.
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Erreur de diagnostic : préférences adaptatives et impérialisme
Marie-Pier Lemay
p. 139–164
RésuméFR :
Cet article porte sur le concept de préférence adaptative tel qu’il est apparu en philosophie féministe politique et anglophone depuis les années 2000. Ce concept désigne les préférences formées conformément à un milieu oppressif et qui vont à l’encontre du bien-être. Dans un premier temps, il sera question des deux théorisations les plus influentes à l’heure actuelle : celles développées par les philosophes Martha Nussbaum et Serene Khader. Ensuite, j’évaluerai ces positions à l’aune des récents travaux des anthropologues féministes Saba Mahmood et Lila Abu-Lughod, dans lesquels elles remettent en question le projet politique de la philosophie féministe sous-jacent aux préférences adaptatives.
EN :
This article examines the concept of adaptive preference as it has appeared in feminist political philosophy since the 2000’s. This concept refers to preferences shaped in compliance with an oppressive environment and that jeopardizes one’s well-being. In the first part, the two most influential conceptions of adaptive preference will be discussed : the ones provided by the philosophers Martha Nussbaum and Serene Khader. Afterwards, I will assess these conceptions in the light of recent work by feminist anthropologists Saba Mahmood and Lila Abu-Lughod, in which they revaluate the political project of feminist philosophy underlying adaptive preferences.
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Le réel de la philosophie et la pratique de la connaissance : Foucault, Platon, Gueroult
Julien Panais
p. 165–187
RésuméFR :
Lors d’un cours portant sur la Lettre VII de Platon, Michel Foucault introduit l’expression de « réel de la philosophie ». Pour les différents commentateurs de cette leçon, cette formule se rapporte aux actions politiquement efficaces que le philosophe doit effectuer pour insérer la philosophie dans la réalité. Selon nous et contrairement à cette interprétation, la philosophie possède déjà pour Foucault les modalités de sa propre effectivité avant même d’être efficace politiquement. La surestimation de la dimension politique conduit d’autre part à sous-estimer les pratiques de connaissance propre à la philosophie, d’autant que selon nous Foucault se saisit de la notion de « réel philosophique » de Martial Gueroult pour sa propre élaboration du « réel de la philosophie ». Déterminer les modalités du réel de la philosophie selon Foucault, c’est ce à quoi nous nous attachons dans cet article.
EN :
During a lesson on Plato’s Letter VII, Michel Foucault introduces the notion of « reality of philosophy ». This notion, for some readers of this Foucault’s lesson, relates to political efficient acts which philosopher must carry out to insert philosophy in reality. Rather, we believe that philosophy has already for Foucault conditions of its own effectiveness even before political efficiency. This overstatement of political sphere leads on the other side to underestimate knowledge practices of philosophy, especially as we believe that Foucault seizes the « philosophical reality » notion of Martial Gueroult to elaborate his own idea of philosophy reality. In this article, we try to figure out the philosophy reality conditions according to Foucault.
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David Hume et les règles générales : pourquoi les philosophes auraient-ils plus raison que les autres ?
André Lapidus
p. 189–224
RésuméFR :
Cet article soutient la thèse selon laquelle les règles générales que Hume introduit dans le Traité de la nature humaine (THN 1.3.15) constituent un dispositif de sélection des inférences inductives écartant deux sources d’inefficacités : (i) d’origine émotionnelle, qui réduirait le malaise face à l’éventualité d’une faille dans l’uniformité de la nature ; (ii) d’origine cognitive, qui tolèrerait les possibles débordements de l’imagination sur le jugement. Un consensus grandissant depuis quelques décennies fait apparaître à la base de ce dispositif la distinction entre deux sortes de règles — extensives et correctives. Alors que les premières permettent de dépasser une expérience singulière pour en dériver une inférence de plus large portée, les secondes, dont la maîtrise oppose le philosophe au vulgaire, contrôlent et rectifient les effets des seules règles extensives, de façon à éliminer les inefficacités d’origines émotionnelle et cognitive et à réaliser des inférences qu’en empruntant l’expression à Peirce on désignera comme abductives.
EN :
This paper supports the contention that the general rules introduced by Hume in the Treatise on Human Nature (THN 1.3.15) are a selection mechanism for inductive inferences, which rejects two sources of inefficiency : (i) from emotional origin, which would reduce the uneasiness coming from a possible failure in the uniformity of nature ; (ii) from cognitive origin, which would tolerate the possible overflow of the imagination on judgment. A growing consensus in recent decades, which distinguishes between two kinds of rules — extensive and corrective — is at the basis of this device. Whereas the extensive rules allow us to go beyond a singular experience and derive a wider range of inferences, the corrective rules, whose command opposes the philosopher to the vulgar, control and rectify the effects of extensive rules alone, so as to eliminate emotional and cognitive inefficiencies, and to make inferences that, borrowing the expression to Peirce, we will designate as abductive.
Comptes rendus
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Raymond Klibansky and the Warburg Library Network. Intellectual Peregrinations from Hamburg to London and Montreal, Philippe Despoix et Jillian Tomm (dir.), avec la collaboration d’Éric Méchoulan et de Georges Leroux, McGill-Queen’s University Press, 2018, 342 pages
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Nicolas Piqué. L’histoire discrète. Époque, catastrophe, révolution, Paris, Hermann, coll. « Philosophie », 2019, 350 pages
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Duncan Pritchard. Scepticism : A Very Short Introduction, New York, Oxford University Press, 2019, 116 pages
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Willard Van Orman Quine. The Significance of the New Logic, traduit par W. Carnielli, F. Janssen-Lauret et W. Pickering (dir.) ; introduction par les éditeurs accompagnée d’un essai de F. Janssen-Lauret, Cambridge, Cambridge University Press, 2018, 168 pages