Cet ouvrage est la première publication du cours de Bergson au Collège de France sur l’idée de temps. Il complète la publication récente d’autres cours. Gabriel Meyer-Bisch, qui en assure l’édition, explique que ce cours est pour moitié la retranscription de notes manuscrites, et pour autre moitié la reproduction de notes dactylographiées. Malgré quelques problèmes posés par les notes manuscrites, la fidélité à la parole même de Bergson ne fait pas de doute. L’intérêt de ce cours est d’aborder de manière directe ce que Bergson qualifie de problème central de la métaphysique, à savoir le problème du temps. Bergson n’y développe certes pas une théorie différente de celle qu’il développe dans les livres déjà publiés. Cependant, ce cours présente des analyses complémentaires, notamment sur la pensée conceptuelle et le langage. De plus, certains passages peuvent servir d’appui à telle ou telle interprétation de l’oeuvre. Dans l’introduction du cours (leçon 1), Bergson précise que l’objet d’étude sera double : le problème du temps et celui de la connaissance conceptuelle. D’après lui, cela se justifie par le fait que l’étude du temps conduit à constater une incompréhension de la nature du temps en philosophie depuis Platon, et que cette incompréhension ne semble pas accidentelle : elle apparaît comme la conséquence de la forme conceptuelle de la pensée humaine. Cela ne signifie pas que la philosophie doive renoncer au concept, c’est-à-dire à l’usage du langage, à l’analyse des termes, etc. Cela signifie seulement que la philosophie est autant une affaire d’expérience (d’« intuition », dit-il) que de manipulation de concepts ou d’analyse du langage. Ainsi, pour former un bon concept de temps, il faut d’abord partir de l’expérience du temps, car se contenter d’analyser les concepts donnés de temps (dans la pensée commune ou scientifique) risque de nous faire passer à côté de sa nature réelle. La première partie du cours aborde le problème du temps (leçons 2 à 13). Bergson commence par rappeler ses deux idées fondamentales. La première est que, empiriquement parlant, le temps n’est pas donné comme un milieu homogène qui contiendrait des événements, même si nous tendons à le représenter ainsi, par exemple comme une ligne. Autrement dit, le temps n’est pas donné comme un espace, mais comme la mobilité même de ce qui existe. La deuxième est que, empiriquement parlant, cette mobilité n’est pas donnée comme une succession d’états arrêtés, c’est-à-dire de repos, même si la mesure du temps nous conduit à la représenter ainsi, notamment en science. Cette mobilité est donnée comme quelque chose d’indivisible. Les éléments fondamentaux du réel, physique comme psychologique, ne sont donc pas des états mais des changements, des processus — des « durées » peut-on dire. Dans la leçon 7, Bergson envisage l’objection de la relativité du mouvement : si tout mouvement est relatif, c’est-à-dire si tout corps peut être arbitrairement considéré comme en repos ou en mouvement (par rapport à un repère donné), peut-on faire du changement le fond de la réalité physique ? Sa réponse est qu’il est certain qu’il existe des mouvements absolus, c’est-à-dire attribuables de manière non arbitraire à un corps, à savoir les mouvements que nous accomplissons volontairement et dont nous avons la sensation kinesthésique. Cela conduit à une nouvelle question : l’existence de mouvements absolus n’entraîne-t-elle pas celle d’un espace absolu (servant de repère absolu) ? La réponse de Bergson est négative : pas besoin de supposer un tel espace. Il suffit de considérer que tout mouvement possède une « intériorité » (p. 43), c’est-à-dire quelque chose de similaire à nos propres sensations kinesthésiques. Cette réponse confirme que Bergson défend une …
Henri Bergson, L’idée de temps. Cours au Collège de France 1901-1902. Paris, Presses Universitaires de France, 2019, 256 pages[Notice]
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Joël Dolbeault
Université de Lille 3