Plutôt qu’un compte rendu linéaire, nous proposerons ici une lecture thématique. Nous rendrons compte des contributions à cet ouvrage en les articulant à deux axes émergeant de leur totalité. Le premier axe porte sur la place de l’expérience démocratique athénienne dans la genèse du concept moderne de liberté et de ses pratiques, notamment la représentation politique. Quant au second, il porte sur la nature et le rôle de la figure de Platon dans la formation de la modernité philosophique et politique. Si, comme le rappellent les éditeurs en introduction, il existait déjà des formes de représentation élective en Grèce antique, la réarticulation de la vie politique autour du principe représentatif peut raisonnablement être désignée comme une des caractéristiques centrales, parmi d’autres, de la modernité politique. Or l’essor du principe représentatif a, dans un premier temps, souvent été accompagné d’une mise à distance, sinon d’une caricature, de l’expérience démocratique athénienne. Le cas du rapport de l’abbé de Mably (1709-1785) à Athènes, objet de l’article de Hans-Jürgen Lüsenbrick, est caractéristique de la première étape de cette réception. Dans son commentaire Des droits et devoirs du citoyen, écrit en 1758 et publié posthume en 1789, Hans-Jürgen Lüsenbrick nous montre, d’une part, comment la lecture des Anciens par Mably, en particulier Cicéron et Platon, a été le foyer de sa conception de l’autonomie comme souveraineté de la loi et, d’autre part, comment le républicanisme représentatif mablien se construit contre l’image d’une Athènes démocratique jugée encourager l’irresponsabilité. Car si, pour Mably, les hommes sont bien égaux par nature et que les institutions politiques doivent s’accorder à une telle égalité de droit, « le législateur » doit aussi se garder de « confier le dépôt ou l’administration de la souveraineté » à une « assemblée d’artisans », comme cela aurait été le cas à Athènes, qui, ce faisant, se serait précipitée à sa perte. Mably préféra donc Sparte à Athènes ; le Lacédémonien, frugal, voire austère, dispose d’une réserve et d’une rigueur morales dont serait dénué l’Athénien, homme vulgaire, qui ne respecte rien ni personne, pas même ses magistrats. C’est une appréciation semblable d’Athènes que documente la contribution de Josiane Boulad-Ayoub portant sur l’Idéologue Daunou. Tout le problème de Daunou était de formuler dans le contexte postrévolutionnaire français le point d’équilibre institutionnel entre la figure du citoyen émergeant de la Révolution et la garantie de droits individuels par l’État. Or, dans son Essai sur les garanties individuelles que réclame l’état actuel de la société (1818) Daunou pose, comme le faisait Mably, la représentation comme rempart contre la tyrannie démocratique. Elle est le pivot sur lequel reposent les « garanties individuelles », ainsi que l’équilibre entre les attentes légitimes des citoyens et les nécessités de l’action gouvernementale — ce qui pose inévitablement en contrepartie le problème de la bonne représentation, que Daunou résout par un argument moral : « les électeurs devront prendre soin de choisir des représentants tels qu’ils épousent leurs intérêts communs au point de les confondre avec les leurs propres », écrit J. Boulad-Ayoub. Il n’y aurait guère de « reflets modernes de la démocratie athénienne », sinon déformés, si cette expérience athénienne avait uniquement servi de repoussoir afin de graver les institutions représentatives dans le marbre des constitutions modernes. La méfiance envers les institutions parlementaires, documentée notamment dans l’article de Marc Angenot portant sur la critique de la démocratie bourgeoise par les courants socialistes de 1815 à 1917, a aussi été accompagnée, voire prolongée, par une redécouverte et une réappropriation profonde des pratiques politiques athéniennes. Dans sa contribution, Marie-Josée Lavallée propose de comparer les …
Jean-Marc Narbonne et Josiane Boulad-Ayoub (dir.), Reflets modernes de la démocratie athénienne, Québec, Presses de l’Université Laval, « coll. Zêtêsis », 2017, 242 pages[Notice]
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Thibault Tranchant
Université de Rennes 1 et Université de Sherbrooke