Disputatio

Émotions et les conditions de l’autonomie individuelle[Notice]

  • Christine Straehle

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Le livre de Christine Tappolet, Emotions, Values, and Agency, offre un riche argumentaire pour une reconceptualisation des émotions. Plus spécifiquement, Tappolet soutient que les philosophes, mais aussi d’autres penseurs, doivent repenser le rôle des émotions dans les délibérations menant aux actions. Plutôt que d’emprunter les thèses traditionnelles qui se présentent de plus en plus en philosophie et dans les disciplines cognitives sous le titre de théorie des affects, Tappolet avance de façon convaincante que les émotions donnent des raisons justificatives de l’action. Ici, je me concentrerai sur l’argument de Tappolet selon lequel les émotions sont une source potentielle d’action autonome. Les liens entre émotions, autonomie individuelle et agentivité sont discutés plus précisément au chapitre V du livre. Ainsi, ce chapitre propose trois thèses principales : « Les émotions peuvent être considérées, quand tout se déroule bien, comme des perceptions de raisons pratiques. […] Les émotions confèrent une justification épistémique prima facie aux croyances évaluatives […] Les émotions permettent non seulement de détecter des raisons, mais également, lorsque certaines conditions sont en place, de permettre la réceptivité aux raisons (ce qu’on appelle la reason-responsiveness). » Je pense que la thèse plus générale de ce chapitre n’est pas controversée : comme nous indique Tappolet, il suffit de penser à l’aide que nous sommes en mesure d’offrir à nos amis ou aux êtres chers pour voir que nos émotions à leur égard sont en lien avec nos raisons d’agir d’une façon plutôt que d’une autre. Cela n’implique point que nous suivions aveuglément nos émotions, mais que notre souci pour autrui nous offre des raisons à partir desquelles nous agissons. Je suis toutefois plus sceptique à l’égard d’un autre argument que Tappolet avance dans sa discussion. En discutant et réfutant la conception rationaliste de l’agentivité, elle soutient que, plutôt que d’abandonner l’idée que les émotions peuvent être à la source d’actions basées sur des raisons, nous avons besoin « [d’]habitudes pratiques et épistémiques bien ajustées, telles que la personne en question n’agirait pas sur la base de ses émotions si elle avait des raisons de croire que ces dernières l’induiraient en l’erreur ». Il est important de se rappeler l’intérêt que Tappolet porte aux émotions occurrentes, à la différence de celui qu’elle porte aux dispositions émotionnelles. De fait, la théorie perceptuelle de Tappolet considère les types d’émotions qui nous saisissent, telles la peur et la colère, lorsque nous sommes confrontés à des phénomènes redoutables ou irritants, plutôt que les types d’émotions qui nous maintiennent dans le temps, comme l’amour ou la sollicitude. D’ailleurs, une bonne partie du premier chapitre explique comment les émotions occurrentes sont sujettes à un examen critique. Néanmoins, je me demande dans quelle mesure la fonction de détection des raisons, que Tappolet attribue aux émotions, opère lorsque l’on considère les émotions occurrentes. Évidemment, une grande part de la réponse à cette question dépend de la forme que prendront les « habitudes pratiques et épistémiques » dont la source se trouve dans les vertus agentielles que Tappolet pose au fondement de sa conception de l’agentivité ; ainsi, j’ai hâte de voir les travaux futurs qui tâcheront d’étoffer la définition des habitudes pratiques et épistémiques dont il est question. Je me tournerai maintenant vers un problème que la théorie de la vertu agentielle soulève dans le contexte de l’autonomie individuelle et de l’agentivité. Tappolet passe en revue certains écrits des auteurs les plus importants qui se sont penchés sur la question de l’autonomie individuelle. Joseph Raz nous propose une de mes thèses favorites pour illustrer ce que l’autonomie signifie quand il la décrit comme le fait « d’être partiellement l’auteur …

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