Disputatio

Réponses à mes critiques[Notice]

  • Jocelyn Benoist

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  • Jocelyn Benoist
    Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ISJPS

C’est évidemment avec une émotion particulière que je prends connaissance des remarques de Charles Travis. Il faut souligner ici tout ce que je lui dois et le point auquel sa perspective et sa méthode en philosophie ont pu imprégner et déterminer ma propre façon de poser les problèmes dans les quinze dernières années — sans bien sûr qu’il doive être tenu en rien pour responsable des erreurs qui me sont propres. On peut dire que, en 2002-2003, ma découverte de Unshadowed Thought (Harvard University Press, 2000), puis ma rencontre avec cet auteur ont profondément réorienté ma pratique de la philosophie — contribuant notamment, mais pas seulement, à m’éloigner de la phénoménologie. Depuis, les recherches de Charles, dans son étonnante capacité à se renouveler et toujours aller de l’avant tout en restant fidèle à ses intuitions cardinales, ont constitué pour moi une constante source d’inspiration et de remise en question critique. Le texte qu’il soumet ici s’inscrit dans le programme qu’il a développé ces dernières années d’une relecture de Frege qui interroge celui-ci comme philosophe de l’esprit. Cette recherche a évidemment une importance toute particulière pour moi, le réalisme de Frege, avec le sens radical qu’il accorde à la transcendance du référent, ayant à mes yeux valeur fondatrice pour le réalisme aujourd’hui. Comme toujours, le texte de Charles est riche et foisonnant en suggestions. Je ne relèverai donc ici que quelques points qui retiennent particulièrement mon attention ou suscitent ma perplexité à la première lecture. Je suis évidemment d’accord avec la remarque initiale de Charles quant au fait que la confusion du sens et de la chose même est précisément ce à quoi Frege cherche à mettre fin au moyen de la distinction qu’il fait entre caractères du concept (Merkmale) et propriétés des choses (Eigenschaften). Les concepts, pas plus que leurs constituants, ne sont des propriétés des choses. En même temps, il faut souligner cette particularité de la position frégéenne que les concepts, en définitive, relèvent bien tout de même du plan du référent, et non du sens : les concepts sont les entités insaturées. En ce sens, il est tout de même tentant de les traiter comme des modes d’être pour les choses (comme, me semble-t-il, Charles finit par le faire) — bien que pas des propriétés : l’ontologie de Frege, en fait, n’est pas une ontologie de choses et de propriétés (il est à soupçonner que Frege verrait dans une telle ontologie un effet pervers d’un parallélisme onto-logico-grammatical, sur fond d’une entente de la logique basée sur la prédication, que son objectif est de remettre en question), mais de concepts et d’objets (entités insaturées par rapport à entités saturées). Pour autant, il est bien vrai que, dans la différence ontologique entre concept et objet se joue bien un écart fondamental pour la possibilité de ce qu’on appellera la différence sémantique entre le plan du sens (donc de ce qui peut être vrai) et le plan de ce à quoi on réfère. En fait, il ne peut y avoir vérité que là où il y a concept, puisque le vrai comme le faux sont le résultat de l’opération qui consiste à appliquer un concept à un objet (ou au nombre d’objets qu’il requiert compte tenu du nombre de places vides qu’il comporte). Donc, si, dans le sens accompli (au niveau propositionnel), il y va du vrai, il faut bien que ce sens exprime quelque chose de conceptuel — autrement dit : que telle ou telle de ses parties soit interprétable comme construisant une référence à un concept, même si bien sûr, …

Parties annexes