Disputatio

Être vrai[Notice]

  • Markus Gabriel

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  • Markus Gabriel
    Institut für Philosophie, Universität Bonn

  • Texte traduit par
    Marie-Hélène Desmeules

Faisant suite aux livres Le bruit du sensible et Éléments de philosophie réaliste, L’adresse du réel est la contribution la plus récente de Jocelyn Benoist au débat du xxie siècle portant sur le réalisme. C’est un honneur pour moi de constater que Benoist a profité de cette occasion pour consacrer quelques-unes de ses profondes réflexions épistémologiques et sémantiques à des problèmes qui ont constitué le coeur de nos conversations des dernières années, portant sur la question de savoir quelles sont les formes de réalisme les plus appropriées. À mon avis, Benoist est actuellement le philosophe français, dont les travaux portent sur les principaux domaines de la philosophie théorique, le plus intéressant et le plus original. Ce qui m’impressionne le plus dans son travail, c’est l’honnêteté intellectuelle avec laquelle il énonce les détails de son cheminement qui le mène à surmonter les impasses du réalisme métaphysique, c’est-à-dire de tout cadre dans lequel la philosophie est essentiellement pensée comme une enquête portant sur les objets qui meubleraient une réalité purement indépendante de l’esprit. L’approche radicalement contextualiste de Benoist se défait effectivement de l’idée erronée selon laquelle le réalisme aurait d’abord affaire avec ce qui est extramental. Il nous rappelle en ce sens que le réalisme devrait être en mesure de rendre compte du fait qu’en tant que sujets qui connaissons et pensons, nous sommes présents dans la réalité que nous percevons et théorisons. La réalité n’est pas une masse de matière anonyme qui affecte notre sensibilité. Je vais profiter de l’occasion qui m’est accordée pour examiner certains des différends que nous pourrions avoir. Avant de souligner un potentiel point central de divergence, je souhaite cependant réaffirmer que nous avons beaucoup plus d’opinions en partage qu’il n’y en a qui nous séparent. En fait, j’ai développé ma propre position grâce à la coopération étroite que j’ai entretenue avec Benoist au cours des deux dernières années à Paris et à Bonn, laquelle a eu de profondes répercussions sur mes positions concernant les problèmes qui entourent le non-existant. Même si, dans L’adresse du réel, Jocelyn Benoist traite explicitement aussi de cet aspect de notre dialogue, je vais pour ma part ici me concentrer sur l’aspect de la relation entre l’existence et l’être-vrai qui semble être à l’arrière-plan de certaines des inquiétudes que mon confrère peut entretenir à l’égard de mon pluralisme ontologique et sa compatibilité avec ses vues contextualistes. Frege est reconnu pour avoir soutenu que la logique découvre « les lois de l’être vrai ». Cela passe parfois inaperçu en raison du fait que la phrase allemande « Gesetze des Wahrseins » a en anglais inadéquatement été traduite par « laws of truth ». Pourtant, comme il appert clairement des premières lignes du chapitre « La pensée » et de tous les autres passages dans lesquels Frege s’oppose au psychologisme, c’est grâce au départage entre l’être vrai (Wahrsein) et le tenir pour vrai (Fürwahrhalten) que Frege précise ce qu’est la logique. L’expression « Fürwahrhalten » a elle aussi été erronément traduite par le terme « assertion » (assertion) dès l’ouverture de la traduction anglaise classique de « The Thought », et ce, alors que Frege distinguera l’acte de juger (tenir pour vrai) et l’assertion plus tard dans son essai. Ces erreurs de traduction dans les passages introductifs de l’essai de Frege expliquent en partie l’opinion erronée, mais aujourd’hui répandue, selon laquelle Frege aurait cru que la vérité, et conséquemment le sens, est normative, c’est-à-dire de l’ordre de l’exigence. Dans sa discussion de mon usage de Frege au sein de mon ontologie des champs de sens, Benoist …

Parties annexes