Dans son ouvrage, au chapitre intitulé « La destruction de l’expérience facticielle de la vie », Sophie-Jan Arrien affirme que « pour l’essentiel, Aristote sera surtout présent entre 1924 et Être et Temps, c’est-à-dire après que Heidegger eut définitivement abandonné le projet de son herméneutique de la vie au profit de la question “ontologique” » (Arrien, L’inquiétude de la pensée, Paris, PUF, 2014, p. 317, n. 3). Cette appréciation, que résume la formule « Aristote : de la vie à l’être » (p. 316), est corrélée à l’idée rectrice de lire l’« herméneutique de la vie facticielle » comme un « projet philosophique autonome et original » (p. 18) du « jeune Heidegger » (1919-1923), projet dont l’auteur scrute l’éclosion et l’élaboration avec une précision remarquable et, soulignons-le, inégalée à ce jour. Nous proposons d’interroger dans ce qui suit « l’examen de la jointure vie-être » (p. 318) qui nous paraît constituer, au-delà de la « complicité entre vie et logos » (p. 14), le point névralgique de l’entreprise arrienienne. L’auteur relève parfaitement que le basculement d’une « phénoménologie herméneutique de la vie » vers une « ontologie » se joue dans le rapport que le jeune Heidegger fait valoir entre « vie » et « être » (p. 324-325) : « Parmi les significations nominales et verbales du terme “vie” apparaît maintenant, dans l’horizon des directions expressives indiquées, un sens remarquablement pertinent : vie = être-là, “être” dans et par la vie » (Heidegger, GA 61, p. 85). Arrien remarque à juste titre que le passage de la vie à l’être ne se fait pas alors par exclusion ou substitution : « On a bien plutôt affaire, en un premier temps, à une cohésion originaire où la question de l’être n’apparaît qu’en lien avec l’exploration du phénomène de la vie » (p. 325). Cette « cohésion originaire » se manifeste par excellence dans le phénomène fondamental de la « mobilité inquiète » comme « essence de la vie », Arrien soulignant que, par l’irruption d’Aristote, le jeune Heidegger associe la facticité comme sens d’être de la vie à l’idée de mouvement ou de mobilité : Bewegtheit, Un-ruhe, kinèsis (p. 337), tout à fait dans le prolongement de Phys. VIII, 1, 250b14, où le mouvement est considéré comme une manifestation particulière de la vie (zôè), mais aussi, l’auteur ne manque pas de le rappeler, à la suite de l’analyse heideggérienne de l’attente eschatologique et de l’inquietudo cordis mis en lumière dans les cours sur Paul (1920-1921) et sur Augustin (1921), selon une « perspective luthérienne » (p. 314). Cependant, alors que les concepts de vie et de mobilité sollicités dans le cours de 1921-1922 (GA 61) présupposent une lecture critique de la Physique, dont on se souviendra que l’objet principal est le mouvement et le changement (kinèsis, metabolè), mais aussi et, dirions-nous, surtout du Traité de l’âme dont le livre III traite spécifiquement du vivant humain dans le monde et de son logos, Aristote est à peine cité dans le texte, contrairement au cours de 1922, qui sera une exégèse plus directe. Suggérons sans pouvoir le montrer ici que la référence aristotélicienne, latente mais constante, est déjà intégrée, par destruction et transformation, dans une « problématique philosophique nouvelle », à savoir l’herméneutique de la vie facticielle, matrice aristotélicienne de l’analytique existentiale de Sein und Zeit (1927), cet Aristoteles-Buch virtuel qui donne à penser la Bewegtheit comme « énigme » de l’être (Heidegger, Sein und Zeit, Tübingen, Niemeyer, 2001, p. 392). Quoi qu’il en soit, selon Arrien, …
L’être ou la vie[Notice]
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Christian Sommer
Archives Husserl de Paris (Centre National de la Recherche Scientifique / Ecole Normale Supérieure)