Dans son premier chapitre, Éduquer au pluralisme : le débat, Georges Leroux retrace les différents types d’opposition frontale au pluralisme en éducation à travers les trois objections emblématiques adressées au programme Éthique et culture religieuse (ECR). Ces trois courants critiques représentent des postures assez différentes, de par les acteurs qui les portent et leurs préoccupations politiques, éducatives et philosophiques, mais qui convergent en même temps sur d’autres aspects, notamment dans leur nostalgie d’une forme plus homogène de la « culture publique commune » ou de la « québécitude ». Nous proposons ici de revenir brièvement sur chacune de ces objections en mettant l’accent sur les convergences sociologiques de ces trois discours, eu égard à la conception normative des relations entre religion et politique, et du lien social. Après avoir défini l’horizon commun de ces critiques, nous nous pencherons plus spécifiquement sur les objections catholiques à la formation en « culture religieuse », qui à notre sens, s’inscrivent dans deux logiques argumentaires fondamentalement différentes, dont les rapports au pluralisme ne peuvent être confondus. Pour Leroux, les trois catégories d’objection au cours ECR partagent un refus d’adhérer à l’argumentaire étayant les deux finalités du programme, soit la « reconnaissance de l’autre » et la « poursuite du bien commun ». La première, écrit Leroux, renvoie à des considérations relatives à la liberté de conscience et de religion, selon lesquelles « le programme résulterait d’une conception de la sécularisation reposant sur des fondements philosophiques inacceptables, en particulier le relativisme, perçu comme la doctrine fondamentale orientant le programme tant dans le domaine religieux que dans le domaine moral. Cette position est à la fois associée à des parents catholiques militant pour l’exemption de leurs enfants du cours ECR, dont ceux qui ont plaidé leur cause jusqu’en Cour suprême en 2012, et au Collège Loyola de Montréal, qui a obtenu le droit de cette même instance, en 2015, d’enseigner un programme « équivalent » à celui d’ECR, en cohérence avec son éthos catholique. Une deuxième catégorie d’objections, nous dit Leroux, concerne les acteurs dans la mouvance du Mouvement laïque québécois et de ses acolytes, un groupe fermement opposé à toute présence du religieux dans la sphère publique, qui s’oppose à un enseignement culturel des religions à l’école depuis les premiers débats sociaux sur la question en 1999. En dernier lieu, Leroux repère les objections relatives « aux conséquences idéologiques et politiques du programme, perçues par certains comme porteur d’un endoctrinement multiculturaliste » et donc, comme un vecteur potentiel de « dénationalisation », selon l’expression de Mathieu Bock-Côté. Ces trois catégories d’objection incarnent chacune à leur manière, comme le montre bien Leroux, un parti pris contre le pluralisme en éducation, mais en déployant un argumentaire passablement différent. C’est probablement dans le cas de la critique laïciste que l’on retrouve la disqualification la plus visible du religieux en tant que réservoir de « croyances ». Dans cette position, dont la filiation remonte directement à la philosophie des Lumières et au paradigme de la sécularisation, la religion est associée à un pendant de la méconnaissance, à une forme d’obscurantisme vouée à une disparition complète dans la modernité avancée. Cette vision « anticléricale » de la laïcité, au fondement de la conception française de la séparation entre l’Église et l’État, est donc porteuse d’un profond mépris pour la religion, perçue comme un reliquat de la tradition, un signe de faiblesse, voire de crédulité et d’ignorance. Sur le plan éducatif et politique, cette conception préconise ainsi un effacement de la religion dans les institutions publiques et les lieux de délibération collective, n’étant pas perçue comme …
Les « objections » au cours Éthique et culture religieuse : retour sur les enjeux du débat[Notice]
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Stéphanie Tremblay
Département de sciences des religions, UQAM
tremblay.stephanie.2@uqam.ca