Comptes rendus

M. Doyon et T. Breyer, Normativity in Perception, Palgrave MacMillan, 2015[Notice]

  • Corrine Lajoie

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  • Corrine Lajoie
    Université de Montréal

Si la tradition philosophique s’est plus largement intéressée à la dimension morale ou éthique de la normativité, dans l’introduction de l’ouvrage Normativity in Perception (2015), Maxime Doyon et Thiemo Breyer argumentent en faveur d’un élargissement du concept de norme, lequel concernerait l’agir en général. Nous discernons en effet plusieurs types de normes à l’oeuvre dans notre expérience quotidienne : qu’on pense seulement à notre perméabilité aux normes sociales, légales, esthétiques, langagières, scientifiques et même académiques en vigueur dans un milieu ou une culture donnés. Le plus souvent, ces normes n’agissent pas isolément ; elles communiquent dans l’expérience pour créer ce que les auteurs appellent « a multi-faceted normative space that allows or encourages certain behaviors and practices and disallows and discourages others » (NP 1). Les différentes normes que nous adoptons induisent des conséquences concrètes sur nos comportements, nos discours et nos attentes, mais elles influencent aussi plus holistiquement la nature même de notre relation au monde. Elles constituent en quelque sorte l’horizon normatif du milieu dans lequel nous vivons et sont la plupart du temps si bien intégrées qu’on se surprend lorsqu’un individu s’y soustrait ou marque un écart à leur endroit. Le cadre normatif qui oriente nos actions peut en outre servir à distinguer les comportements « normaux » des comportements dits « anormaux », et par conséquent le sujet « normal » du sujet « anormal » ou « pathologique ». Même si nous attribuons un rôle important au travail des normes dans plusieurs sphères de notre vie, il peut nous sembler plus contre-intuitif de parler de normativité dans le domaine de la perception, et le problème, à quelques exceptions près — citées en introduction par les éditeurs —, est relativement nouveau dans la littérature philosophique. L’enjeu de la normativité dans la perception soulève à juste titre plusieurs questions : d’abord, comment peut-on parler d’une bonne ou d’une mauvaise perception, et quand pouvons-nous dire qu’une perception est normativement adéquate, optimale ou réussie ? Les normes en jeu seraient-elles a priori ou a posteriori ? Impliquent-elles nécessairement un appareillage conceptuel ou peut-on les trouver sur un plan pré-conceptuel ? Quelles conséquences (épistémologiques, ontologiques, métaphysiques) entraînent-elles pour une théorie de la perception ? Enfin, comment le caractère normatif de nos pratiques perceptuelles s’arrime-t-il au contexte intersubjectif, historique et social dans lequel elles se déploient ? À la lumière de ces questions, l’objectif de l’ouvrage est double : faire travailler conjointement les intuitions d’auteurs d’horizons philosophiques distincts et aborder à nouveaux frais la question de la normativité en la situant au coeur d’une analyse de la perception. En ouvrant un dialogue trop souvent timide entre la tradition analytique et continentale en philosophie, les articles réunis abordent la question de la normativité dans la perception à travers quatre axes principaux. Les sections de l’ouvrage examinent respectivement : 1) un survol de certains enjeux fondamentaux (Charles Siewert, Maxime Doyon, Michael Madary) ; 2) le statut particulier des illusions et des hallucinations (David Morris, Matthew Ratcliffe) ; 3) le rapport de la normativité perceptuelle avec l’horizon social et affectif du sujet (Shaun Gallagher, Maren Wehrle, Thiemo Breyer) ; 4) une analyse d’enjeux plus strictement épistémologiques (Aude Bandini, Arnaud Dewalque, Virginie Palette, Valérie Aucouturier). Dans leur introduction, Doyon et Breyer présentent un survol des différentes inflexions qu’a pu adopter l’intérêt philosophique pour la question de la normativité, tant en philosophie de l’action qu’en philosophie de l’esprit ou du langage. Le plus souvent abordée par un biais épistémologique, une réflexion naissante et plus ou moins explicite sur le statut normatif de la perception émerge toutefois dans …