Comptes rendus

Michel Malherbe, Alzheimer. La vie, la mort, la reconnaissance. Une chronique et un essai philosophique, Paris, Vrin, 2015, 292 pages[Notice]

  • Laetitia Monteils-Laeng

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  • Laetitia Monteils-Laeng
    Université de Montréal

L’ouvrage de M. Malherbe se veut tout à la fois une réflexion philosophique sur les questions soulevées par les différentes altérations subies par le patient atteint de la maladie d’Alzheimer et une « chronique ». Alzheimer. La vie, la mort, la reconnaissance est constitué ainsi de six chapitres encadrés par un prologue et un épilogue, entre lesquels viennent s’intercaler des « visites » narrant la vie quotidienne de l’unité au sein de laquelle a été accueillie Annie, l’épouse de l’auteur. L’auteur, spécialiste de l’empirisme anglo-saxon, traducteur de Bacon et de Locke, convoque la philosophie et son histoire pour la mettre à l’épreuve du mal que représente aujourd’hui la maladie d’Alzheimer. Il va être essentiellement question de la relation entre l’auteur et le proche atteint d’Alzheimer, du soin que l’on peut apporter et de ses limites. L’ouvrage n’a ainsi aucune vocation clinique ou neurologique. S’il se penche le temps d’un chapitre (chap. IV « La troisième personne ») sur le problème du rapport corps/esprit, ce n’est pas tant pour décrire les mécanismes neurobiologiques à l’oeuvre dans la maladie — quoique ceux-ci soient exposés de façon claire par M. Malherbe — mais pour répondre à la question fondamentale qui traverse tout le livre : « Comment reconnaît-on un être humain ? » (p. 9). Le plan de l’ouvrage épouse alors l’évolution de l’auteur face à la maladie de son épouse : s’ouvrant par une réflexion sur ce qui constitue l’humanité d’un individu, il se termine par un travail sur ce qu’exige la reconnaissance de l’autre, en passant par Lévinas et son éthique de l’altérité, la théorie kantienne du devoir et ses insuffisances, les différentes façons d’envisager le rapport corps/esprit, la question de la constitution de l’identité personnelle et de sa reconnaissance. Sur la question de savoir ce qui fait l’humanité d’un être, le premier chapitre (« La mystique de l’autre ») renvoie dos à dos les conceptions naturaliste et humaniste : la première inscrit l’homme dans un genre déterminé, à l’image d’Aristote qui voit en l’homme un « animal rationnel » et, ce faisant, rate ce qui fait l’unicité de chaque individu ; la seconde insiste sur la singularité de chaque individu, mais ne voit pas l’universalité de la condition humaine. Si elle était approfondie, la position d’Aristote pourrait cependant contribuer davantage à la question. En effet, la classification aristotélicienne (l’homme comme vivant rationnel) ne constitue pas une définition de l’humanité, pas plus qu’une tentative de circonscrire une prétendue nature humaine. Son « naturalisme », s’il en est, ne se situe pas là. Aristote insisterait plutôt sur la difficulté à définir l’homme : les facultés liées à sa fonction propre sont le fruit d’une acquisition progressive dont la possession et l’efficience ne sont jamais garanties (Éth. Nico., I, 1097b-1098a). Rien ne vient en assurer le développement systématique pas plus que la permanence. L’idée même d’une nature humaine ne va donc pas de soi, l’homme risquant toujours de sombrer en deçà de ce qui est supposément humain, tout en étant susceptible de se hisser par-delà les limites de l’humaine condition. M. Malherbe convoque d’ailleurs cet aspect de la philosophie aristotélicienne à la toute fin de son ouvrage (p. 269-270), quand il décrit l’exigence de réciprocité contenue dans toute forme de reconnaissance, en utilisant le paradigme de la perfection de l’acte pur. En effet, si le premier Moteur immobile ne s’interrompt jamais dans l’exercice de la contemplation de soi, nos activités sont nécessairement intermittentes. Parce qu’en l’homme l’acte est actualisation et suppose pour cela l’être en puissance, tout passage à l’acte crée une forme de …

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