Avec Catching Capital. The Ethics of Tax Competition, Peter Dietsch nous offre l’ouvrage le plus complet à ce jour pour réfléchir aux enjeux de justice soulevés par la concurrence fiscale internationale. Non seulement il présente un portrait global et parfaitement informé du problème de l’évitement fiscal, dont on sait qu’il mine aujourd’hui les fondements mêmes de la démocratie et de la justice sociale, mais il nous propose également un cadre normatif et institutionnel pour y faire face et le combattre. Si la visée ultime est la création d’une organisation fiscale internationale, Dietsch ne se fait pas d’illusion quant à la possibilité de la voir naître à court terme ou sans résistance. C’est la raison pour laquelle il consacre le cinquième et dernier chapitre à la question passionnante de la justice transitionnelle, et donc aux étapes qui pourraient éventuellement mener à la réalisation de la réforme institutionnelle souhaitée. L’élément le plus important de cette transition serait l’établissement de compensations financières allant des gagnants « nets » aux perdants « nets » de la compétition fiscale. C’est cette idée de devoir de compensation, et ses modalités, que j’aimerais questionner dans cette courte intervention. Mais je dirai d’abord quelques mots du projet plus général de l’ouvrage. La concurrence fiscale profite aujourd’hui de l’asymétrie entre une économie mondialisée et un cadre politique encore largement stato-centré. Dans le contexte de cette asymétrie, il y a un fort incitatif pour les individus et les entreprises (qui ont la possibilité, légale ou non, de le faire) de transférer leur capital vers des régimes fiscaux plus cléments. En retour, évidemment, l’incitatif auquel fait face un État particulier est de répondre à cette demande en diminuant ses taux d’imposition, mais également en assouplissant sa réglementation. Pour Dietsch, cela a deux effets notoires : un effet nocif sur la démocratie — ou sur la possibilité pour une société donnée de se donner de façon souveraine ses propres règles, y compris le choix d’un taux d’imposition élevé sur le capital — et un effet direct sur la justice sociale et l’ampleur des inégalités, non seulement à l’échelle globale, mais également à l’échelle sociale ou nationale. Pour traiter de ce problème, Dietsch opte pour ce que l’on peut appeler une perspective institutionnelle en philosophie politique, où il accepte que certaines caractéristiques, par ailleurs contingentes, du monde social ou institutionnel ne peuvent être ignorées par la réflexion normative. Comme il l’explique, la réflexion normative qu’il mène dans cet ouvrage intègre « un certain nombre de caractéristiques du monde actuel comme paramètres plutôt que comme variables de la réflexion normative » (32). Il refuse donc de situer la réflexion à un niveau d’abstraction tel qu’elle puisse ignorer les institutions et les pratiques qui composent le monde social. En même temps, Dietsch réitère à plusieurs reprises dans l’ouvrage que son travail ne dépend pas d’une théorie de la justice particulière, ni à l’échelle domestique ni à l’échelle globale. Sans vouloir entrer dans le détail de cette problématique, nous pourrions tout de même nous demander s’il n’y a pas contradiction entre ce que l’on pourrait ainsi appeler son agnosticisme normatif et la perspective institutionnelle qu’il adopte, laquelle n’est d’ailleurs pas sans parti pris théorique marqué. Au minimum, cette perspective suppose une influence de « paramètres » factuels ou empiriques, ce qui semble écarter, contra G. A. Cohen par exemple, toute théorie de la justice dont les principes seraient « insensibles » aux faits. Plus sérieusement, cela écarte la possibilité d’une théorie de la justice qui remette profondément le contexte institutionnel auquel elle s’applique, contra plusieurs théories de la justice globale qui refusent …
Concurrence fiscale, justice transitionnelle et devoirs de compensation[Notice]
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Patrick Turmel
Université Laval