Cet ouvrage d’Élysée Sarin se présente comme une introduction critique aux questions épistémologiques fondamentales des sciences sociales. L’ouvrage reprend quatre thèmes de l’épistémologie sociale, soit 1) les fondements théoriques des sciences sociales, 2) l’analyse de « l’opinion publique » et des méthodes quantitatives, 3) l’interprétation et la régulation du comportement des agents, ainsi que 4) le débat entre individualisme et holisme méthodologique. L’ouvrage souffre toutefois d’une littérature datée qui affecte la plupart des chapitres. L’analyse en cours rendra compte de cette difficulté. Le premier chapitre vise à mieux comprendre les principes généraux de la connaissance dans le domaine des sciences sociales. Il s’agit d’abord d’appréhender « les niveaux d’organisation du réel, les critères du travail scientifique, les outils intellectuels du savoir (concepts, théories), les rapports entre la connaissance et l’action ». L’auteur se penche ensuite sur les différents champs déterminants des sciences sociales, en exposant la portée et les limites de ces différents champs. Les passages sur les biais de recherche en sciences sociales, et sur la distinction entre corrélation et causalité, ont un intérêt pédagogique. Ils clarifient, en quelques pages, ces questions méthodologiques classiques des sciences sociales. La quatrième section du chapitre traite aussi de l’épineuse question de l’implication du chercheur face à son sujet d’études. La cinquième section du chapitre I s’avère aussi une introduction critique d’intérêt aux notions de concept, d’axiome et de théorie. Les textes composant le premier chapitre avaient déjà fait l’objet d’une publication en 2003. La plupart des références bibliographiques de ce chapitre datent d’avant 1990 et ne tiennent pas compte des dernières critiques incontournables de l’épistémologie des sciences sociales. On peut penser, par exemple, au courant féministe articulé autour de la standpoint theory, absent de l’ensemble du livre. La première section du chapitre I illustre ce problème. Pour Sarin, le chercheur devrait choisir les hypothèses de travail les plus propices à « révéler » l’objet étudié. L’auteur s’oppose toutefois aux approches par « éclairage multiple ». En d’autres termes, révéler un objet ne signifie pas le montrer sous de nombreux angles. Voulant préciser sa pensée à cet égard, Sarin défend une ordination des éléments de détermination de l’objet d’étude. Il s’agirait de « hiérarchiser les niveaux d’organisation de la réalité » et de « spécifier les modes de fonctionnement des objets considérés au sein de chacun de ces niveaux ». Les six niveaux d’analyse essentiels seraient, dans l’ordre hiérarchique défendu par Sarin, les suivants : 1) micro-politique, 2) psychologique, 3) interpersonnel, 4) économique, 5) juridique et 6) macro-politique. Une tension apparaît ici entre le rejet des éclairages multiples et l’approche par les niveaux d’organisation. Que signifie la hiérarchisation des niveaux d’organisation de la réalité ? Pour Sarin, certains niveaux d’analyse présupposent des éléments fondamentaux (des assises) à trouver dans des disciplines antérieures. Par exemple, le psychologique est antérieure à l’interpersonnel. Sarin précise toutefois que « les niveaux d’organisation ne s’emboîtent pas l’un dans l’autre ». Ils sont ordonnés, les niveaux inférieurs sont les assises des niveaux supérieurs, mais les différents niveaux demeurent autonomes, en ce qu’ils nous en apprennent davantage sur l’objet. Dans ce contexte, on peine à interpréter l’opposition de Sarin au fait de révéler un objet par diverses approches. Pourquoi s’opposer « à l’idéologie insoutenable de l’éclairage multiple » ? L’analyse aurait ici grandement bénéficié de la littérature récente sur le sujet. L’épistémologie féministe propose une analyse systématique prometteuse de la pertinence scientifique des éclairages multiples. En procédant à un examen critique, provenant de sources diversifiées tant sur le plan social que scientifique, la communauté de recherche minimise les …
É. Sarin, Épistémologie fondamentale appliquée aux sciences sociales, Paris, L’Harmattan, coll. « Ouverture Philosophique », 2012, 146 pages[Notice]
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Marc-Kevin Daoust
Université de Montréal