Disputatio

La métaphysique en dialogueAprès six méditations métaphysiques quelques responsiones[Notice]

  • Jean Grondin

C’est un bonheur et un honneur inespérés que de répondre ici à des lectures aussi pénétrantes de mon ouvrage sur « L’idée de la métaphysique ». À vrai dire, et sans fausse modestie, je ne m’attendais pas à ce que cet ouvrage trouve des lecteurs. C’est qu’il s’efforce de penser ensemble la métaphysique, son principal sujet, et l’herméneutique. Ces deux disciplines me passionnent depuis toujours, mais je sais que les métaphysiciens ne s’intéressent pas beaucoup à l’herméneutique, et que les herméneutes entretiennent souvent une sainte horreur de la métaphysique. Voir le terme de métaphysique dans un titre, surtout s’il n’est pas précédé d’un « post- » ou d’un « non- », suffira à les détourner. Mais je n’y peux rien, la métaphysique incarne pour moi un effort de compréhension. Elle l’a toujours été et le restera toujours. Aristote l’exprime clairement quand il introduit à son idée de la métaphysique en disant que « tous les hommes aspirent par nature à comprendre » (si l’on peut modifier la traduction d’un texte archiconnu, sans faire violence à son sens). Quant à l’herméneutique, elle aime insister sur les thèmes de la compréhension et de l’interprétation, au point d’y voir des propriétés essentielles de l’animal auto-interprétant (Taylor) que nous sommes. La métaphysique n’affirme-t-elle pas la même chose quand elle souligne que l’homme se distingue par sa raison, celle-ci n’étant rien d’autre que l’effort de comprendre les raisons des choses ? L’herméneutique repose ainsi sur un sol métaphysique. Cela est non seulement vrai de sa méthode ou façon de faire, l’activité de l’interprétation, mais aussi de son objet. Que s’agit-il d’interpréter en herméneutique ? Des textes, bien sûr, mais d’abord et surtout des choses et des personnes. Je peux comprendre — ou ne pas comprendre, mais cela présuppose l’effort de compréhension — quelqu’un ou quelque phénomène. L’herméneutique, du moins telle que je la défends, s’élève ainsi contre l’idée selon laquelle le monde et autrui seraient foncièrement inintelligibles. J’y vois une idée fausse et pour tout dire déprimante, bien que répandue et inlassablement ressassée par les râleurs de la condition humaine que sont souvent devenus aujourd’hui les humanistes. Un humaniste, c’est au contraire pour moi quelqu’un qui croit en l’humain et qui affirme ses capacités infinies de comprendre le monde dont témoignent la science, les arts et les réalisations historiques de l’humanité qui la tirent de l’ignorance et de la barbarie. Cette compréhension est forcément herméneutique, et comme ce qui est compris, c’est l’être, l’être peut effectivement être compris (en langage, ajoute Gadamer). À mes yeux, il est moins essentiel, quoique important, de mettre en relief l’idée que cette compréhension s’effectue en langage que de dire que l’être peut bel et bien être compris et que nous pouvons en pénétrer les raisons. Une science ou une philosophie qui le nierait se tirerait une balle dans le pied, comme le dit la jolie formule anglaise. À mon sens, des conséquences plus métaphysiques au sujet de la rationalité du monde (entendons, de son intelligibilité de principe) et de celle de l’homme peuvent en être tirées. La métaphysique l’a en tout cas toujours fait. Je m’inscris humblement dans cette tradition. Humblement (et sans fausse humilité encore une fois) parce que je ne suis pas sûr d’avoir une théorie métaphysique absolument originale et renversante à proposer — il faut être prétentieux pour proposer quelque chose de tel —, et que ma tâche est avant tout de transmettre la pensée métaphysique et l’exigence incontournable qu’elle continue de représenter pour la philosophie et la science elle-même. Il est des savoirs qui méritent d’être transmis et qui pourraient se perdre s’ils ne l’étaient …

Parties annexes