Pour Jean Grondin, « la métaphysique est l’effort vigilant de la pensée humaine de comprendre l’ensemble de la réalité et ses raisons ». Je trouve que Jean Grondin est trop généreux et que sa définition de la métaphysique lui permet de qualifier de métaphysique « toute grande philosophie qui a quelque chose de fondamental à dire sur ce qui est ». Cela a comme avantage évident de pouvoir maintenir que la métaphysique n’est pas morte, même chez ceux qui se présentent comme des critiques sévères de la métaphysique. À la dernière page de son livre, Jean Grondin nous place devant une alternative : entre une conception nominaliste selon laquelle le sens est « une production de la pensée qui projette ses concepts généraux sur le monde, lequel se compose de masses physiques individuelles, intrinsèquement dépourvues de sens » et celle « suggérée » par Gadamer, que « le sens que nous articulons en langage n’est pas une pure création de notre esprit, mais bien le sens des choses mêmes ». Ce qu’il nous est permis de repenser ainsi : « c’est l’idée qu’il y a un sens au monde lui-même ». Plus loin, je montrerai qu’il y a peut-être une troisième voie, proche de Gadamer, mais distincte de Grondin. Ici, je souligne seulement que, selon Jean Grondin, même le nominalisme « incarne une métaphysique ». Est-ce que sa façon de définir la métaphysique ne se fait pas au prix d’une sérieuse dilution du sens de ce terme ? Il est clair qu’une pensée comme celle de Kant est encore métaphysique au sens fort : des principes a priori de notre raison pratique permettent de conclure à l’existence de Dieu et à l’immortalité de l’âme. Ce sens de transcendance qualifie certainement une pensée comme métaphysique au sens fort. Mais il y a lieu de penser qu’il peut y avoir des métaphysiques au sens fort, sans cette affirmation de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme. Jean Grondin a aussi raison d’appeler la pensée de Heidegger une métamétaphysique, métaphysique en acte, dont les thèmes essentiels sont l’être et le divin. « Pour ses premiers élèves, dont Löwith et Gadamer, Heidegger restera toute sa vie à la recherche de Dieu. » Et il eut des obsèques catholiques. Un cas particulièrement intéressant est celui de Hegel. Comment situer Hegel ? A-t-il toujours continué à penser en métaphysicien ? Dans une contribution (provocatrice) à une Arbeitstagung en décembre 2007, Walter Jaeschke a montré comment Hegel a abandonné la métaphysique. Selon ce Mitarbeiter de 1974 à 1989, et directeur depuis 1998 aux Archives Hegel, le grand philosophe qu’il a étudié toute sa vie aurait, après ses écrits de Jena, remplacé la metaphysica generalis par sa nouvelle logique objective. Celle-ci n’est plus une théorie rationnelle de l’étant, mais une connaissance de soi de la raison, une théorie rationnelle du penser. « Préserver le concept de l’être pour quelque chose qu’on soupçonne au-delà de la conscience n’a plus de sens. » Pour cette pensée transcendantale radicale, « toute vérité n’est accessible que dans la conscience », « tout nous est accessible dans l’unité du penser ». Bien sûr, cela ne veut pas dire que la conscience, la raison, ou l’esprit n’existent pas. L’esprit que nous sommes tous (der Geist der wir doch alle sind) cherche à se connaître en s’objectivant (de façon ultime, dans l’art, la religion et la philosophie). Cela fait partie de la Realphilosophie qui remplace la metaphysica specialis. Dans la discussion qui a suivi sa présentation, Jaeschke a dit : « Puisque nous avons dans le savoir des objets, nous …
Du sens des choses à l’être des sens[Notice]
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Théodore Geraets
Professeur émérite, Université d’Ottawa