Comptes rendus

Kevin Mulligan, Wittgenstein et la philosophie austro-allemande, Paris, Vrin, 2012, 247 pages[Notice]

  • Bruno Langlet

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  • Bruno Langlet
    Aix-Marseille Université

Ce livre de K. Mulligan s’articule autour de l’idée que les véritables sujets de la philosophie de Wittgenstein sont plus proches des préoccupations centrales de certains philosophes autrichiens et des phénoménologues réalistes que de celles de Frege, Russell ou Moore. L’auteur en donne d’emblée une liste : Ces thèmes sont ceux des « héritiers » de Bolzano et de Brentano, comme Marty, Stumpf, Ehrenfels, Husserl, Meinong, Twardowski (en tant qu’élèves directs du deuxième) ; mais aussi de Lipps, Hartmann, Ortega y Gasset, Pfänder, Reinach, Geiger, Edith Stein, Max Scheler, Ingarden, Bühler — touchés par ce que l’auteur appelle « l’effet Brentano ». Wittgenstein n’est ici pas ancré dans la tradition philosophique issue de Cambridge seulement, où la singularité de l’auteur du Tractatus ne laissait pas de surprendre — pour ce livre-ci, déjà, mais surtout pour ladite deuxième phase de sa philosophie. Certes, il y a bien chez lui une reprise et une connaissance des thèmes et des concepts de certains philosophes autrichiens, reçus par l’intermédiaire de Russell, Moore, Stout, et J.S. Mackenzie. Néanmoins, il ne s’agit pas de faire la genèse d’une telle influence dans sa philosophie — ce n’est pas le sujet de l’auteur qui adopte une autre méthode. Examinant les concordances et les divergences entre les descriptions tirées des philosophies austro-allemandes et celles de Wittgenstein, il demande si les descriptions de celui-ci surpassent celles-là. Chez les philosophes austro-allemands, on tend à exprimer des vérités noncontingentes, produites à l’intérieur de pensées descriptives à visée systématisante, mais ayant des correspondances avec les résultats de la démarche wittgensteinienne, laquelle est plus une description des usages du langage et de la détermination des règles qui le gouvernent. Même si Wittgenstein cherche à révéler la diversité de ces usages et leur irréductibilité à un système ou à un ensemble de relations qui seraient fondées sur une dépendance essentielle, l’auteur soutient que l’établissement de ces correspondances, qui ne sont pas totales, apporte un gain philosophique réel. Du constat de correspondances et de différences, d’incompatibilités, du dépassement de ressemblances de famille, l’auteur suggère que l’on pourrait tirer l’idée que certains ensembles de descriptions systématiques des penseurs autrichiens peuvent être traduits en systèmes de règles. Lorsque c’est possible, peut-on envisager le projet d’une description systématique des systèmes ainsi obtenus, et tenter de faire émerger l’essence de ces systèmes et leurs connexions internes ? C’est un horizon créé par le livre, qui ouvre ainsi une piste pour de nouvelles recherches. L’ouvrage décrirait et chercherait dans ces approches de Wittgenstein et des philosophes austro-allemands de quoi faire surgir des connexions fondées dans l’essence de leurs objets et des phénomènes étudiés, via ce que les descriptions disent de ce qui convient, de ce qui répugne, ou de ce qui ne fait que différer. Certes, il y a bien un langage de l’essence chez Wittgenstein, comme le dit l’auteur (p.47), mais il ne relève pas d’une parole ou d’une technique de révélation phénoménologique. L’essence est énoncée par la grammaire et la description des règles, qui atteint son but lorsqu’elle donne une présentation synoptique — son avantage est de montrer de multiples connexions et dépendances là où l’intuition catégorielle phénoménologique se trouve très (ou trop ?) ciblée. L’idée de l’auteur est bien étayée par nombre de points mis côte à côte qui la soutiennent progressivement. Leur force collective apparaît dans la présentation d’un point de vue synoptique qui se construit chapitre par chapitre. Nous nous limitons à rapporter seulement certaines des analyses (foisonnantes) de l’auteur afin d’illustrer comment son idée se trouve motivée. Le premier thème majeur, structurant, est ainsi celui de la description (chap. 1) …

Parties annexes