Disputatio

Réponse aux commentaires de la « Disputatio »Race et culture en contextes[Notice]

  • Magali Bessone

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Capdevila et Jeffers rappellent la définition de la race que je donne dans une perspective constructiviste, en renvoyant, l’un au début, l’autre à la fin du chapitre 4, qui porte sur « la race comme construction sociale » ; au début du chapitre, m’appuyant sur une définition proposée par Ron Mallon, je suggère de comprendre les races comme « des agrégats d’individus partageant des propriétés superficielles qui servent de critère pour une pratique sociale ou une ascription, ou […] des groupes de personnes produits causalement ou institutionnellement par une telle pratique sociale » (87). En fin de chapitre, j’indique que le référent du concept de race dans les discours ordinaires est « un groupe fluctuant déterminé par des traits visibles fonctionnant comme des étiquettes faillibles associé à des traits déterminés sociologiquement et correspondant à une histoire continuée de domination et de conflits sociaux » (114). Capdevila estime que cette définition est trop lâche pour désigner de manière claire et distincte ce qu’on appelle ordinairement « race ». Pour préciser la définition, de sorte qu’elle corresponde mieux à nos usages ordinaires et qu’ainsi la dimension critique de la démarche constructiviste puisse effectivement s’appliquer, il affirme qu’il est indispensable de faire mention de la dimension biologique, au moins pour la désignation des « propriétés superficielles » ou des « traits visibles » partagés. Mais dans ce cas, déplore-t-il, le constructivisme ne peut éviter de se placer sous la dépendance du racisme, au point de devenir même, dans certains cas, un instrument commode du discours raciste — et ce d’autant plus que, par la référence à la biologie, c’est le non-biologique qui est visé, dans une tentative de naturalisation de toute différence. Je souscris entièrement à l’opinion qui sous-tend la tension dénoncée par Capdevila, à savoir que la référence à la biologie pour définir les races (ou, d’ailleurs, pour affirmer leur inexistence) témoigne de la force d’une idéologie positiviste qui croit voir dans la « science » l’outil privilégié, voire unique, capable de dire la « vérité » sur le sujet, et dont s’emparent ainsi racistes et anti-racistes, alors même que le concept de race n’a aucune existence biologique. Sur ce point, les analyses de François Jacob, notamment, énoncées dès 1981, demeurent d’une extrême pertinence : ni la biologie en général ni la génétique en particulier n’ont quoi que ce soit à dire sur le concept de race, qui ne relève pas de leur domaine. Aussi dans une optique constructiviste, la mention biologique n’est-elle absolument pas requise, si ce n’est pour analyser comment les différences visibles ou propriétés superficielles en sont venues à être désignées comme tout particulièrement pertinentes pour classer des groupes d’êtres humains, parce qu’elles pouvaient apparaître comme validées par la science. Or cette analyse fait d’ores et déjà partie de la déconstruction : elle est le premier pas pour saisir que la question « À quelle race appartient objectivement Susie Phipps ? » n’a pas de sens si « objectif » signifie « biologique ». On ne peut donc tenir rigueur au constructiviste de ne pouvoir y répondre —à moins d’accepter avec lui qu’« objectivement » signifie « dans le contexte socio-politique dans lequel Phipps se trouve », au sens que je définis p. 102 : « une fois que les conventions sont établies, que les pratiques sont routinisées, il y a des faits qui existent indépendamment des croyances individuelles ». Dans ce cas, la réponse du constructiviste est très claire : la race de Susie Phipps est celle qui lui est attribuée socialement et qui détermine un certain nombre de pratiques intersubjectives et …

Parties annexes