Dominique Pradelle, après un premier ouvrage qui a fait date dans les études husserliennes (L’archéologie du monde, Kluwer, 2000), propose avec Par-delà la révolution copernicienne une interprétation de la subjectivité transcendantale qui aura sa suite dans un second volume. Ce vaste projet, qui engage la possibilité d’une phénoménologie de la raison, développe, dans une écriture aussi précise que claire, une lecture husserlienne de Husserl, sans la moindre intention scolaire d’orthodoxie, qui permet de retrouver ce qui fait la vie même de la phénoménologie, c’est-à-dire ce par quoi elle tranche avec toutes les autres tentatives philosophiques. La thèse constante de l’ouvrage est explicite : pour Husserl la phénoménologie est le seul vrai positivisme, car le retour aux choses mêmes a pour condition une désubjectivisation radicale, qui marque une rupture définitive avec le kantisme. L’idéalisme transcendantal husserlien n’est pas un idéalisme subjectif (p. 303). Ce livre échappe en outre à certains travers de travaux sur Husserl : il ne découpe pas l’oeuvre de Husserl en époques incompatibles, il ne divise pas sa philosophie en champs extérieurs les uns aux autres, il n’écrase pas Husserl sous Heidegger et il ne confronte pas Husserl avec des pensées qui n’ont pas de sol commun avec lui, mais il dégage la profonde unité de sa philosophie, l’idée directrice de la phénoménologie, telle qu’elle se donne à voir à partir de Kant. Dominique Pradelle part de Kant en rappelant que le geste copernicien vise à fonder les structures a priori de l’objet apparaissant sur les structures invariables du sujet connaissant. Le sujet transcendantal est un ensemble de facultés (sensibilité, imagination, entendement, raison) auxquelles s’ajoutent des formes a priori inhérentes (espace et temps, schèmes purs, catégories, Idées). Or pour Husserl il s’agit encore de psychologiser le sujet pur et de le comprendre à partir du monde, et c’est pourquoi le travail de ce nouvel idéalisme transcendantal est celui d’une réécriture de la Critique de la raison pure en s’affranchissant de ce qu’il reste d’anthropologie chez Kant. Bien évidemment il ne s’agit pas d’une simple question historique, puisque l’enjeu est l’accès à l’être du sujet transcendantal. Cette méthode qui consiste à interroger en même temps le phénomène lui-même et l’histoire du concept, pour qu’ils s’éclairent réciproquement, ne cache pas son enracinement dans la philosophie de Heidegger, qui lui aussi a appris à tenir avec rigueur l’exigence d’intuitivité par rapport à tout procédé régressif-constructif. Dominique Pradelle montre comment Husserl comprend le temps et l’espace comme des formes pures de toute objectualité sensible et suit un principe phénoménologique strict : la hylé prescrit ses propres formes immanentes. La phénoménologie se donne ainsi pour tâche d’élucider l’origine non mondaine du sens et de la validité de tout ce qui est mondain, mais pour cela il est impératif d’écarter le psychologisme transcendantal qui se contente d’abstraire la couche de l’âme pure et qui explique donc encore le monde par une partie du monde. Toute l’erreur du réalisme transcendantal consiste précisément à attribuer à un morceau de monde une fonction transcendantale. Contre toutes les formes du naturalisme, il faut mettre en évidence que la conscience n’est pas une substance psychique. Ainsi ce livre souligne qu’en dépit de son opposition à l’empirisme Kant demeure dépendant de ce dernier dans sa conception de l’âme. Or cela ne va pas de soi, car dans sa conception du sujet transcendantal Kant semble échapper à une telle critique, puisque le « je » n’est pas la permanence d’un substrat. En effet, l’intention la plus constante de Husserl est d’élucider la transcendance dans l’immanence de l’ego pur, et cela n’est possible que par une conversion …
Dominique Pradelle, Par-delà la révolution copernicienne, PUF, 2012, 416 p.[Notice]
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Emmanuel Housset
Université de Caen