Si ce n’était du présent volume, il faudrait remonter à 1969 pour dater un ouvrage d’Yvon Gauthier qui porte spécifiquement sur la pensée hégélienne. Plus de quarante années se sont donc écoulées depuis la parution de L’arc et le cercle : l’essence du langage chez Hegel et Hölderlin. Entre ce premier ouvrage et son plus récent, Hegel : introduction à une lecture critique, Gauthier n’a pas contribué aux études hégéliennes en se contentant de traduire le concept d’Aufhebung par celui de « sursomption », traduction qui fut adoptée par G. Jarczyk et P.-J. Labarrière ; il a aussi publié différents articles et chapitres de livre qui traitent directement de Hegel. Le travail qu’il nous offre aujourd’hui ne manque pas de qualités : synthétique, ordonné et fluide, il fournit un bilan utile des réflexions de l’A. sur la logique dialectique de Hegel. En tenant compte de travaux passés mais aussi de commentaires plus frais (R. Brandom, R. Pippin, J. Reid, M. Robitaille, D. Perinetti et M.-A. Ricard, T. De Koninck et G. Planty-Bonjour, etc.), Gauthier se propose d’introduire à Hegel, au contraire de certains interprètes, en « adopt[ant] l’attitude du lecteur critique qui n’est peut-être pas toujours fidèle à l’esprit [mais reste] attentif à la lettre » (p. XII). La lecture de Gauthier cherche à vrai dire à mettre « l’accent sur le langage de Hegel, son vocabulaire et sa syntaxe, plutôt que sa sémantique qui a une visée idéaliste et qu[‘il] veu[t] détourner au profit d’une critique constructive […] de l’échafaudage métaphysique » (p. XII). Deux objectifs précis sont poursuivis en l’occurrence : d’une part, « dégager sous la phénoménologie de l’esprit une phénoménologie du langage » et, d’autre part, tirer au clair « sous la science de la logique une logique interne du langage » (p. XII). Alors que la Phénoménologie de l’esprit est étudiée pour elle-même dans le premier chapitre de l’ouvrage, la Science de la logique reçoit un examen dans le chapitre suivant. Comment Gauthier parvient-il ici à dégager une phénoménologie du langage chez Hegel ? En retraçant les multiples stations par lesquelles doit passer la conscience avant d’atteindre le savoir absolu. Ainsi, dans l’ordre convenu, le philosophe touchera un mot de la « certitude sensible », de la « perception », de la « force et [de l’]entendement », de la « vérité de la certitude de soi-même », de la « maîtrise et [de la] servitude », de la « liberté de la conscience de soi » et de la « raison, [de l’]esprit [et de la] religion » — après quoi il conclura sur le savoir absolu et rappellera l’aspect systématique promis par Hegel dans la préface à la Phénoménologie de l’esprit. On le devine déjà : suivant le fil des stations rencontrées, il s’agit pour Gauthier d’analyser la place incontournable qu’occupe le langage chez Hegel. Cet examen sera accompli au coeur du développement lui-même, certes, mais aussi et en grande partie dans la conclusion de l’ouvrage. « On peut distinguer quatre phases ou quatre moments du devenir du langage dans la Phénoménologie de l’esprit » (p. 56), suggère l’A. en conclusion. Le premier moment s’exprime dans ce que Hegel affirme sur la certitude sensible. Pour Hegel, « la certitude sensible est contradictoire [car] le ceci, l’ici et le maintenant qu’elle tente de saisir dans leur singularité immédiate se dissolvent dans l’universalité du langage » (p. 56-57). C’est qu’en aucun cas on ne peut parvenir à rendre compte de l’immédiat autrement que par le moyen du langage lui-même, de sorte que l’immédiateté semble ou bien inaccessible ou bien représenter un …
Yvon Gauthier, Hegel : introduction à une lecture critique, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. « Logique de la science », 2010, 105 p.[Notice]
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Pierre-Alexandre Fradet
Université de Montréal