Comptes rendus

Charles Girard et Alice Le Goff, La démocratie délibérative. Anthologie de textes fondamentaux, Paris, Hermann, 2010, 550 p.[Notice]

  • Antoine Verret-Hamelin

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  • Antoine Verret-Hamelin
    Université Laval

Traditionnellement, la légitimité de la démocratie libérale repose sur des notions telles que la représentation, le suffrage universel et la neutralité de l’État. Sans nier l’importance de ces mécanismes, les théories délibératives situent la légitimité de la démocratie autre part : dans l’échange public de raisons portant sur le bien commun. Ce lieu d’échange doit rester ouvert à tous et garantir une égalité entre les participants. Le consensus auquel aspire la délibération permettra ainsi le choix raisonné et collectif d’une politique publique. La démocratie délibérative connaît aujourd’hui un important engouement auprès des philosophes et politologues. Même la littérature critique qu’elle a suscitée témoigne de sa pertinence, car peu d’auteurs disqualifient la théorie en bloc. Au contraire, les critiques sont majoritairement constructives, apportant les modifications théoriques nécessaires pour solidifier le paradigme. Car les problèmes rencontrés sont nombreux (conflits profonds, médias de masse, risques de polarisation, institutionnalisation, etc.) tout autant que les points de vue adoptés pour les résoudre (psychologie sociale, théorie féministe, philosophie politique, droit constitutionnel, etc.). Charles Girard et Alice Le Goff ont brillamment relevé le défi de rassembler cette diversité avec La démocratie délibérative, anthologie de textes fondamentaux, publié en 2010 aux éditions Hermann. Pour commencer, une riche introduction (101 pages) ouvre l’appétit du lecteur, que celui-ci soit néophyte ou déjà familier avec l’univers de la démocratie délibérative. Ensuite, neuf articles y sont présentés en ordre chronologique, allant de Jon Elster (1986) à Simone Chambers (2004), et la plupart des textes sont des traductions inédites réalisées par Girard et Le Goff. Il est toutefois décevant qu’un tel recueil ne contienne pas d’index. Par ailleurs, force est de saluer le choix éditorial des textes qui n’allait pas de soi, car les auteurs phares en théorie délibérative sont nombreux. En dehors des auteurs présents dans l’anthologie, nous pouvons évoquer Seyla Benhabib, Jane Mansbridge, Amy Gutmann et Dennis Thompson, Archon Fung, Bernard Manin, David Estlund et même Chantal Mouffe. Celle-ci oppose catégoriquement sa théorie agonistique à la théorie délibérative, mais au lieu d’une opposition stérile, les critiques de Mouffe devraient inspirer un réaménagement du modèle délibératif. C’est d’ailleurs la voie qu’a privilégiée Iris Marion Young, et cela explique la pertinence d’insérer son article « Communication et altérité » au sein de l’anthologie. Aucun texte de John Rawls ne se retrouve dans l’ouvrage, malgré sa grande influence sur les théories délibératives. Mais les éditeurs ont eu raison de préférer des écrits qui n’ont pas déjà été « largement commentés » (32) comme le sont les écrits de Rawls sur la raison publique, le primat de la justice sur le bien et le consensus par recoupement. Les trois premiers articles de l’anthologie situent la conception délibérative de la démocratie par rapport aux théories politiques concurrentes. Dans « Le marché et le forum », Jon Elster (1986) s’oppose aux théories agrégatives. Il s’agit probablement de la plus importante opposition pour bien saisir la motivation des démocrates délibératifs. Suivant le modèle agrégatif, l’État se contente de mettre en balance les préférences individuelles, prises comme données, pour guider les politiques publiques. Les notions de compréhension mutuelle et de bien commun sont simplement abandonnées, et cela fait de l’action citoyenne une action purement privée. La démocratie délibérative essaie de contrecarrer ce caractère privatif tout en restant à l’intérieur du cadre libéral. Elster critique aussi les conceptions purement instrumentales du politique, principalement représentées par Tocqueville et Hannah Arendt. Ces théories estiment que la valeur primordiale de la démocratie se trouve dans l’effet éducatif de la participation politique. Elster ne repousse pas cet effet éducatif, mais soutient cependant que la valeur de l’espace public repose essentiellement sur la …