Comptes rendus

Sylvain Portier, Fichte, philosophe du « Non-Moi ». Faut-il croire en l’existence d’un monde extérieur ? Préface d’André Stanguennec, Paris, L’Harmattan, Ouverture philosophique, 2010, 165 p.[Notice]

  • Manuel Roy

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  • Manuel Roy
    Humboldt Universität zu Berlin

Dans ce premier ouvrage sur Fichte, déjà, Portier défendait une interprétation rigoureusement idéaliste de la première philosophie de Fichte (1794-1799). Contre l’interprétation mise en vogue, en France, par Alexis Philonenko et son école, il y soutenait que le rapport du moi à l’altérité, chez le Fichte de la période d’Iéna, s’explique exclusivement à partir du moi lui-même. L’altérité reconnue et vécue comme radicale par le moi serait posée par ce dernier du sein de ce qu’il est en tant que moi. C’est dans le moi lui-même que s’effectuerait la fracture qui amènerait ce dernier à reconnaître la réalité de quelque chose qui lui est étranger — ce que Fichte appelle le non-moi. Celui-ci, d’après Portier, ne serait rien de plus, dans la perspective fichtéenne, que la représentation engendrée par l’activité inconsciente du moi. Originairement, le moi serait unité pure et absolue. En tant que pure activité réflexive, il serait absolue identité du sujet et de l’objet, c’est-à-dire qu’il n’y aurait en lui ni sujet ni objet, mais synthèse des deux. De par cette activité réflexive que constitue originairement le moi, dans l’acte même par lequel il fait retour sur soi, cependant, le moi s’affecterait et se sentirait lui-même. L’intuition intellectuelle posée par Fichte à l’origine de toute réalité, selon Portier, serait donc sentiment de soi. Cette auto-affection serait à l’origine de la scission survenue au sein du moi entre sujet et objet. Conformément aux explications fournies par Fichte aux § 5-8 de la Grundlage, le sentiment se rapporte à la fois au moi et au non-moi. Le sentiment tient le milieu entre l’activité et la passivité, dont il constitue la synthèse. Il est actif, puisque c’est toujours le moi qui sent. À cet égard, le sentiment correspond à une activité du moi et s’y rapporte. Mais il est également passif, parce que, dans le sentiment, le moi n’est pas libre de sentir ou non ce qu’il sent. Comme l’écrit Fichte : « Une contrainte est présente », et, à cet égard, le sentiment se voit rapporté à l’objet. Cette impression de contrainte, d’étrangeté du moi face à lui-même dans le sentiment, explique Portier, vient selon Fichte du fait que l’activité réflexive par laquelle le moi originaire s’affecte lui-même précède nécessairement la scission du moi en sujet et en objet dont elle conditionne la possibilité, et que cette activité est en tant que telle nécessairement inconsciente. Dans le sentiment, le moi se perçoit alors comme agissant — comme « sentant » —, mais sans avoir conscience de l’absolue autonomie de cette activité, qu’il vit comme lui étant imposée. Il pose alors l’origine de son activité hors de soi, = non-moi. C’est en ce sens que Portier, dans sa thèse, pouvait affirmer que ce qu’il appelle l’auto-affection sentimentale constitue chez Fichte « une synthèse du sujet et de l’objet » qui doit nous conduire à « rejeter les conceptions réalistes du monde », c’est-à-dire les conceptions du monde selon lesquelles notre perception de la réalité matérielle doit être expliquée par un objet transcendant l’appareil cognitif — traditionnellement appelé chose en soi. Bien loin d’être une illusion que la doctrine de la science aurait pour but d’élucider et de dénoncer, comme l’affirme Philonenko, l’absoluité du moi posée par Fichte au § 1 de la Grundlage, selon Portier, serait le principe premier à partir duquel Fichte, dans la suite du texte, chercherait à expliquer comment une altérité est possible pour le moi. Ce sont essentiellement ces conclusions, enrichies de nouvelles considérations, que Portier, dans son dernier ouvrage, présente à nouveau selon une approche qui se veut « pédagogique …

Parties annexes