Étude critique

Sens et neurosciencesÉtude critique de Paul Thagard, The Brain and the Meaning of Life, Princeton University Press, 2010, 274 pages[Notice]

  • Jean-Frédéric de Pasquale

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Sartre se trompait : nous ne créons pas le sens, et pas non plus les valeurs. Le sens et les valeurs trouvent leur source dans notre neurobiologie. Une philosophie informée par les neurosciences permet de répondre aux questions fondamentales de la philosophie traditionnelle : Quel est le sens de la vie ? Qu’est-ce que la réalité ? Comment la connaissons-nous ? Qu’est-ce qui rend une action bonne ou mauvaise ? C’est la thèse que défend Paul Thagard dans The Brain and The Meaning of Life. S’il n’est pas le premier à approcher la question du sens de la vie dans un cadre analytique ou naturaliste, il nous offre quelque chose qui est relativement rare de nos jours : un livre qui résume l’essentiel de la pensée philosophique de l’auteur sur les principaux problèmes de la philosophie en un système, ou quelque chose qui y ressemble beaucoup. « Les systèmes complets de philosophie ne sont plus à la mode, mais j’essaie de montrer comment s’agencent, les unes avec les autres, mes conclusions à propos du réalisme, de la cohérence, des conséquences morales, et des multiples dimensions du sens de la vie » (p. 11). La vision du monde développée dans le livre de Thagard constitue un système au moins au sens suivant : 1) elle touche à la plupart des domaines importants de la philosophie ; 2) elle est raisonnée et utilise une méthodologie unifiée (ici un naturalisme cohérentiste et neural) ; 3) ses parties « s’agencent les unes avec les autres ». Le tout forme selon Thagard un « argument étendu » (extended argument, p. xii) pour démontrer la pertinence des neurosciences dans les domaines traditionnels de la philosophie. En conséquence de ce qui précède, les trois principaux buts de la présente étude critique seront les suivants. Premièrement, nous évaluerons les solutions, souvent neuroscientifiques, aux problèmes traditionnels abordés par Thagard. Deuxièmement, nous essaierons de faire ressortir cet aspect (quasi-) systématique dans la description de l’ouvrage ; et troisièmement, nous évaluerons à quel point le développement du système démontre la pertinence de la méthode du naturalisme neural. Ceci est l’évaluation d’un système de philosophie dont la méthodologie est un naturalisme neural ; c’est pourquoi la priorité ira ici à la discussion de l’aspect neuroscientifique des arguments, même si d’autres niveaux d’explication sont examinés dans le livre (en accord avec le pluralisme de l’auteur). De plus, c’est un système de philosophie naturaliste : se concentrer sur l’analyse d’un seul argument serait manquer le but de l’ouvrage. Ne vous surprenez donc pas si des facettes variées du système sont abordées. La tâche de l’analyste est évidemment plus facile que celle du penseur synthétique, et c’est en toute modestie qu’elle est entreprise ici. Le livre de Thagard touche à presque tous les grands domaines de la philosophie, de l’épistémologie à la philosophie politique en passant par la philosophie de l’esprit, la morale et la théorie de la décision. Nous essaierons de donner une idée des sujets traités dans chaque chapitre, en nous concentrant sur ceux qui nous semblent les plus importants pour son projet d’un système basé sur le naturalisme neural. Le premier chapitre s’ouvre sur le constat posé par Camus selon lequel le point de départ de la philosophie est la question du suicide, qui à son tour peut être vue comme la question de savoir si la vie a un sens et si oui, lequel. Thagard se propose de répondre à cette question ainsi qu’à d’autres questions essentielles : Qu’est-ce que la réalité ? Comment la connaissons-nous ? Qu’est-ce qui fait qu’une action est bonne ou mauvaise ? La …

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