Les hommages à l’oeuvre de Michael Tomasello se multiplient. En 2006, il recevait le prix Jean Nicod et prononçait un cycle de conférences qui allait mener à la parution du livre Origins of Human Cooperation (MIT Press, 2008). En 2008, il était invité à prononcer les Tanners Lectures in Human Values à l’Université Stanford, lesquelles sont aujourd’hui reproduites dans Why We Cooperate, accompagnées des commentaires de Carol Dweck, Joan Silk, Elizabeth Spelke et Brian Skyrms. Ces deux ouvrages présentent un intérêt particulier pour les philosophes s’intéressant aux fondements du langage, de la coopération et de la normativité. Tomasello, directeur du département de psychologie comparée et développementale au Max-Planck-Institut für evolutionäre Anthropologie de Leipzig, y recense dans un langage accessible l’essentiel des recherches qu’il a menées avec ses collaborateurs au cours de la dernière décennie sur la cognition sociale des jeunes enfants et des grands singes. Il y multiplie également les ponts avec la littérature plus proprement philosophique sur les fondements des normes, des institutions et du langage. Au cours des dernières années, Michael Tomasello a tracé des liens de plus en plus nombreux entre ses recherches expérimentales et les travaux en ontologie sociale d’auteurs comme Margaret Gilbert, Raimo Tuomela et John Searle. Si le psychologue n’entre pas dans une analyse conceptuelle aussi détaillée que ces auteurs, il situe explicitement ses travaux dans le cadre d’une même enquête philosophico-psychologique sur l’intentionnalité partagée. Pour Tomasello, la psychologie comparée et développementale offre un portrait univoque : l’être humain possède un don unique pour l’intentionnalité partagée qui se développe de façon précoce dans la petite enfance et dont sont privés nos plus proches parents. Plus court que Origins of Human Communication, l’ouvrage Why We Cooperate n’offre pas une revue aussi détaillée de la littérature expérimentale, particulièrement pour ce qui est des grands singes. La première partie permettra néanmoins au néophyte de saisir les grandes lignes des recherches menées par Tomasello et ses collaborateurs, et leur pertinence pour les réflexions fondamentales sur la coopération, la normativité et le langage. Les enfants humains semblent nés pour la coopération. Dès l’âge de neuf mois, ils commencent à suivre le regard des adultes autour d’eux et prennent de plus en plus plaisir à partager l’attention d’autrui sur des objets saillants dans leur environnement. Très rapidement, ils apprennent à s’engager dans des actions et des jeux collectifs. Si les enfants nous apparaissent souvent égoïstes et centrés sur eux-mêmes, la comparaison avec les grands singes les montre plutôt prompts à partager et à aider leur prochain, même sans aucune contrepartie. Ces développements, soutient Tomasello, ne résultent pas d’abord d’un apprentissage de normes sociales ou culturelles par l’enfant, mais d’« une forme d’intelligence culturelle particulière, comprenant des aptitudes socio-cognitives uniques à notre espèce et des motivations pour la coopération, la communication, l’apprentissage social et d’autres formes d’intentionnalité partagée ». Tout n’est cependant pas inné pour Tomasello. Au cours de son apprentissage social, l’enfant découvre qu’un altruisme indiscriminé peut jouer à son désavantage et apprend peu à peu à coopérer de façon plus sélective. De même, il prend conscience que certaines actions ou pratiques sont appropriées à des contextes précis et développe rapidement des attentes par rapport à elles. Dans une expérience réalisée en collaboration avec Hannes Rakoczy et Felix Warneken, Tomasello enseigne à des enfants de trois ans à jouer un jeu selon certaines règles. Puis, il fait apparaître une marionnette manifestant sa volonté de participer au jeu, mais ne suivant pas exactement les règles fixées par l’expérimentateur. À coup sûr, la transgression des règles du jeu soulève la protestation des enfants : « Non, ça ne fonctionne pas …
Michael Tomasello, Why We Cooperate ? Cambridge (MA), MIT Press, 2009, 208 p.[Notice]
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Benoît Dubreuil
Université du Québec à Montréal