Comptes rendus

Josiane Boulad-Ayoub et Alexandra Torero-Ibad (dir.), Matérialismes des modernes. Nature et moeurs, Québec, Presses de l’Université Laval, 2009, 347 p.[Notice]

  • Christian Leduc

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  • Christian Leduc
    Université de Heidelberg

Depuis les importants travaux d’Olivier Bloch, de John Yolton et de Jean-Claude Bourdin, l’intérêt pour l’histoire du matérialisme moderne, en particulier dans son évolution au xviiie siècle, n’a cessé de croître. Le présent collectif, dirigé par Josiane Boulad-Ayoub et Alexandra Torero-Ibad, se situe tout à fait dans cette lignée interprétative. Les différentes études évaluent les philosophies qui sont soit résolument matérialistes, par exemple celles de Diderot et de d’Holbach, soit influencées, sur certains points, par le courant matérialiste, par exemple les pensées de Spinoza ou de Rousseau. Plusieurs aspects y sont étudiés, tant les débats théologiques et métaphysiques — à l’intérieur desquels les matérialistes évacuent d’importants fondements de la tradition chrétienne et idéaliste —, que les questions d’ordre pratique, débouchant sur une réévaluation, souvent radicale, des théories classiques en philosophie morale et politique. Selon les directrices de l’ouvrage, la démarche matérialiste consiste principalement en : « la réduction du surnaturel au naturel et celle du spirituel au matériel » (8-9). Ces réductions se manifesteraient dans différentes thèses, dont les plus importantes sont sans conteste l’athéisme, le rejet du caractère spirituel et substantiel de l’âme et la recherche d’un fondement naturel et immanent à l’autorité politique. Le premier texte est principalement consacré aux conséquences théoriques du polygénisme d’Isaac de La Peyrère. Maï-Linh Eddi y explique les raisons qui ont mené La Peyrère à soutenir la thèse d’une double création du monde : la première, pré-adamique, où l’univers, les animaux et les païens ont été créés par Dieu, la deuxième qui a par la suite engendré Adam et sa filiation. La Peyrère tentait, par cette distinction, de redonner une cohérence à certains récits bibliques qui posent de sérieux problèmes exégétiques ou chronologiques — par exemple, l’expulsion de Caïn par Dieu après le meurtre d’Abel ou la datation du déluge noachique (20-23). L’interprétation de la Bible devrait donc se fonder sur une méthode historique et critique qui établirait la véritable signification des récits rapportés. Selon Eddi, La Peyrère serait l’un des premiers commentateurs à fournir une interprétation des Saintes Écritures qui n’en explique pas seulement le sens métaphorique, mais inclut aussi des analyses philologiques et historiques (36). En cela, La Peyrère annoncerait en partie la méthode herméneutique adoptée par Spinoza dans le Traité théologico-politique. Dans le second chapitre, Alexandra Torero-Ibad examine les caractéristiques du matérialisme de Cyrano de Bergerac. Selon Torero-Ibad, la position défendue par Cyrano serait de type pluraliste, voire relativiste, et s’opposerait par conséquent à toute description systématique de la nature. Toutefois, le point d’ancrage de ce pluralisme méthodologique demeure l’explication de la matière, c’est-à-dire que Cyrano propose une multitude d’hypothèses qui contribuent toutes à justifier le matérialisme (41-42). Les sources de cette conception seraient à trouver principalement dans les philosophies d’Épicure et de Descartes. Mais le propre de l’auteur des États et Empires de la Lune etdu Soleil réside dans sa manière d’accumuler les explications matérialistes : par exemple, la théorie atomiste de Lucrèce se compléterait par la conception cartésienne de la matière comme étendue (63-64). En somme, chez Cyrano, ce serait la diversité des hypothèses physiques qui permettrait de renforcer la vision matérialiste de la nature. Guillaume Simard Delisle revient dans le troisième chapitre sur la philosophie de Spinoza, mais pour se concentrer sur la question de la tolérance. Les sources des théories de l’intolérance, chez Saint-Augustin et Bossuet, et de la tolérance, surtout chez Coornhert, sont d’abord résumées pour ensuite faire ressortir la particularité du spinozisme : chez Spinoza, l’idée de tolérance ne doit pas se comprendre depuis un fondement épistémologique, mais à partir de son sens théologique et politique (82). Les principaux éléments de …