Un des intérêts particuliers de l’analyse très complète de l’husserlianisme offerte par le Husserl de David W. Smith (2007, Routledge) est la façon dont elle parvient à trouver le juste équilibre entre les exigences d’une introduction et celles d’une authentique interprétation théorique. Le livre fournit en effet les deux à la fois et mérite à ce titre de retenir l’attention de tous les publics, du néophyte à l’expert en phénoménologie. Servi par un style d’une grande limpidité en même temps que par une connaissance approfondie de Husserl, dont l’auteur a déjà fourni de nombreuses illustrations dans des écrits antérieurs portant sur presque tous les aspects de la pensée de ce dernier, il couvre tous les éléments essentiels d’une des oeuvres les plus influentes de la philosophie allemande du xxe siècle, en même temps qu’il les présente dans une perspective aussi déterminée que stimulante, et qui n’hésite pas à trancher la plupart des débats que cette oeuvre a pu susciter. Le principe le plus essentiel de l’interprétation théorique qu’il défend est sans conteste que la pensée de Husserl est de nature systématique (cf. pp. 41 et 42). Un point qui, selon Smith, est insuffisamment reconnu, voire ignoré, au profit d’approches parcellaires qui favorisent tantôt la conception de la logique philosophique que cette pensée contient, tantôt celle de la perception, ou encore de l’incarnation, ou de n’importe quel autre des très nombreux sujets qu’elle a abordés. Et l’histoire des lectures de Husserl, tant celles que l’on doit à la tradition continentale qu’à la tradition analytique, justifie sans conteste cette critique, chacune des deux traditions ayant eu assurément tendance à ne retenir dans l’immense production husserlienne que ce qui présentait un intérêt immédiat pour ses propres préoccupations philosophiques, et à négliger le reste. Au point, par exemple, qu’une génération de philosophes qui ne connaissaient de l’husserlianisme que ce qu’ils avaient pu en apprendre chez un Sartre ou un Merleau Ponty, ignoraient pratiquement l’existence de l’analyse des fondements des mathématiques et de la logique qu’il avait pu proposer. Smith a indéniablement raison aussi de souligner le caractère remarquable de l’engagement de Husserl en faveur d’une telle conception de la philosophie à une époque où « maints philosophes avaient renoncé à la pensée systématique » (74), et, par voie de conséquence, de se donner comme principale ambition de mettre en pleine lumière l’unité systématique de sa réflexion. Une ambition clairement reflétée dans l’organisation même du livre. Après avoir proposé, dans le chapitre d’ouverture, un compte rendu vivant et détaillé de la vie du philosophe allemand et de l’incroyable richesse scientifique et intellectuelle qui l’entourait, Smith offre dans le second un aperçu d’ensemble de ce qu’il considère être son système, puis entreprend dans les suivants l’exploration successive des cinq principaux composants de ce dernier, à savoir : la logique, l’ontologie, la phénoménologie, l’épistémologie et l’éthique. Restaurer l’unité de la pensée de Husserl constitue un vrai défi pour deux raisons essentielles : d’une part le simple volume de ses écrits, et d’autre part la relative pauvreté des réflexions qu’ils contiennent quant à ce qui fait leur cohérence. Encore que l’on puisse reprocher à Smith, de ce point de vue, de ne pas suffisamment souligner l’importance des nombreux exposés programmatiques de l’entreprise phénoménologique que Husserl nous a légués, et tout particulièrement du premier volume de ses Idées pour une phénoménologie pure de 1913. De fait, bien que ces exposés soient principalement axés sur la composante proprement phénoménologique de sa pensée, la plupart d’entre eux n’en contribuent pas moins à clarifier la façon dont elle s’articule avec les autres. Relever un tel défi requiert par ailleurs à …
Husserl, « parangon du sémanticien » ?[Notice]
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Jean-Michel Roy
Université de Lyon
École normale supérieure Lettres et Sciences humaines