La controverse n’effraie pas le neurobiologiste Maxwell Bennett et le philosophe Peter Hacker. Dans leur premier ouvrage conjoint publié chez Blackwell en 2003, Philosophical Foundations of Neuroscience (ci-après, PFN), ces spécialistes aux antipodes du savoir humain (l’un travaille sur la synapse, l’autre sur Wittgenstein) soutiennent qu’une erreur conceptuelle plate repose au fondement d’un des domaines d’études les plus actifs en science aujourd’hui, soit les neurosciences cognitives. En un mot comme en cent, leur ouvrage se résume : 1) à énoncer et expliquer l’erreur conceptuelle en question, qu’ils nomment « l’erreur méréologique » (mereological fallacy) et qui consiste à attribuer les propriétés d’un tout à une de ses parties ; puis 2) à montrer encore et encore à quel point les neurosciences cognitives en sont coupables. Ainsi, lorsque Francis Crick affirme que ce que l’on voit est ce que notre cerveau croit être là, il commet l’erreur méréologique (PFN, p. 75) ; lorsque Sperry et Gazzaniga disent que l’hémisphère gauche fait des choix, ils commettent l’erreur méréologique (PFN, p. 78), et ainsi de suite pour 490 pages d’un volume grand format (24 x 17 cm). Nous avons déjà publié dans ces pages une étude critique de l’ouvrage polémique de Bennett et Hacker, aussi inviterons-nous ici le lecteur intéressé à en savoir davantage sur cet ouvrage à prendre connaissance de notre étude. De manière prévisible, la réponse s’est divisée en deux camps : les épigones de Wittgenstein d’un côté, et l’ensemble des sciences cognitives de l’autre. Ainsi, pour l’éminent spécialiste de Wittgenstein, Sir Anthony Kenny : « This remarkable book, the product of a collaboration between a philosopher and neuroscientist, shows that the claims made on behalf of cognitive science are ill-founded » (PFN, p. 2) (notez : non pas « argumente » ou « soutient », mais « montre » [shows]). Plus circonspect, un autre éminent (néo)wittgensteinien, G. H. von Wright, dira que l’ouvrage « will certainly, fora long time to come, be the most important contribution to the mind-body problem which there is » (PFN, p. 2). Écrivant dans Philosophical Investigations, journal principal de l’érudition wittgensteinienne et dont Hacker est éditeur associé, David Cockburn, lui-même éditeur associé du journal, écrit : « There are, I think, grounds for hope that this book will do an enormous amount of good, both in correcting philosophical confusion within neuroscience and in promoting a new style of dialogue between neuroscience and philosophy ». Bien sûr, d’autres philosophes moins associés à Wittgenstein ont également apprécié le travail de Bennett et Hacker, mais les réponses les plus favorables des chercheurs en sciences cognitives se résument au poli et quasi obligé « tous ceux qui s’intéressent aux neurosciences devraient lire cet ouvrage » (formule que nous avons nous-même reprise dans l’étude susmentionnée). Pour trouver des réponses plus tranchantes, il aura fallu attendre que les deux seuls philosophes à l’attaque desquels Bennett et Hacker ont consacré un chapitre chacun soient invités à répondre, dans le cadre d’un symposium organisé au colloque de l’Association américaine de philosophie (APA) en 2005. Pour comprendre la place de ces deux philosophes dans l’affaire, il convient de rappeler un peu la structure de l’ouvrage de Bennett et Hacker. Les deux premiers chapitres de PFN présentent rapidement l’histoire de nos conceptions de l’esprit en mettant l’accent sur deux grandes traditions, aristotélicienne et cartésienne. Le but de ces sections est de montrer que les neuroscientifiques ne se sont jamais vraiment débarrassés du dualisme cartésien. Vient ensuite le fameux chapitre exposant l’erreur méréologique, puis trois grandes parties comprenant chacune plusieurs chapitres : l’une exhibant l’erreur dans l’étude neuroscientifique cognitive des …
Maxwell Bennett, Daniel Dennett, Peter Hacker, John Searle, Neuroscience and Philosophy, New York, Columbia University Press, 2007, 215p.[Notice]
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Nicolas Payette
Université du Québec à MontréalPierre Poirier
Université du Québec à Montréal