Résumés
Résumé
Un des enjeux les plus importants pour la compréhension des Recherches Logiques et pour l’unité de la pensée d’Edmund Husserl réside dans la question du caractère idéaliste ou réaliste du projet philosophique de l’ouvrage. Dans cet article, je me penche sur cette question et établis, à partir d’un commentaire de passages clefs du texte, que la philosophie du jeune Husserl est bel et bien réaliste, à la fois en ce qui concerne le réal et l’idéal. Je montre aussi ce qu’il y a d’erroné dans deux autres lectures de Husserl sur cette question, à savoir la lecture idéaliste et celle voulant qu’il adhère à une forme de neutralité métaphysique.
Abstract
One of the most important issues for the understanding of the Logical Investigations and for the unity of Edmund Husserl’s thought consists in the question of the realistic or idealistic character of its philosophical project. In this paper, I address this issue and establish on the basis of a close commentary of the text that the philosophy of the young Husserl is realistic both regarding the realm of the real and the one of the ideal. I also show what is wrong with two other readings of Husserl on this question : the idealistic and the neutral point of view readings.
Corps de l’article
Selon une majorité d’interprètes contemporains de la pensée de Husserl, le père fondateur de la phénoménologie défendrait une forme originale et particulière d’idéalisme qu’il a lui-même explicitement professée et qualifiée de transcendantale[2]. Malgré sa particularité, cet idéalisme serait du même type que celui défendu par les autres grandes figures de la philosophie allemande. Parmi ces interprètes, on est même allé jusqu’à soutenir que Husserl serait idéaliste de manière non contingente, car la phénoménologie de Husserl serait idéaliste en vertu de thèses indissociables de son projet phénoménologique, voire de thèses au fondement de sa conception de la phénoménologie[3]. De plus, de l’avis de plusieurs, cela serait vrai non seulement de la phénoménologie transcendantale, mais également du projet philosophique des Recherches logiques[4]. En effet, même si l’on admet que l’introduction de la réduction transcendantale constitue un tournant dans la pensée de Husserl, de même qu’un élément central de l’idéalisme transcendantal qu’on lui attribue, il n’y aurait pas lieu de penser que l’idéalisme n’apparaît chez Husserl qu’avec la réduction et qu’il faudrait, pour cette raison, remettre en cause l’unité de sa pensée. Dans les faits, Husserl aurait, du point de vue de ces interprètes, toujours été idéaliste et il le serait du seul fait de sa conception de la phénoménologie ou de sa conception du projet phénoménologique[5].
Si le caractère idéaliste de la phénoménologie transcendantale est plus rarement contesté[6], il n’en va toutefois pas de même de la question du caractère idéaliste de la philosophie des RL. En effet, dans les années qui suivirent la parution de cet ouvrage, nombreux sont ceux qui comprirent sa première philosophie comme étant clairement réaliste — « réalisme » entendu ici au sens de « réalisme métaphysique » — et refusèrent de suivre Husserl sur la voie des Ideen parce qu’ils voyaient dans le tournant transcendantal une adhésion injustifiée à l’idéalisme. On pense ici bien entendu à ses étudiants des groupes de Munich et de Göttingen[7], mais on oublie souvent qu’ils n’étaient pas seuls de leur camp[8]. Ainsi, contrairement à ce qui prévaut actuellement, les premiers phénoménologues et premiers lecteurs de Husserl ont conçu sa philosophie comme étant réaliste. C’est là un fait que l’intérêt démesuré accordé à la phénoménologie transcendantale et l’attachement aveugle à une exigence d’unité de la pensée de Husserl de même qu’à l’idée d’une filiation forte de la pensée husserlienne avec la philosophie allemande ont contribué à occulter[9], tout particulièrement dans le monde francophone.
Mais, depuis les années 80, nombreux sont les spécialistes de Husserl et de la période des RL à avoir remis en cause cette « lecture » de Husserl. Leurs interprétations pénétrantes de l’ouvrage abondent dans le sens des premiers lecteurs du fondateur de la phénoménologie et ont bien montré ce qui a trop souvent été négligé, à savoir le fait que les RL s’inscrivent avant tout dans le contexte philosophique de l’école de Brentano, contexte qui était réaliste et résolument anti-idéaliste, un anti-idéalisme qui était même clairement dirigé contre Fichte, Schelling et Hegel[10]. Ce faisant, ils ont remis à l’ordre du jour la question du réalisme ou de l’idéalisme des RL et ont sérieusement contribué à établir le fait que Husserl adhère bel et bien, dans cet ouvrage, à une forme de réalisme métaphysique. Mais ils n’ont pas entrepris de démontrer que Husserl était réaliste dans les RL, ni même de montrer en quoi consiste exactement son réalisme.
Le présent d’article n’a d’autre but que de faire la lumière sur ces deux questions. Pour ce faire, je présenterai, dans un premier temps, des caractérisations standards du réalisme et de l’idéalisme de façon à bien spécifier les termes du débat. J’entreprendrai ensuite de montrer que les positions constitutives du réalisme sont bien présentes dans les RL et que ce réalisme est présent à la fois en ce qui concerne le réal et l’idéal. J’écarterai ensuite ce que je montrerai n’être qu’une erreur de lecture qui constitue à mon avis le principal argument des partisans d’une lecture idéaliste en faveur de leur position. Enfin, j’examinerai une position qui connaît aussi de nombreux partisans et que l’on pourrait qualifier de modérée. Selon cette dernière position, Husserl n’adhérerait, dans les RL comme dans le reste de son oeuvre, ni au réalisme, ni à l’idéalisme, ni à aucune autre position apparentée, du fait qu’il rejetterait ce débat en raison de son caractère métaphysique. Il aurait ainsi préféré s’en tenir à une position de neutralité sur la question (5.).
2. Réalisme versus idéalisme
La première difficulté à laquelle on est confronté dès qu’il s’agit de disputer de quelque question que ce soit entourant le réalisme ou l’idéalisme est celle de savoir ce que l’on entend au juste par ces deux notions. Souvent invoqués, considérés comme des positions fondamentales en métaphysique, le réalisme et l’idéalisme sont toujours en attente de définitions canoniques. À l’intérieur même de chacun de ces deux courants, on distingue différents types de réalisme et d’idéalisme et on ne s’entend pas toujours sur une bonne définition de ces deux notions. Ainsi, bon nombre des débats autour de ces notions et, notamment, ceux entourant la question du réalisme ou l’idéalisme de la pensée de Husserl, tournent à la discussion stérile, simplement parce qu’on n’a pas su s’entendre, au départ, sur la signification des termes du débat. Afin de ne pas tomber dans ce piège, il m’importe ici de lever toute ambiguïté en spécifiant les significations que j’attacherai à « réalisme » et « idéalisme ». Les caractérisations que je propose ici se veulent minimales et consensuelles en ce sens que je n’entends retenir que les éléments que l’on attribue généralement à ces deux courants. L’ensemble de ces éléments n’en constitue pas moins, pour chacune de ces notions, des ensembles de conditions nécessaires et suffisantes afin d’être un réaliste ou un idéaliste.
Lorsqu’on considère ce que l’on dit sur la nature du réalisme et sur ce que l’on considère être une philosophie réaliste, il semble que trois thèses soient invariablement et minimalement associées à cette position; soit deux thèses ontologiques et une thèse épistémologique. De ces trois thèses, il y en a une qui est, sans contredit, le plus souvent associée au réalisme et elle constitue, à n’en point douter, une condition nécessaire à toute forme de philosophie se réclamant de ce courant. Je la formulerai personnellement comme suit :
TR1 : Ce qui existe, existe objectivement.
Par « ce qui existe », il faut entendre ici tout ce qui est, peu importe ce que c’est et indépendamment de ce que l’on en sait. « Existe objectivement », au sens de TR1, tout et uniquement tout ce qui existe indépendamment de quelque représentation de cette chose par quelque subjectivité connaissante que ce soit[11]. Par « existe indépendamment », il faut comprendre l’indépendance ontologique : une entité x est ontologiquement indépendante d’une autre entité y si et seulement s’il est possible pour x d’exister si y n’existe pas[12]. Enfin, l’idée de « subjectivité connaissante » ne doit pas être prise comme se limitant aux êtres humains concrets qui nous entourent. Le terme doit plutôt être compris comme désignant tout ce qui peut théoriquement se représenter quelque chose, que ce soit une conscience particulière ou transcendantale, la raison pure, Dieu, ou une machine intelligente.
Cette première thèse est étroitement liée à une seconde thèse ontologique qui, elle, n’est toutefois pas aussi souvent explicitement associée au réalisme. Les réalistes eux-mêmes ne se donnent d’ailleurs pas toujours la peine de défendre l’une et l’autre distinctement. En fait, les deux thèses sont souvent considérées comme allant de pair et adhérer explicitement à l’une des deux constitue ipso facto, aux yeux de certains, une adhésion implicite à la seconde. En fait, il semble que, pour plusieurs réalistes, adhérer à TR1 va de pair avec adhérer à TR2 et adhérer à TR2 présuppose l’adhésion à TR1, non pas pour des raisons de nécessité conceptuelle ou logique, mais tout simplement pour des raisons de vraisemblance sur le plan métaphysique : adhérer à TR2 sans adhérer à TR1 est une position possible sur le plan conceptuel, mais peu vraisemblable et sans grand intérêt sur le plan métaphysique. Cela dit, dans la mesure où la seconde thèse n’est pas contenue dans la première ni n’en découle logiquement et dans la mesure où elle constitue une condition nécessaire du réalisme, une caractérisation de cette notion qui ne la spécifierait pas ne saurait être adéquate. Cette seconde thèse, c’est l’idée que, en plus de l’existence objective, ce qui existe a aussi un être ou une nature objective. Les choses existantes sont ce qu’elles sont, elles ont les propriétés qu’elles ont et sont dans les relations dans lesquelles elles sont avec d’autres objets de manière objective, c’est-à-dire indépendamment de nos représentations de ce qu’elles sont. Je formulerai cette thèse comme suit :
TR2 : Ce qui existe est objectivement ce qu’il est.
Par « être objectivement ce qu’elle est », il faut entendre ici, pour toute entité existante, « être ce qu’elle est indépendamment de la façon dont quelque subjectivité connaissante que ce soit se la représente ». Autrement dit, pour un réaliste, les choses sont ce qu’elles sont indépendamment de comment quelque subjectivité que ce soit se les représente. Il y a, pour tout réaliste, une nature objective des choses qui existent, une forme d’être en soi de la réalité[13]. Cette nature objective est ontologiquement indépendante de nos représentations de comment sont les choses : peu importe comment on les conçoit, peu importe même si qui que ce soit conçoit la réalité de telle ou de telle autre manière, les choses qui existent sont ce qu’elles sont et c’est cela que le réaliste appelle l’être en soi, l’être objectif ou la nature objective de la réalité. Ainsi, sur le plan ontologique, le réaliste soutient une première thèse dans laquelle il pose l’existence objective de tout ce qui existe et une deuxième qui pose la nature objective de tout ce qui existe objectivement.
Bien que nécessaire, la conjonction de TR1 et TR2 ne suffit pas à caractériser adéquatement le réalisme. Pour ce faire, il manque en fait encore une thèse. En effet, les réalistes sont attachés à l’idée qu’il y a quelque chose comme la Vérité qu’ils conçoivent généralement comme la représentation, description ou théorie adéquate de la réalité. Autrement dit, c’est la théorie qui énonce ou qui représente de manière adéquate ce qui est objectivement le cas, c’est-à-dire ce que l’on a appelé en TR2 la nature objective de tout ce qui existe, de la réalité. Une autre façon de la caractériser consiste à dire qu’il s’agit de la théorie qui est rendue vraie par la réalité. Ainsi conçue, la Vérité s’avère donc secondaire par rapport à l’existence et à la nature objectives de la réalité, à tout le moins dans le sens suivant : c’est parce qu’il y a objectivement une réalité et que cette réalité est objectivement ce qu’elle est qu’il y a une théorie ou une façon adéquate de décrire la réalité. Bref, qu’il y a la Vérité. Mais, pour le réaliste, la Vérité est non seulement secondaire par rapport à la réalité, mais elle est rendue possible et existe ipso facto du fait et uniquementdu fait de l’existence et de la nature objectives de la réalité. Existence et nature objectives de la réalité suffisent à elles seules à faire en sorte qu’il y ait la Vérité. Par conséquent, pour eux, la Vérité est non seulement secondaire par rapport à la réalité, mais elle est objective. Elle n’est nullement le produit, ne serait-ce qu’en partie, de quelque subjectivité connaissante que ce soit. Seule sa reconstitution par une subjectivité, qui est toujours numériquement distincte de la Vérité, est un produit en partie subjectif. Pour les réalistes, l’existence et la possibilité qu’il y ait la Vérité sont complètement indépendantes de la connaissance ou de la possibilité de la connaissance de la Vérité : il peut très bien y avoir la Vérité même si aucune subjectivité connaissante ne la connaît ou même si aucune subjectivité connaissante ne peut la connaître. Ainsi, dût-il n’y avoir aucune subjectivité connaissante tout court ou encore aucune subjectivité connaissante qui cherche à reconstituer ou connaître la Vérité, voire même aucune subjectivité connaissante existante qui ne puisse, dans les faits, connaître la Vérité, celle-ci existera toujours du moment qu’il y a une réalité objective.
Mais, diront certains, à quoi bon une vérité, voire la Vérité, si celle-ci ne peut être connue? C’est dans ce contexte qu’intervient la troisième thèse constitutive du réalisme, thèse que j’ai qualifiée d’épistémologique au début de la présente section. En effet, forts de la thèse de l’existence de la Vérité introduite dans le paragraphe précédent ainsi que de TR1 et TR2, les réalistes n’admettront l’éventualité de l’impossibilité épistémique de la saisie de la Vérité que comme une simple possibilité théorique et soutiendront sa contradictoire :
TR3 : Il est en principe possible de connaître la Vérité.
La possibilité de principe dont il est ici question est une possibilité épistémique qui ne présuppose absolument aucune théorie de la connaissance particulière, ni même quoi que ce soit au sujet de la subjectivité connaissante supposée pouvoir connaître la Vérité. Chaque réaliste est libre de rendre compte de cette possibilité de principe à partir de la théorie de la connaissance qui lui paraît être la bonne, mais tous pensent qu’une bonne théorie de la connaissance rendra compte de cette possibilité et fournira à TR3 sa justification. L’idée ici que tous les réalistes partagent est qu’il est possible, pour une subjectivité connaissante, voire même une subjectivité humaine, de saisir ou découvrir la théorie vraie concernant tout ce qui existe et, par le fait même, de connaître l’ensemble de ce qui existe, la réalité, telle que c’est réellement ou objectivement[14].
Les idéalistes étant rarement passés maîtres dans l’art de l’expression claire de leur pensée, l’idéalisme m’apparaît plus difficilement caractérisable que le réalisme. Il est clair toutefois qu’il s’oppose au réalisme et il semble aussi que l’on ne puisse le caractériser adéquatement sans admettre une distinction entre au moins deux grands types d’idéalisme. Dans un cas comme dans l’autre, on part d’une position épistémologique contraire à TR3 pour conclure à la véracité de thèses ontologiques contraires à celles défendues par les réalistes. Je formulerai comme suit la thèse épistémologique commune aux deux types d’idéalisme :
TI1 : Il est en principe impossible de connaître ou décrire ce qui existe tel qu’il est.
C’est la thèse kantienne de l’impossibilité de saisir le nouménal. Les motifs invoqués en faveur de cette impossibilité peuvent être de nature épistémique, métaphysique ou même épistémique et métaphysique. Indépendamment de cela, le point de départ de l’idéalisme consiste en cette idée que l’on ne peut pas saisir pleinement ce que les réalistes appellent « la réalité » ou la totalité de ce qui est censé exister objectivement.
Sur la base de cette théorie épistémologique, les idéalistes vont normalement être amenés à adhérer à l’une ou l’autre, voire aux deux thèses suivantes, qui sont en fait des négations de TR1 et TR2 :
TI2 : Il n’y a rien qui existe objectivement,
TI3 : Rien de ce qui existe n’est objectivement ce qu’il est.
« Objectivement » et « être objectivement ce qu’il est » doivent être entendues ici exactement au sens qu’on leur a donné en introduisant TR1 et TR2. L’adhésion à TI2 correspond à ce que l’on considère communément être l’idéalisme de Berkeley : être, c’est être perçu. En revanche, la seule adhésion à TI3 ou l’emphase sur TI3 est généralement considérée comme étant plus conforme à la position de l’idéalisme allemand[15]. C’est donc plutôt à ce second type d’idéalisme que l’on associe Husserl lorsqu’on soutient qu’il adhère à une forme d’idéalisme transcendantal. Cela dit, je tâcherai de montrer que Husserl n’adhérait à aucune de ces thèses dans les RL.
Notons en terminant que ces caractérisations du réalisme et de l’idéalisme doivent être comprises comme portant sur tout ce qui existe. Autrement dit, on en fait ici implicitement des sortes de positions métaphysiques globales ou généralisées dans la mesure où elles sont présentées comme s’étendant à l’ensemble de ce qui est. Mais un philosophe peut très bien aussi vouloir restreindre son réalisme ou son idéalisme à un domaine bien spécifique de la réalité. Un philosophe peut très bien, par exemple, être réaliste en ce qui a trait aux entités du monde extérieur, mais ne pas admettre la réalité objective des valeurs, du bien et du mal ou des objets sociaux. Ce philosophe défendrait ainsi un réalisme partiel en ce sens où son réalisme se limiterait aux entités naturelles. On est donc réaliste ou idéaliste par rapport à un domaine de référence donné, et le réalisme ou l’idéalisme que l’on défend peut ainsi varier en fonction de l’étendue de sa portée et du domaine d’être auquel il se limite.
3. La position de Husserl dans les RL
Les termes du débat ayant été ainsi clarifiés, reste maintenant à déterminer à quel ensemble de caractérisations Husserl adhère dans les RL et dans quelle mesure cela constitue une position généralisée ou non. Qu’en est-il dans les faits? Ce qu’une lecture attentive du texte révèle sur cette question, c’est que Husserl fait explicitement siennes, à différents endroits dans son ouvrage, aussi bien TR1, TR2 que TR3. Il le fait en relation avec la réalité physique ou ce qu’il appelle le monde réal, mais aussi en ce qui concerne l’idéal, c’est-à-dire le monde des significations idéales, des règles de la logique et des entités mathématiques. Je ne relèverai pas ici toutes les occurrences d’adhésion explicite ou implicite à chacune des thèses constitutives du réalisme dans les RL, mais m’en tiendrai aux passages clefs où l’adhésion est manifeste pour chacune des deux sphères de la réalité admises par Husserl.
En ce qui concerne la réalité spatio-temporelle ou ce que Husserl appelle le « réal », l’adhésion au réalisme est explicite et manifeste au chapitre XI des Prolégomènes. Dans ce chapitre, Husserl présente son projet de logique pure en tant que Wissenschaftslehre ou « Doctrine de la science » afin d’en donner un aperçu conceptuellement clair, exigence préalable à l’introduction du propos des recherches subséquentes. Le chapitre est donc l’occasion d’apporter un bon nombre de précisions relativement aux thèses qui fondent son projet et il est, pour cette raison, d’un grand intérêt pour la question qui nous occupe ici. Ainsi, au § 62, Husserl aborde une question fondamentale pour la doctrine de la science, soit celle de l’unité de la science qu’il fait alors reposer, d’une part, sur le lien ou la connexion objective entre les objets du domaine d’investigation ou encore l’êtreen soi de la réalité et, d’autre part, sur la vérité en soi ou la connexion objective des vérités qui constitue selon lui le corrélat de l’être en soi :
Il convient, cependant, ici de procéder avec plus de précision et de clarté. Par l’ordre objectif qui forme la trame idéelle de la pensée scientifique et lui confère, ainsi qu’à la science comme telle une « unité », l’on peut entendre deux choses différentes : ou bien la connexion des choses auxquelles se rapportent intentionnellement les vécus de pensée réels (ou possibles), ou bien la connexion des vérités, dans lequel l’unité de la chose prend une valeur objective, comme étant ce qu’elle est. Les deux connexions sont a priori données ensemble et sont indissociables. Rien ne peut être qui ne soit déterminé de telle ou telle manière; et que cela soit et soit déterminé de telle et telle manière, c’est cela précisément la vérité en soi, qui constitue le corrélat nécessaire de l’être en soi[16].
La connexion des objets qui donne à la science en général son unité est objective. Il s’agit d’une unité qui est en soi et non pour quelque subjectivité que ce soit. Absolument rien, nous dit Husserl, ne peut être sans être déterminé de telle ou telle autre manière; tout ce qui est a un être tel (So-sein) objectif ou, dans le vocabulaire de la section précédente, une nature objective, et tout cela constitue « l’être en soi » ou encore la nature objective de la réalité. Ainsi, dans ce passage, on trouve une adhésion claire de la part du fondateur de la phénoménologie à TR2[17].
Dans les faits, il y a toutefois plus, dans ledit passage, qu’une adhésion explicite à TR2. En effet, Husserl y fait également référence à une notion de vérité en soi (« que cela soit et soit déterminé de telle et telle manière, c’est cela la vérité en soi ») et il établit un rapport de proximité et de subordination de celle-ci à l’être en soi, dans la mesure où les deux sont indissociables et que la vérité en soi est dite être le « corrélat nécessaire de l’être en soi ». Or, comme nous l’avons vu à la section précédente, c’est là l’essentiel ou le coeur de la conception de la Vérité défendue par les réalistes, conception qui sous-tend leur adhésion à TR3. Pour un réaliste, la Vérité est secondaire par rapport à la réalité objective : c’est parce qu’il y a une réalité objective qu’il y a une théorie énonçant ou représentant adéquatement la réalité. Ici, Husserl parle de la vérité quasiment dans les mêmes termes que ceux attribués aux réalistes à la section précédente, puisqu’elle est dite être le corrélat de l’être en soi : la vérité est, pour lui, « que cela soit et soit déterminé de telle et telle manière », c’est-à-dire le pendant de la réalité objective, puisque celle-ci est caractérisée comme ce qui est « déterminé de telle ou telle manière ». De plus, on retrouve également cet autre élément de la conception réaliste qui veut que la réalité objective suffise à rendre possible et, ipso facto, existante, la vérité objective, dans l’idée que la vérité en soi n’est pas seulement le corrélat de l’être en soi, mais son corrélat nécessaire : pour Husserl, le seul fait qu’il y ait une réalité objective fait qu’il doit y avoir un tel corrélat. Les deux sont données « ensemble », nous dit Husserl, et sont « indissociables ».
Mais il y a plus encore. En effet, nous avons également vu qu’une des particularités de la conception réaliste de la vérité est que celle-ci est objective : la vérité n’est pas quelque chose qui est en partie subjectivement constituée ou construite, mais quelque chose de complètement indépendant, que l’on ne peut que découvrir et dont la possibilité et l’existence ne sont fonction que de l’existence et de la nature objectives de ce qui existe. Bref, ce qu’elle est n’est pas déterminé par une subjectivité, mais uniquement par la nature de ce dont elle est une description ou une représentation adéquate. Or, Husserl adhère explicitement à cette autre particularité du concept de vérité des réalistes dans les RL. Pour lui, la « vérité en soi », ou ce qu’il appelle ailleurs dans son ouvrage l’« empire de la vérité », a une unité qui lui est propre — sa nature objective dirait un bon réaliste — ce qu’il appelle son « unité de la légalité » (Einheit der Gesetzlichkeit), qui n’est, dit-il, aucunement inventée par qui que ce soit, mais bien découverte. De plus, elle réside, nous dit-il, dans les choses, et non dans la subjectivité :
L’empire de la vérité n’est pas un chaos inorganisé, en lui règne l’unité de la légalité. La systématisation, qui est propre à la science, à la science véritable naturellement, ce n’est pas nous qui l’inventons, elle réside dans les choses où nous ne faisons que la trouver, la découvrir[18].
On peut difficilement espérer une adhésion plus manifeste dans un ouvrage de philosophie à ce présupposé de TR3.
Cela dit, le fait qu’il adhère clairement aux thèses réalistes sous-tendant TR3 ne suffit pas à prouver qu’il adhère effectivement à cette thèse. Disons seulement que cela permet de constater que tout l’arrière-plan théorique pour y adhérer est présent dans sa philosophie et qu’il n’y a pas d’obstacle philosophique à cette adhésion. Mais l’adhésion elle-même, c’est ailleurs qu’il faut la chercher. En fait, le lecteur attentif l’aura trouvée au § 62 des Prolégomènes, juste un peu après le passage du paragraphe cité précédemment. Husserl affirme à cet endroit :
Or, en accomplissant un acte de connaissance, [...] nous « avons affaire à l’être objectuel » que cet acte signifie et pose; et si c’est bien une connaissance au sens le plus strict du mot, c’est-à-dire si nous jugeons avec évidence, alors l’être objectuel est originairement donné. [...] Il n’est pas seulement présumé être constitué (beschaffen) de telle ou telle manière, mais il l’est réellement, et c’est en tant que constitué (beschaffen) de telle ou telle manière qu’il est donné à notre connaissance[19].
Le fondateur de la phénoménologie parle de la connaissance, celle, nous dit-il, qu’il considère comme la connaissance véritable ou, dans ses propres mots, comme la connaissance « au sens le plus strict du mot », et il la caractérise comme celle dans laquelle « l’être objectuel est originairement donné », non pas tel qu’il estprésumé être constituépar la subjectivité, mais bien tel qu’il est réellement constitué, constitué (beschaffen) n’étant pas dans ce dernier cas à comprendre au sens du processus cognitif par lequel l’objet est construit dans la conscience, mais bien au sens de la structure ou de la nature de l’objet. C’est là ce que l’on a appelé dans la littérature le « réalisme naïf » de Husserl qui tranche avec certains des membres de l’école de Brentano[20]. Autrement dit, pour Husserl, la connaissance véritable, celle qu’il croit possible et dont les RL doivent établir la possibilité, est en fait la saisie de la réalité telle qu’elle est objectivement. Ainsi, il est clair, à la lumière de ce passage, que Husserl adhère à TR3 dans les termes mêmes de TR3. Pour lui, non seulement on peut, en principe, connaître la réalité telle qu’elle est, mais il est même exclu que la connaissance au sens strict du mot, celle à laquelle il aspire, ne consiste qu’en une sorte de reconstruction de ce que l’être objectif de la réalité est présumé être par une subjectivité connaissante aux facultés limitées. Cela serait très certainement la position d’un antiréaliste, mais, à l’évidence, ça n’est pas celle de Husserl.
Mais l’engagement de Husserl dans les Prolégomènes s’étend aussi clairement à TR1 lorsqu’il est question de l’ensemble du réal. En effet, toujours au § 62, Husserl revient sur la façon dont il faut concevoir le lien entre l’être en soi et la vérité en soi. S’il était idéaliste, il ne devrait pas admettre de distinction entre la description ou la représentation adéquate de la réalité (qu’il s’agisse ou non d’une description objective ou d’une représentation subjective) et la réalité en soi. Étant donné TI2, on ne peut en effet admettre de distinction complète entre les deux : du fait qu’elle n’existe pas indépendamment de la représentation (TI2) et du fait qu’elle n’est pas ce qu’elle est indépendamment de la représentation (TI3), toute entité objectuelle est de la représentation. Il ne s’agit pas de quelque chose de complètement distinct de la représentation : une réalité non représentationnelle. Mais la première chose que Husserl fait au § 62 après avoir introduit ladite distinction est justement d’en écarter la lecture n’allant pas à l’encontre de l’interprétation idéaliste. Pour lui, les états de choses (l’être en soi objectuel) et les vérités, c’est-à-dire ce qui constitue la représentation de l’objectualité, sont complètement distincts et, même si elle s’exprime dans des vérités objectives, l’existence réelle des états de choses, de l’être en soi, ne dépend aucunement de ces vérités :
Ce qui vaut pour les vérités et les états de choses isolés vaut manifestement aussi pour les connexions de vérité et les connexions d’états de choses. Mais cette indissociabilité évidente n’est pas une identité. L’existence réelle des choses et des connexions de choses s’exprime dans les vérités ou les connexions de vérités qui s’y rapportent. Mais les connexions de vérités sont autres que les connexions des choses qui sont « véritablement » en elles; ce dont nous trouvons aussitôt la preuve dans ce fait que les vérités s’appliquant à des vérités ne coïncident pas avec les vérités s’appliquant aux choses posées dans ces vérités[21].
L’être en soi existe donc indépendamment des représentations adéquates de l’être en soi[22]. Husserl adhère donc non seulement à TR2, mais il adhère aussi clairement à TR1 en ce qui concerne la totalité du réal.
En ce qui concerne l’idéal, la question du réalisme de Husserl dépend ici du statut ontologique des entités idéales, notamment de leur rapport aux subjectivités connaissantes, ainsi que de la possibilité de la connaissance de ces entités idéales. En principe, le fait que les entités idéales (les unités de signification, les nombres, les règles de formation et d’inférences logiques, les schèmes de bon raisonnement, bref toute entité abstraite reconnue par Husserl et qui n’est pas spatiotemporellement déterminée), soit constitutive de la vérité en soi et le fait que celle-ci ait été présentée comme objective au § 62 des Prolégomènes constituent des raisons suffisantes pour inférer que Husserl conçoit les entités idéales comme ayant à la fois une existence et une nature objectives. Autrement dit, cela suffit à inférer qu’il adhère à TR1 et TR2 également dans le cas de ces entités. Une telle démonstration ne serait toutefois pas directe. Un sceptique pourrait toujours objecter que cela dépend de la vérité des prémisses sur lesquelles l’inférence repose et ne s’appuie pas sur une démonstration du fait que Husserl reconnaît bel et bien aux entités idéales une existence et une nature objectives. Soit! Mais si on regarde ce que Husserl dit sur cette question, on trouve de nombreux passages, notamment à la fin de la première Recherche et dans la seconde, où il soutient clairement TR1 et TR2 concernant les unités de signification. Le passage suivant en est un bel exemple :
Quand le physicien déduit, des lois du levier, de la loi de la pesanteur, etc., le fonctionnement d’une machine, il vit assurément en lui-même toutes sortes d’actes subjectifs. Mais ce qu‘il pense et relie en une unité, ce sont des concepts et des propositions avec leurs relations objectives. Aux enchaînements subjectifs des pensées correspond ici une unité de signification objective (c’est-à-dire se conformant adéquatement à l’objectivité « donnée » dans l’évidence), unité qui est ce qu’elle est, qu’on l’actualise dans l’acte de penser ou non[23].
Les concepts et les propositions que nous nous représentons et que nous posons comme vrais, etc., et qui entretiennent certaines relations avec des objets sont des « unités de signification » auxquelles nos processus de pensée correspondent, mais qui ne sont pas numériquement identiques ni même partiellement numériquement identiques aux unités de signification subjectives. Les unités de signification idéales sont clairement conçues par Husserl comme étant objectives, puisqu’elles sont dites être ce qu’elles sont indépendamment de quelque représentation subjective (jemand im Denken) que ce soit : que quelque subjectivité connaissante se les représente ou non, que quelque subjectivité connaissante parvienne ou non à se les représenter telles qu’elles sont véritablement, elles sont toujours, nous dit Husserl, ce qu’elles sont. C’est exactement ce que TR1 et TR2 affirment.
En ce qui concerne la question de la possibilité de la connaissance des entités idéales, il y a là une difficulté sur le plan épistémologique qui en a fait reculer plus d’un par le passé. C’est un des problèmes majeurs qu’a rencontré Frege et qui s’est posé à lui sous la forme de la possibilité de saisie des pensées : comment des subjectivités empiriques concrètes peuvent entretenir quelque rapport cognitif que ce soit avec des entités abstraites et, par conséquent, inobservables, dont l’existence et la nature sont pourtant objectives. Dans la mesure où il s‘agit d’entités abstraites, il semble que la nature objective de ces entités doive échapper à toute subjectivité connaissante concrète. Il semble y avoir là une impossibilité épistémologique et quiconque voudrait, comme Frege, maintenir la possibilité de la saisie de l’abstrait par des subjectivités concrètes semble se condamner à une position battue d’avance. Une théorie de la connaissance au sens strict de ces entités conçue sous le modèle de « l’être objectuel originairement donné », comme c’était le cas avec les objets réals, semble ici tout à fait inappropriée. Mais comment concevoir et rendre compte alors de la possibilité de principe de la connaissance de l’idéal?
Husserl a une solution très originale à cette question qui lui permet à la fois de contourner la difficulté de la saisie des entités abstraites tout en préservant son réalisme[24]. Sa solution réside dans l’ingénieux assemblage de son réalisme naïf, de sa conception des significations idéales en tant qu’espèces, sa théorie de l’abstraction idéale et sa théorie de l’évidence. J’essaie ici de présenter succinctement cet assemblage et de montrer en quoi il permet une réponse réaliste et originale à la fameuse question de la possibilité de la saisie des significations idéales.
Pour Husserl, les objets ont une structure, une complexité. Ce sont en fait des touts complexes composés de plusieurs moments (Momente) ou parties (Stücke). Dans la perception, ils nous sont donnés tels qu’ils sont en tant que touts complexes. En détachant son attention du tout pour la porter sur un de ses moments ou l’une de ses parties, il est alors possible, pour une subjectivité connaissante, de percevoir directement cette partie ou ce moment. La subjectivité connaissante effectue alors une abstraction sensible ou par attention (Aufmerksamkeit) qui ne nécessite aucune conceptualisation. Par l’intermédiaire du processus d’abstraction sensible, il est ainsi possible de saisir directement plusieurs instances d’une même espèce et il est même possible, étant donné le réalisme naïf de Husserl, que le moment en question soit originairement donné tel qu’il est. Ainsi, il m’est possible d’avoir une présentation du moment physique de rouge de mon exemplaire des RL se trouvant sur mon bureau et j’ai alors présent à la conscience un moment de rouge psychologique correspondant. Ce moment de rouge dans ma conscience, c’est ce que Husserl appelle la matière de l’acte intentionnel. Avec ce moment de rouge, j’ai ainsi, du point de vue de Husserl, une instance de la signification idéale de rouge. En effet, les significations idéales sont conçues par le fondateur de la phénoménologie comme des espèces qui ont leurs instances dans les différents moments psychologiques correspondants.
Obtenir un moment psychologique tel que le rouge de mon exemplaire des RL, ce n’est toutefois pas encore saisir la signification idéale du rouge : avoir une instance, si parfaite soit-elle, ce n’est pas encore saisir l’unité qui subsiste entre toutes les instances et qui constitue l’espèce, la signification idéale. Bref, ce n’est pas, pour employer les termes mêmes de Husserl, saisir la généralité propre aux espèces que sont les significations idéales. Ce n’est que grâce à l’acte catégorial de l’abstraction idéale que la généralité propre à la signification devient objet de la conscience. En fait, l’idée ou le contenu de signification idéale signifiant plusieurs instances devient objet de la conscience grâce à l’abstraction idéale dans la mesure où « son ‘idée’, sa généralité vient à la conscience, à la donation de l’être actuel [...] dans un acte englobant d’identification qui synthétise tous les actes singuliers d’abstraction »[25]. Autrement dit, c’est à partir de la considération de l’ensemble des moments de rouge que j’ai obtenus par abstraction sensible et en identifiant ce qu’il y a de commun à tous que j’arrive à saisir la généralité propre à la signification idéale. J’arrive ainsi à me former un concept ou une signification que j’associe au mot « rouge » et il n’y a, jusqu’ici, rien qui soit de l’ordre d’une mystérieuse saisie d’entités abstraites. Nous avons plutôt affaire à un processus cognitif particulier au moyen duquel la conscience est censée pouvoir constituer, à partir de la perception d’objets concrets, une notion générale.
Cela dit, ce qui fait la particularité du processus d’abstraction idéale des RL c’est que, contrairement à ce que l’on retrouve communément chez des antiréalistes tels que Kant et les psychologistes, la signification idéale obtenue à l’aide du processus d’abstraction idéale n’est pas conçue comme une construction effectuée par un processus cognitif psychologique ou transcendantal obéissant à des principes de construction qui lui sont propres : la signification générale constituée à l’aide de l’abstraction idéale n’est pas déterminée par la nature du processus cognitif impliqué dans sa constitution, et son caractère adéquat ou non n’est pas relatif à la normalité psychologique ou universalité anthropologique du processus d’abstraction. Le fondement de la signification idéale subjectivement constituée ne réside effectivement pas dans l’acte d’abstraction lui-même, mais dans les matières intentionnelles de ses actes ainsi que dans la matière des actes sur lesquels ils sont fondés :
Ce ne sont pas ces éléments inessentiels des actes fondateurs que relie le moment catégorial de l’acte fondé synthétiquement, mais bien ce qui est essentiel aux deux types d’actes; il relie dans tous les cas leurs matières intentionnelles, et il est, au sens propre, fondé en elles. C’est bien là ce que nous avons énoncé plus haut sous une forme générale; dans tous les actes catégoriaux, disions-nous, la matière des actes fondés est fondée dans la matière des actes fondateurs[26].
Le fondement des actes catégoriaux réside dans la matière des actes fondateurs, c’est-à-dire dans la nature objective des moments obtenus par abstraction sensible et qui sont saisis, lorsqu’on est en présence d’une connaissance véritable, tels qu‘ils sont. En définitive, pour Husserl, les significations générales qui sont constituées dans la conscience ne sont pas fonction de la qualité ou des natures particulières de ces actes, mais plutôt de la nature des matières des actes impliqués dans le processus.
Malgré cela, les significations générales ainsi obtenues n’en sont tout de même pas moins subjectives dans le sens suivant : même si elles sont fondées sur les matières d’actes, les significations constituées par abstraction idéale peuvent n’être qu’une saisie plus ou moins parfaite de la généralité des moments observés. En effet, rien ne me garantit que j’ai une connaissance au sens strict du mot des moments que j’observe par abstraction et sur la base desquelles j’élabore ma signification subjective et rien ne me garantit non plus que j’ai, dans les instances observées et à partir desquelles j’élabore ma signification, une base suffisante pour saisir la généralité qui subsiste objectivement sous la forme de la signification idéale correspondant à ces instances. Bref, le fait de constituer, par abstraction idéale, une signification subjective, par exemple, de « rouge », ne me garantit pas que la signification obtenue corresponde à la signification idéale de rouge ou concorde effectivement avec elle. Afin de résoudre cette difficulté, Husserl fait appel à sa notion d’évidence et à sa théorie de la vérité.
Dans les RL, Husserl définit l’évidence comme étant l’expérience de la vérité (Erlebnis der Wahrheit). L’expérience en question consiste ici en l’expérience de l’adéquation entre les significations subjectivement constituées par abstraction idéale et les objets signifiés : « L’évidence, c’est l’expérience vécue de la concordance entre la pensée et le présenté lui-même qu’elle pense, entre le sens actuel de l’énoncé et l’état de choses donné lui-même; et la vérité, c’est l’idée de cette concordance[27] ». Ainsi, dans l’évidence, ce qui est expérimenté, c’est la concordance pleine et entière entre le signifié qui est pleinement donné et le signifiant, c’est-à-dire les significations subjectives constituées notamment par abstraction idéale. Il n’y a donc évidence que lorsque les significations subjectivement constituées concordent pleinement avec la nature objective de ce sur quoi elles portent. Lorsque les significations subjectivement constituées ne sont pas adéquates, il ne peut y avoir évidence, puisqu’il ne peut alors y avoir concordance entre la représentation subjective de la réalité et l’être ou la nature objective de cette réalité. Puis, la vérité, nous dit Husserl, c’est l’idée de cette concordance, c’est la concordance idéale telle qu’elle subsiste entre les significations idéales objectives et la réalité en soi et qui explique en partie pourquoi vérité en soi et être en soi sont, chez Husserl, donnés ensemble et indissociables. Ainsi, l’expérience de la concordance qu’est l’évidence est une expérience de la vérité, dans la mesure où elle est l’expérience du même rapport que celui qui subsiste entre les significations idéales et la réalité, et ce, à un détail près : alors qu’il s’agit ici de l’expérience d’un rapport concret entre une conscience et la réalité, on a affaire, dans le cas de l’être en soi et des significations idéales, à un rapport idéal. Or, si le rapport de concordance est le même et si la réalité auxquels les significations subjectivement constituées et les significations idéales concordent est la même, il s’ensuit que, dans le cas où il y a évidence, les significations subjectivement constituées sont adéquates en ce sens qu’elles sont qualitativement identiques ou, à tout le moins, logiquement équivalentes aux significations idéales : ce n’est que parce que j’ai réussi à reconstituer, à l’identique, les significations idéales dans ma conscience que je suis parvenu à faire l’expérience de la vérité. Autrement dit, ce n’est que parce que j’ai réussi à les reconstituer adéquatement, en tant que significations idéales objectives, que j’ai pu en arriver à avoir une représentation subjective de la réalité qui concorde avec ladite réalité.
Ainsi, Husserl peut rendre compte de la possibilité de principe de la saisie de la vérité en soi ou de ce que j’ai appelé, dans le cadre du réalisme, la Vérité, sans faire appel à une improbable saisie directe d’entités abstraites. Selon Husserl, une subjectivité connaissante peut connaître la vérité en soi grâce, d’une part, à une connaissance stricte des différents moments objectifs de la réalité et, d’autre part, grâce à la constitution des significations idéales par abstraction idéale. Si ces deux processus de constitution sont bien accomplis, les significations subjectives constituées dans la conscience devraient concorder avec la réalité objective. Le fait que sa pensée de la réalité concorde avec la réalité implique que ladite subjectivité est parvenue à reconstituer adéquatement en elle la vérité en soi objective. Elle est, en ce sens, parvenue, bien qu’indirectement, à connaître la vérité en soi et c’est l’évidence, c’est-à-dire l’expérience de la vérité, qui le lui indique. Ainsi, dans la mesure où tout cela est possible, ce que la phénoménologie entend démontrer, il est effectivement en principe possible, comme le soutiennent les réalistes, de saisir la Vérité. Tout comme dans le cas du réal, Husserl adhère donc bel et bien, dans le cas de l’idéal, aux trois thèses constitutives du réalisme métaphysique.
4. Objection des partisans d’une lecture idéaliste
Malgré le caractère clairement réaliste des passages cités précédemment, beaucoup d’interprètes de Husserl maintiennent une lecture idéaliste des RL. En règle générale, ces lecteurs reconnaissent qu’il y a, dans les passages cités, apparence d’adhésion au réalisme. Mais ils soutiennent que ces passages sont à comprendre dans le cadre du projet phénoménologique de Husserl dans les RL et que l’on est forcé d’admettre, lorsqu’on les comprend dans ce cadre, que leur signification profonde ou véritable n’est pas conforme à une lecture réaliste de l’oeuvre. On invoque alors invariablement, en faveur de cette stratégie interprétative, la même thèse ou une variante de cette thèse que j’appellerai ici, pour les besoins de l’exposition, la thèse de la primauté de la conscience. Pour les partisans de cette thèse, le projet d’une logique pure est un « projet phénoménologique ». À ce titre, les objets de la connaissance et les significations idéales, bref tout ce qui le fonde, doit faire l’objet d’une élucidation phénoménologique; il ne s’agit, en fait, que de notions ou réalités constituées dans la conscience. Même s’il n’est alors pas en possession de son concept de réduction ni du concept de constitution post-réduction, il n’en demeure pas moins que, pour Husserl, l’existence et l’être en soi du réal et des significations idéales sont à concevoir comme des corrélats de la conscience. Ce sont donc des objectualités pour la conscience et, en ce sens, des « réalités » relatives à la conscience. En fait, l’insistance sur l’objectivité du réal et des significations idéales serait avant tout justifiée par le désir de Husserl de rompre avec le psychologisme. Cela ne voudrait toutefois pas dire que Husserl ait voulu rompre avec toute forme de primauté de la conscience, mais uniquement avec l’idée d’une forme de primauté de la subjectivité empirique. La primauté de la conscience et l’objectualité du réal et des significations idéales ne sont toutefois pas remises en cause, mais seraient réaffirmées dans l’introduction au second livre des RL. Cela ne ressortirait toutefois pas aussi clairement en raison du fait que Husserl ne disposait alors pas encore de son concept de subjectivité transcendantale. En ce sens, les RL annonçaient, voire commandaient la phénoménologie transcendantale. Telle est, en gros, la position orthodoxe sur la question. Même s’il ne s’agit pas de la seule objection contre une lecture réaliste de cet ouvrage de Husserl, c’est la plus fréquente et la plus tenace.
Cela dit, on peut se demander si la thèse de la primauté de la conscience correspond pour autant effectivement à la position de Husserl dans les RL. Husserl était-il véritablement d’avis qu’il faille comprendre l’objectivité de la réalité et de l’idéalité comme des corrélats de la conscience? Dans les faits, lorsqu’on regarde ce que Husserl dit sur cette question dans les RL, on s’aperçoit non seulement qu’il n’a pas soutenu cela, mais, en fait, qu’il a soutenu, premièrement, une autre position, incompatible avec l’idéalisme, sur la nature du lien entre objectivité et subjectivité fondatrice et, deuxièmement, qu’il a explicitement exclu la thèse de la primauté de la conscience. Ainsi, une étude attentive de ce que Husserl dit au sujet du lien entre logique pure et contribution phénoménologique confirme en fait son adhésion explicite au réalisme et montre qu’il rejetait une conception de ce lien allant dans le sens d’une lecture idéaliste.
Afin de comprendre la position de Husserl sur la question du rapport de l’objectivité à la subjectivité fondatrice dans les RL, il faut d’abord attirer l’attention sur un aspect du projet de logique pure dans les RL et sur une distinction que Husserl introduit dans les Prolégomènes entre différents types de conditions de possibilité, et ce, d’une part, parce qu’il s’agit d’éléments essentiels de ce fameux « cadre » du projet des RL auquel on fait appel pour justifier une lecture idéaliste du philosophe fribourgeois mais, d’autre part, parce qu’il s’agit des termes dans lesquels l’enjeu du réalisme ou de l’idéalisme de son projet philosophique se pose.
Le projet de la logique pure dans les RL est, en fait, un projet de doctrine de la science. Husserl entend montrer quelles sont les « conditions de possibilité de la science en tant que telle »[28]. Étant donné que la science a pour but la possession de la vérité et que nous ne pouvons, selon lui, posséder la vérité que dans une certaine forme de théorie déductive, la question des conditions de la possibilité de la science équivaut aux questions des conditions de possibilité de la vérité en tant que telle, ainsi qu’aux conditions de possibilité « d’une unité déductive en tant que telle ». Or, selon Husserl, trois types distincts de conditions de possibilité peuvent ici être invoquées afin d’établir la possibilité de chacune d’elles : les conditions psychologiques, objectives et noétiques. Les premières ont trait à ce qui est requis d’une subjectivité empirique pour que la science soit possible. Les secondes ont trait à ce qui est objectivement requis, d’un point de vue logique ou du point de vue de la théorie et du point de vue ontologique ou du point de vue de l’ontologie du domaine de la théorie, c’est-à-dire du point de vue des contenus de signification et des règles d’inférences implicites à la théorie d’une part, et, d’autre part, du point de vue de la nature de l’être en soi du domaine de référence sur lequel nous avons attiré l’attention à la section précédente. Enfin, les troisièmes ont trait à ce qui est requis de la part d’une subjectivité en général (Subjektivität überhaupt). Certes, il ne s’agit pas ici de la subjectivité transcendantale des Ideen, mais il est clair qu’il ne s’agit pas non plus d’une subjectivité empirique.
Cela étant, Husserl en vient à se poser, dans les Prolégomènes, la question cruciale pour le débat autour du réalisme ou de l’idéalisme de son projet philosophique : de quelle nature sont les conditions de possibilité spécifiées dans la logique pure, c’est-à-dire les conditions de possibilité de la vérité et d’une théorie en tant que telle. Autrement dit, de quelle nature sont les conditions pouvant rendre compte de la possibilité de la science, c’est-à-dire de la possibilité de la théorie décrivant adéquatement la réalité? Les trois types de conditions qu’il admet constituent ici autant de candidats possibles. S’il opte uniquement pour des conditions psychologiques ou pour des conditions qui sont fondamentalement psychologiques, son projet sera alors condamné à une forme d’idéalisme subjectif ou d’idéalisme psychologique. S’il opte pour les conditions objectives, il se trouve à adopter une position réaliste : la vérité sera possible du fait que les objets du monde extérieur et les significations idéales présentent, objectivement, indépendamment de toute subjectivité, certaines propriétés. Enfin, s’il soutient qu’il s’agit, au moins en partie, de conditions noétiques, tout reposera sur la subjectivité idéale : la possibilité de la vérité dépendra alors de la possibilité, pour une subjectivité idéale, de constituer réalité et théorie vraie de la réalité. Il opterait alors pour le type de position défendue par les partisans de la lecture idéaliste : du point de vue de son projet philosophique, on ne pourrait pas parler de nature pleinement objective et indépendante de la réalité et de l’idéalité, mais uniquement de la réalité et de l’idéalité pour la conscience. Or, sur cette question, contrairement à ce que croient les partisans de la thèse de la primauté de la conscience, Husserl a non seulement vu la possibilité théorique de tout ramener à des conditions relatives à la possibilité de la constitution de l’être et de la vérité en soi, mais il a clairement rejeté une position de ce type au profit d’une position réaliste posant comme conditions de possibilité de la vérité ou de la science, les conditions objectives :
D’un côté, il est évident a priori que des sujets pensants en tant que tels doivent, par exemple, être en mesure d’accomplir toutes les espèces d’actes par lesquels se réalise une connaissance théorique. [...] Mais, d’un autre côté, il est aussi évident que des vérités elles-mêmes, et spécialement des lois, des fondements, des principes, sont ce qu’elles sont, que nous les voyions d’une seule vue ou non. Or, comme ce n’est pas en tant que nous pouvons les voir d’une seule vue qu’elles sont valables, mais que c’est seulement en tant qu’elles sont valables que nous pouvons les voir d’une seule vue, nous devons les considérer comme des conditions objectives ou idéales de la possibilité de leur connaissance[29].
Husserl n’aurait pas pu être plus clair : en matière de condition de possibilité de la science, les conditions de possibilité fondamentales, celles qui, ultimement, peuvent rendre compte de la possibilité de la science, ce sont les conditions objectives et non les conditions relatives à la constitution d’une saisie pleine et entière des sciences propres à une conscience idéale. C’est en tant qu’elles sont valables que les significations idéales sont conditions de possibilité de la connaissance théorique, de la Vérité, et c’est objectivement qu’elles le sont et non en vertu de la satisfaction de certaines conditions noétiques de la possibilité de la connaissance théorique. La position des orthodoxes est donc erronée : Husserl a consciemment soutenu que l’objectivité est indépendante de la subjectivité et, de plus, que c’est elle qui prime sur sa constitution et sur la constitution des contenus objectifs par une conscience idéale.
Loin d’être fortuit, l’attachement de Husserl aux conditions objectives trouve même une justification dans le § 65 où il affirme la chose suivante au sujet de ces « conditions idéales de la possibilité d’une connaissance en général » qu’il entend exprimer sous forme de « lois a priori » relativement à la vérité en tant que telle :
Il s’agit manifestement de conditions a priori d’une connaissance qui peuvent être considérées et étudiées indépendamment de toute relation avec le sujet pensant et avec l’idée de la subjectivité en tant que telle. Les lois en question, dans leur teneur en signification, ne contiennent absolument rien d’une telle relation, elles ne parlent pas, serait-ce même d’une manière idéale, de connaître, de juger, raisonner, se représenter, fonder, etc., mais de vérité, concept, proposition, raisonnement, cause et effet, etc.[30].
Ainsi, selon Husserl, le fait que les fameuses conditions de possibilité de la science que cherche à spécifier la doctrine de la science ne soient qu’objectives et nullement subjectives, pas même en un sens idéal, s’explique par le fait que les lois relatives à la possibilité de la vérité et les significations idéales qui les constituent ne renvoient à rien de subjectif, à aucun processus cognitif.
Cela dit, les interprètes orthodoxes de Husserl sont souvent amenés à croire que les considérations noétiques sont plus fondamentales que les considérations objectives dans le projet de logique pure en raison d’une lecture erronée de ce que Husserl dit au sujet du rôle et de l’importance des premières dans l’introduction au second volume des RL. Dans cette introduction, et ils ont raison de le mentionner, Husserl insiste sur la nécessité des considérations noétiques pour la réalisation de son projet philosophique. Toutefois, contrairement à ce qu’ils croient, Husserl ne soutient pas alors que les considérations noétiques sont nécessaires pour rendre la vérité possible, mais, plutôt, pour rendre compte de la possibilité de la saisie de l’en soi objectif. Autrement dit, l’objet des considérations phénoménologiques n’est pas de rendre compte de la possibilité et de l’objectivité de l’être en soi et de la vérité en soi, mais uniquement de la possibilité de la connaissance de ces en soi :
comment peut-on rendre compte du fait que « l’en soi » de l’objectivité parvienne à la « représentation », qu’il « parvienne à être saisi » dans la connaissance, et qu’ainsi, à la fin, il redevienne subjectif; qu’est-ce que cela signifie, que l’objet soit « en soi » et qu’il soit « donné » dans la connaissance; comment est-ce que la généralité de l’idéalité peut entrer dans le flux des expériences psychiques réales sous la forme d’un concept ou d’une loi et ainsi devenir possession de l’être-pensant; que signifie dans les différents cas l’adaequatio rei ad intellectus, selon que la saisie cognitive soit la saisie d’un jugement individuel ou général, d’un fait ou d’une loi, etc.[31].
Ce que les recherches phénoménologiques doivent élucider nous dit ici Husserl, ce n’est pas l’en soi de l’objectivité ou la possibilité de l’en soi de l’objectivité, mais plutôt la possibilité que cet en soi nous soit « donné », la possibilité, pour une subjectivité, de se « représenter » l’objectivité telle qu’elle est objectivement, c’est-à-dire sans la subjectiviser. Loin de fonder les en soi dans une forme de constitution subjective idéale, les considérations phénoménologiques les présupposent donc. Le but de l’élucidation, c’est de s’assurer d’avoir une représentation de l’être réal et des significations idéales qui soit qualitativement identique à ces deux sphères de réalité. Mais ces deux sphères objectives de la réalité restent numériquement distinctes et ontologiquement indépendantes de quelque représentation subjective d’elles que ce soit et, par conséquent, nullement secondes par rapport à une conscience et ses processus de constitution de l’objectif.
5. Réalisme ou neutralité métaphysique?
Face au débat concernant le réalisme ou l’idéalisme des RL, certains interprètes ont préféré opter pour une position que je qualifierais de prudente ou de modérée[32]. Selon eux, Husserl n’est ni véritablement réaliste ni véritablement idéaliste, puisqu’il rejetterait l’une et l’autre de ces deux positions en raison de leur caractère métaphysique. En fait, Husserl adhèrerait dans les RL à un principe de neutralité métaphysique selon lequel la phénoménologie ne prend pas position sur les questions métaphysiques telles, par exemple, la question de l’objectivité du monde et celle de l’objectivité des significations idéales, parce qu’il s’agirait de questions qui ne peuvent pas être tranchées : on ne peut établir la vérité ou la fausseté d’aucune de ces positions. C’est pourquoi Husserl s’interdirait sur ces questions de prendre position et opterait plutôt pour la neutralité métaphysique. C’est d’ailleurs un principe qu’il formule clairement dans les RL et auquel il dit explicitement adhérer :
La question de l’existence et de la nature du « monde extérieur » est une question métaphysique. En tant qu’élucidation générale de cette essence idéale et du sens valable de la pensée connaissante, la théorie de la connaissance a effectivement trait à la question générale de savoir si et dans quelle mesure un savoir ou une conjecture rationnelle des objets « réals » est possible; mais elle ne s’intéresse pas à sa version empirique, soit celle de savoir s’il nous est réellement possible à nous, humains, sur la base des données empiriques qui nous sont données, d’acquérir un tel savoir, ou encore s’il nous est possible de réaliser ce savoir[33].
Si ces interprètes ont raison, il semble donc que l’on ne puisse pas dire que Husserl adhère au réalisme dans les RL. Il y aurait peut-être apparence d’adhésion au réalisme, un certain nombre de passages qui manifestent une préférence pour le réalisme ou, dans le meilleur des cas, présence du réalisme sous une forme de présupposé non justifié ou inconscient mais, dans les faits, étant donné son adhésion au principe de neutralité, Husserl n’a pas pu soutenir cette option, pas plus qu’il ne s’autorisait à embrasser quelque forme d’idéalisme que ce soit. Toutefois est-ce bien exact? Qu’en est-il dans le texte? Quelle est la portée des affirmations en faveur du réalisme dans les RL?
La question ici est difficile à résoudre. D’abord parce que Husserl semble bel et bien s’être donné ce principe de neutralité métaphysique. Mais, par ailleurs, parce qu’il défend explicitement des positions réalistes qu’il pose comme fondements de son projet de doctrine de la science à maintes reprises dans le texte. Mais il y a aussi des passages où il va encore plus loin et où il qualifie ses « positions » réalistes — en l’occurrence ici sur l’idéalité des significations — de « conviction théorique certaine » et de « vérité saisissable immédiatement » :
Si nous insistons ici sur la stricte identité de la signification et que nous la distinguons de ce caractère psychique constant de l’acte de signifier, cela ne tient pas à une préférence subjective pour des distinctions subtiles, mais à notre conviction théorique certaine que c’est seulement de cette manière qu’on peut rendre compte adéquatement d’une situation fondamentale pour la compréhension de la logique. Il ne s’agit pas non plus là d’une simple hypothèse qui ne se justifierait que par ce que peut fournir son explication; nous nous y référons comme à une vérité immédiatement accessible, nous conformant en cela à l’autorité dernière pour toutes les questions de la connaissance, l’évidence. [...] Enfin, je vois avec évidence que ce que je vise dans la proposition mentionnée ([est un nombre transcendant], ou bien [lorsque je l’entends]), ce que je conçois comme étant sa signification, est identiquement ce qu’elle est, peu importe que je pense et que j’existe, qu’il y ait ou non en général des personnes qui pensent et des actes de pensées[34].
La neutralité métaphysique de Husserl semble donc avoir ses limites, notamment sur les questions d’objectivité du réal et, plus particulièrement, lorsqu’il s’agit de l’objectivité de l’idéal. On est donc, ici, loin de la position de neutralité officiellement affichée ailleurs.
Comment doit-on comprendre ici l’incohérence? Premièrement, « métaphysique » dans les RL et dans le passage cité plus haut a un sens particulier et péjoratif. Husserl qualifie en effet de métaphysique tout ce qui relève de la spéculation ou tout ce qui constitue une thèse sur l’être qui ne repose sur aucun argument sérieux. Mais cela n’implique pas qu’il rejette toute question métaphysique, voire qu’il n’ait aucune contribution à apporter à quelque question de cette nature et qu’il considère toute question métaphysique comme étant une question métaphysique au sens particulier et péjoratif du terme. Ainsi, dans la première Recherche, il rejette explicitement l’idée que les significations idéales existent dans un ciel métaphysique des idées sous prétexte qu’il s’agit d’une « hypostase métaphysique absurde », mais il n’en soutient pas moins qu’il y a de telles entités et affirme, tout comme Meinong à la même époque :
Pour qui s’est habitué à n’entendre par être qu’être « réel », par « objets » qu’objets réels, il paraîtra complètement aberrant de parler d’objets généraux et de leur existence; celui-là par contre ne s’en formalisera pas, qui de prime abord prend ces façons de parler comme des indications de la validité de certains jugements, à savoir de ceux dans lesquels il est jugé sur des nombres, des propositions, des figures géométriques, etc., et qui se demande alors s’il ne faut pas ici comme ailleurs accorder évidemment à ce sur quoi l’on juge, la qualité d’« objet véritablement existant », en tant que corrélat de la validité du jugement. En fait, du point de vue logique, les sept corps réguliers sont sept objets tout comme les sept Sages; le principe du parallélogramme des forces, un objet aussi bien que la ville de Paris[35].
La thèse selon laquelle les significations idéales existent dans un lieu précis situé en dehors du monde naturel est une de ces thèses qui, du point de vue de Husserl, ne relève que de la spéculation métaphysique. En revanche, la thèse selon laquelle il y a de telles entités est une thèse qui découle du fait ou est présupposée par le fait que nous avons des jugements vrais au sujet de ces choses et par ce que la doctrine de la science soutient au sujet de la possibilité de ces jugements : même si elles n’existent pas dans un lieu quelconque de la réalité abstraite, ces entités existent bel et bien pour Husserl, tout aussi bien que la ville de Paris.
Deuxièmement, ici l’erreur de certains consiste à penser que si, comme l’affirme Husserl dans le passage cité précédemment, la « théorie de la connaissance », c’est-à-dire la phénoménologie, n’a pas de solution à apporter à la question de l’existence et de la nature du monde extérieur, alors Husserl n’a aucune solution à apporter à cette question dans les RL. Du fait qu’il s’agit d’une question qui ne peut pas être élucidée par la phénoménologie, il doit c’est une de ces questions métaphysiques spéculatives à laquelle Husserl refuse de répondre, préférant ainsi préserver sa neutralité. Mais il s’agit là d’une lecture erronée du passage cité plus haut qui procède d’une lecture réductrice du projet philosophique de logique pure dans les RL. En effet, dans cet ouvrage, la phénoménologie n’est pas la discipline première. La phénoménologie n’est que la théorie de la connaissance. Elle doit établir la possibilité de connaître, pour nous, le monde extérieur et les significations idéales dont les conditions de possibilité objectives ont été établies dans les Prolégomènes. À ce titre, ce n’est pas la tâche de la phénoménologie que d’établir s’il y a ou s’il n’y a pas de réalité et de nature du monde extérieur. La phénoménologie, si elle s’en tient à son rôle, ne devrait en fait que montrer comment il est possible, pour une subjectivité, de connaître le monde et les significations idéales telles qu’elles sont, sans les subjectiviser. Mais cela ne change rien au fait que, du point de vue des conditions objectives de possibilité de la logique pure, la réalité objective du monde extérieur et la réalité objective des significations idéales ont été admises. Loin d’être des vérités spéculatives, il s’agit plutôt, comme le dit Husserl dans le passage cité plus haut, d’une « conviction théorique certaine ». Ce sont des vérités qui sont au fondement du projet husserlien de logique pure en tant que doctrine de la science. Elles en constituent les conditions de possibilité.
Ainsi, loin de s’en tenir à une position neutre concernant la question de l’objectivité du réal et de l’idéal, de la vérité et de la possibilité de la connaissance de la vérité, Husserl adopte bel et bien une position réaliste dans son ouvrage sur ces questions. En fait, l’adhésion au réalisme y est toujours présentée comme une conviction au fondement de l’entreprise des RL : le projet de doctrine de la science s’appuie sur la vérité des thèses constitutives du réalisme comme autant d’axiomes et de piliers sur la base desquels il échafaude sa théorie tout entière. C’est pour cela d’ailleurs que Husserl ne tente pas de démontrer la véracité du réalisme ni ne cherche à le défendre. Il ne se contente en fait que de stipuler son adhésion aux thèses qui le constituent et d’affirmer, comme c’est le cas dans le passage cité précédemment, qu’il s’agit pour lui d’une sorte de « vérité immédiatement saisie » (eine unmittelbar fassliche Wahrheit). Mais c’est aussi pour cela que la question du réalisme est si fondamentale pour la compréhension des RL et que l’on ne peut pas, en définitive, comprendre le projet philosophique de Husserl dans cet ouvrage si on n’arrive pas à y déceler le réalisme sur lequel il repose.
Parties annexes
Notes
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[1]
Une partie des recherches effectuées pour ce travail a été réalisée à Fribourg-en-Brisgau lors d’un séjour financé par le DAAD. Le travail doit également beaucoup aux discussions que j’ai eues avec Kevin Mulligan et Denis Fisette sur la pensée du jeune Husserl au cours des dernières années. J’aimerais ici les en remercier. Mes remerciements vont également à un évaluateur anonyme de Philosophiques pour ses remarques judicieuses ainsi qu’à Peter McCormick pour son appui et son travail de supervision à l’époque où j’ai fait mes premiers pas dans l’univers des recherches husserliennes.
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[2]
La littérature consacrée à l’idéalisme transcendantal de Husserl est beaucoup trop volumineuse pour qu’on puisse ici y référer dans son entièreté. Nombreux sont les ouvrages et articles aussi bien exégétiques que critiques. On peut mentionner toutefois les travaux de Bernet, 2004 (exégétique), Chrudzimski, 1998 (exégétique) et Philipse, 1995 (critique). En langue française, le lecteur trouvera dans Lavigne, 2005 et Pradelle, 2000 deux expositions fouillées de l’idéalisme transcendantal de Husserl.
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[3]
Jean-François Lavigne parle à ce sujet d’une « nécessité logique du lien entre phénoménologie et idéalisme transcendantal » (Lavigne, 2005, p. 21). Ce faisant, il n’utilise toutefois pas « nécessité logique » en un sens standard et n’a pas la rigueur d’exposer clairement le sens qu’il attache à cette expression ni même de faire la démonstration claire de quelque lien de nécessité logique entre ces deux notions. Néanmoins, le lecteur peut comprendre, à la lecture de son texte, qu’il entend soutenir l’idée que le lien entre phénoménologie et idéalisme transcendantal n’est pas contingent, mais essentiel, inhérent au projet et à la nature de la phénoménologie husserlienne et on a donc là un bon paradigme de la lecture idéaliste forte de la phénoménologie.
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[4]
Husserl, Edmund, Logische Untersuchungen. Prolegomena zur reinen Logik, volume I, 7e éd. (texte de l’édition de 1913), Tubingen, Max Niemeyer, 1993 (désormais : Prolégomènes).
(, Logische Untersuchungen. Untersuchungen zur Phänomenologie und Theorie der Erkenntnis, volume II/1, 7e éd. (texte de l’édition de 1913), Tubingen, Max Niemeyer, 1993 (Désormais : RL, plus no de recherche pour les renvois).
(, Logische Untersuchungen. Elemente einer phänomenologischen Aufklärung der Erkenntnis, volume II/2, 6e éd. (texte de l’édition de 1921), Tubingen, Max Niemeyer, 1993; (désormais : RL, plus VI pour les renvois). Toutes les traductions sont ou bien mes propres traductions ou bien des modifications personnelles de la traduction parue aux Presses Universitaires de France et mentionnée dans la bibliographie du présent article.
Il est difficile de dresser une liste exhaustive des spécialistes de Husserl adhérant explicitement à une lecture idéaliste des Recherches Logiques, car tous ne se sont pas prononcés clairement, par écrit, sur la question. On peut tout de même mentionner, parmi ceux ayant explicitement et plus ou moins clairement pris position sur la question, les cas de Lavigne, 2005; Marion, 1989 (pp. 11-21) et Robert Brisart dans une conférence présentée à Louvain-la-Neuve en juin 2004 et à laquelle j’ai assisté. Toutefois, la question du réalisme ou de l’idéalisme de la philosophie de Husserl est tellement fondamentale qu’à peu près tous les phénoménologues ont leur position sur la question et l’idée que Husserl puisse avoir été réaliste choque tellement à coup sûr lorsqu’on l’aborde avec un phénoménologue qu’on peut considérer la thèse selon laquelle il est idéaliste dans les RL comme étant très largement répandue, notamment dans le monde francophone, où on pourrait presque la qualifier de lieu commun. C’est pour cette raison que, dans cet article, mon propos ne sera pas de m’en prendre à l’un ou l’autre des interprètes ayant explicitement soutenu l’interprétation idéaliste des RL, mais bien à la thèse elle-même.
-
[5]
La formule « toujours été idéaliste » est de Lavigne. Cf. Lavigne, 2005, p. 223.
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[6]
Pour une défense rigoureuse de la thèse selon laquelle Husserl n’est pas, à partir des Ideen, un penseur idéaliste, mais réaliste, cf. Ameriks, 1977.
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[7]
Sur ces deux groupes, cf. Spiegelberg, 1982 et Avé-Lallemant et alii, 1975. Il y en aurait long à dire sur la réception critique et les accusations d’adhésion à l’idéalisme de la part des premiers étudiants de Husserl. Je me contenterai ici d’insister sur deux aspects généraux : elle s’étendait à l’ensemble du groupe et l’opposition était viscérale. Pour eux, il s’agissait d’un enjeu fondamental sur lequel ils ne pouvaient admettre quelque compromis que ce soit. Plusieurs d’entre eux se sont prononcés sur la question dans des ouvrages et dans leur correspondance avec Husserl. Les ouvrages d’Ingarden sont sans doute les plus connus (cf. Ingarden, 1964 et 1975). Sur la question, on peut consulter Schuhmann, 2004 et 2003.
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[8]
Spiegelberg ajoute à la liste les noms de Max Scheler et Nikolai Hartmann. Sur ce, cf.Spiegelberg, 1982.
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[9]
Le lecteur trouvera un bel exemple de cette tentation à établir une filiation entre la philosophie de Husserl et l’idéalisme de la philosophie allemande dans Mohanty, 1994.
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[10]
Sur ce sujet, cf. Mulligan, 1985, Smith, 1995, Stumpf, 2006 et Brentano, 1968.
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[11]
Il est fréquent, dans les caractérisations du réalisme, de soutenir une version moins étroite de cette thèse. On affirme alors qu’être réaliste c’est soutenir que ce qui existe, existe indépendamment de toute subjectivité connaissante. Or, cette thèse est erronée parce que trop restrictive dans sa portée. En effet, elle a pour conséquence de condamner à l’idéalisme toute philosophie admettant la réalité d’entités mentales (représentations, idées, mèmes, etc.), pour la simple raison que ces entités dépendent ontologiquement de la subjectivité qui les a : Ma représentation des Recherches logiques ne peut, de par sa nature, exister sans moi. C’est une propriété nécessaire de ces entités et, par conséquent, quiconque voulant admettre l’existence de ces entités mentales au même titre que l’existence d’objets du monde extérieur tel mon exemplaire des Recherches logiques serait condamné, dans l’hypothèse où il admettait une telle caractérisation du réalisme, à une forme d’idéalisme des entités mentales. Comme l’avait bien vu G. E. Moore, le débat ontologique entre réalisme et idéalisme n’est pas un débat quant à l’indépendance ontologique de l’objectité par rapport à la subjectivité, mais plutôt un débat quant à l’indépendance ontologique de l’objectité par rapport à la représentation ou la représentabilité subjective de l’objectité. Sur ce dernier point, cf. Moore, 1985.
-
[12]
Sur la notion de dépendance ontologique, cf. Correia, 2005 et Simons, 1987 et sur la notion de dépendance ontologique chez Husserl, cf. Mulligan et Smith, 1981.
-
[13]
J’emploie ici « réalité » comme terme générique afin de désigner « la totalité de ce qui existe ». Cela peut donc aussi inclure non seulement des entités mentales, mais des entités abstraites ou idéales, des entités possibles, etc. Mais je ne me prononce pas sur ce qui compose dans les faits cette totalité. Mon usage du terme est purement conventionnel et ne présuppose aucune théorie particulière concernant la totalité de ce qu’il y a.
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[14]
Le lecteur notera en passant que TR3 est nécessaire non seulement pour caractériser adéquatement le réalisme, mais également pour départager les réalistes des antiréalistes. Contrairement aux idéalistes, les antiréalistes admettent généralement, tout comme les réalistes, l’idée qu’il y ait une réalité objective en ce sens où la réalité a une existence et une nature objectives telles que soutenues dans TR1 et TR2. Toutefois, contrairement aux réalistes, les antiréalistes nient qu’il soit en principe possible de connaître la réalité objective telle qu’elle est et, ainsi, que quiconque puisse être en possession de quelque chose comme la Vérité des réalistes. Pour eux, une telle chose n’est qu’une chimère, car ils n’admettent pas le présupposé réaliste selon lequel la vérité est complètement indépendante de la subjectivité connaissante. Ainsi, à l’image de Kant — dont la philosophie est souvent assimilée, à tort, à l’idéalisme — les antiréalistes admettent quelque chose comme une réalité objective ou en soi, mais récusent l’idée qu’on puisse la saisir telle qu’elle est pour ainsi posséder la Vérité des réalistes.
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[15]
Plusieurs défenseurs de l’idéalisme allemand sont prompts à le défendre en insistant sur le fait qu’il ne s’agissait pas, pour Hegel et cie, d’un idéalisme naïf à la Berkeley, mais qu’il s’agissait plutôt de reconnaître l’impossibilité de connaître la réalité telle qu’elle est, de même, par conséquent, de reconnaître l’impossibilité ou le caractère dogmatique et naïf d’un en soi de la réalité, d’un être de la réalité purement objectif. Étant donné le monisme associé à l’idéalisme d’un Hegel, on peut toutefois sérieusement se demander si la distinction alléguée n’est pas factice. Si tout est l’Esprit ou la Conscience, la réalité extérieure dont on ne nie pas explicitement l’existence n’est qu’en tant qu’elle fait partie de cette totalité. Même si on admet que les idéalistes allemands ne rejettent pas explicitement la réalité du monde extérieur, qu’ils ne font pas dépendre son existence de sa perception, il n’en demeure pas moins que le monde extérieur n’existe qu’en tant que représentation de l’Esprit. L’idée d’un monde existant objectivement est alors tout aussi exclue dans le cadre de cet idéalisme que dans le cadre de l’idéalisme berkleyen.
-
[16]
Prolégomènes, § 62, p. 252.
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[17]
Sur ce, voir également Ingarden, 1975, pp. 5-7.
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[18]
Prolégomènes, § 6, p. 15 (l’italique a été ajouté par moi).
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[19]
Prolégomènes, § 62, p. 253 (l’italique a été ajouté par moi).
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[20]
Sur ce sujet, cf. Mulligan, 1995, pp. 169-170 et section X.
-
[21]
Prolégomènes, § 62, p. 252.
-
[22]
Ingarden affirme avoir interrogé Husserl oralement et par écrit sur ce passage et sur ce point précis de la distinction entre réalité objective et vérité objective, car il ne voyait pas de raison d’admettre, à titre de vérité, une description objective indépendante (en fait, Ingarden pensait que l’identification de la description objective ou du « Reich der Wahrheit » ou, comme il le dit, des « Wahrheiten an sich » était suffisant sur le plan théorique). Il affirme toutefois que Husserl lui a clairement dit à chaque fois qu’il admettait bien, dans les Recherches Logiques, aussi bien l’existence de la réalité objective que celle des vérités objectives, réaffirmant ainsi que la proximité entre les deux n’est pas à confondre avec l’identité des deux.
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[23]
RL, I, p. 94.
-
[24]
Sur l’originalité de la solution de Husserl, notamment par rapport aux positions de Frege, Bolzano, Kant et les psychologistes, cf. Simons, 1995, pp. 113-114.
-
[25]
RL, VI, p. 162.
-
[26]
RL, VI, p. 175.
-
[27]
Prolégomènes, § 51, pp. 190-191.
-
[28]
Prolégomènes, § 65, p. 236.
-
[29]
Prolégomènes, § 65, p. 238.
-
[30]
Prolégomènes, § 65, pp. 238-239.
-
[31]
RL, Introduction, p. 8.
-
[32]
Je pense ici notamment à Denis Fisette qui a défendu une telle thèse dans un texte à paraître ainsi que dans un certain nombre de conversations; Zahavi, qui a défendu la thèse de la neutralité à plus d’une reprise, de même qu’à Jocelyn Benoist, qui semble y avoir adhéré au moins dans son ouvrage sur Husserl et la tradition autrichienne. Sur ce sujet, cf. Fisette, à paraître; Zahavi, 2003, pp. 39-42 et 2001; Benoist, 1997.
-
[33]
RL, Introduction, p. 20.
-
[34]
RL, I, pp. 99-100.
-
[35]
RL, I, p. 101.
Bibliographie
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