Disputatio

Réponses à mes critiques[Notice]

  • Joëlle Proust

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  • Joëlle Proust
    Institut Jean-Nicod (CNRS, EHESS, ENS)

L’exercice consistant à répondre à trois critiques aussi avisés n’est pas sans risque, mais il s’est avéré infiniment stimulant et gratifiant. Je les remercie chaleureusement du temps qu’ils ont investi dans leur lecture et leur critique et remercie ausi les éditeurs de la revue d’avoir programmé une disputatio sur La nature de la volonté. Puisse cette disputatio clarifier les enjeux méthodologiques et métaphysiques qui constituent l’arrière-plan des théories de l’action. Parmi mes trois critiques, seul Pierre Livet partage avec moi une conception radicale du naturalisme, en cherchant lui aussi à parvenir à une théorie de l’action compatible avec ce qu’on sait, non seulement du cerveau, mais des systèmes dynamiques auto-organisés que le cerveau instancie. Le débat avec Livet porte sur des sujets qui, quoique techniques, me semblent au coeur de la philosophie de l’action ; il s’agit de comprendre les contraintes dynamiques des systèmes représentationnels évoluant dans des paysages changeants, et d’y inscrire une théorie du contrôle qui soit suffisamment générale pour s’appliquer à l’action motrice et à l’action mentale. Avec Daniel Laurier, le terrain cesse d’être partagé ; la rigueur de ses objections suscite l’exigence symétrique d’affuter davantage mes arguments. Je lui dois l’occasion d’expliciter la métaphysique de l’esprit agissant, restée implicite dans La nature de la volonté à la suite d’un choix éditorial. J’ai également beaucoup apprécié de pouvoir m’expliquer sur la sémantique de la volition. Stéphane Chauvier, enfin, retrace les étapes de ma théorie de la volition en idiome hobbesien (ou watsonien ?), depuis de primitifs et mécaniques « attrapages de pommes » jusqu’à l’apparition d’un sujet qui les veuille. La gageure était de le convaincre qu’il y a plus d’une façon d’être mécaniste, et que la théorie du contrôle peut remplir le cahier des charges de l’auto-affection et de la conscience d’être identique à soi-même, sans rétablir l’homuncule ni sombrer dans le fictionalisme. Daniel Laurier s’intéresse tout particulièrement à la métaphysique de l’action. Il considère que je paye le prix fort pour avoir candidement opté pour l’image scientifique, au dépens de l’image manifeste du monde. Il relève que ma position est celle d’un « anti-réductionnisme qui a pour effet de ne laisser aucune place à l’efficacité causale des propriétés mentales ou des contenus intentionnels ». Les autres objections se répartissent en deux sections. La première examine la théorie de la volition. La deuxième section aborde les questions de la liberté et de l’identité personnelle. Ma réponse suivra l’ordre de ces objections, en commençant par expliciter la métaphysique de l’action qui inspire mon ouvrage, même si elle est restée, il est vrai, confinée à quelques passages. Quelques philosophes, dont je fais partie, ont pris au sérieux les conséquences du rejet par Quine de la distinction entre propositions analytiques et synthétiques. On ne peut plus, dès lors, se borner à philosopher dans un fauteuil. Les concepts sont l’effet collectif d’une recherche indissociable des avancées empiriques. Comme d’autres ouvrages issus de ce rejet, La nature de la volonté se propose de construire une théorie philosophique de l’action compatible, d’une part, avec l’expérience commune de l’agir, soit son « image manifeste », et, d’autre part, avec les apports des sciences cognitives, et en particulier des neurosciences, où des avancées sans précédents ont été faites durant la dernière décennie, soit son « image scientifique ». A ce double système de contraintes s’ajoutent les exigences proprement philosophiques du réalisme représentationnel. Il n’est pas évident d’avoir à faire de la philosophie en tenant compte de contraintes aussi diverses. Je tente, comme d’autres, depuis vingt ans, de les gérer rationnellement, en réfléchissant sur les questions de méthode que cela pose à …

Parties annexes