Je dois d’abord signaler mon accord avec la stratégie générale de l’ouvrage de Joëlle Proust. Reformuler la notion de volition dans les termes du contrôle, la lier aux capacités d’ajustement et de révision de l’action, tenter d’étendre cette notion de contrôle et de révision à tous les niveaux de l’action, du niveau moteur au niveau de la transformation de soi en relation avec une image de soi, en passant par le niveau de la régulation d’une activité complexe en fonction de son adéquation avec un contexte dans lequel on dispose de repères pour savoir si l’on satisfait des règles, lier la constitution de l’identité personnelle à ces capacités de contrôle, repenser le débat sur la tension entre liberté et déterminisme en fonction de cette problématique nouvelle, ce sont là des lignes de programme auxquelles j’adhère, et qui sont brillamment exposées et développées dans La nature de la volonté. Mes quelques perplexités portent sur la possibilité d’utiliser à tous les niveaux la référence à un modèle de contrôle qui me semble surtout pertinent au niveau moteur. Je ne pense pas que cela soit totalement satisfaisant. Mais comme nous savons que Joëlle Proust s’inspire de la théorie mathématique du contrôle développée par Aubin, et que cette théorie va bien au-delà d’une application possible au niveau moteur, cette limitation est peut-être apparente, et tient à ce que, dans la collection Folio, il était sans doute difficile de pouvoir présenter une théorie fort complexe comme celle d’Aubin et ensuite de montrer comment elle s’appliquait dans les différents niveaux de l’action. Il me reste à argumenter mes perplexités. Au niveau moteur, nous rencontrons une situation privilégiée. D’une part, dans la plupart de nos mouvements, nous disposons d’un « modèle inverse », qui nous dit comment en fonction d’un état final souhaité n transformer cet état pour parvenir à notre situation motrice présente, et donc quelles sont les opérations qu’il va falloir déclencher pour reparcourir en sens inverse le chemin qui va nous mener de la situation présente à l’état final souhaité. Nous disposons aussi de « simulations internes » ou « modèles internes » qui lient à la commande d’une séquence de mouvements l’anticipation des réafférences proprioceptives, voire perceptives qui devraient nous revenir en fonction de ces mouvements, et nous disposons de moyens de comparer ces réafférences anticipées et les réafférences effectives et de corriger les mouvements pour arriver à nos fins. Tout cela suppose une mise en branle en parallèle des commandes motrices, de l’enregistrement de ces commandes (efférence) et de la comparaison entre les réafférences anticipées et les réafférences observées. Mais la mise en place de ces modèles inverses, de ces modèles internes qui sont aussi des modèles anticipatifs, la mise en parallèle de leurs déterminations, et la détermination des capacités de correction, tout cela a exigé de très longs apprentissages, depuis notre naissance. Il n’est pas du tout évident que nous disposions de ces capacités à d’autres niveaux, qu’il s’agisse du contrôle qui tient compte des règles propres à une situation nouvelle, ou, davantage, de celui qui nous permet d’agir de manière cohérente avec nos valeurs et de mieux correspondre à notre image de nous-mêmes. Avant de montrer en quoi les trois types de contrôle diffèrent, revenons sur l’interprétation que donne Joëlle Proust des expériences très intéressantes de Haggard et de son équipe. Il a montré qu’une activation cérébrale liée à une décision de répondre à la consigne précède une autre activation liée à la sélection d’un type de mouvement particulier, et que la conscience de la décision d’agir est concomitante non pas de la première activation, mais de la seconde. …