Comptes rendus

Rescher, Nicholas. Essais sur les fondements de l’ontologie du procès, traduction et introduction par Michel Weber, Ontos-Verlag, 2006[Notice]

  • Frédéric Tremblay

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  • Frédéric Tremblay
    SUNY at Buffalo et IFOMIS (Saarbrücken)

Ce livre est la traduction d’une collection de textes tirés de quatre monographies de Rescher : Process Metaphysics, Process Philosophy, Nature and Understanding, et Inquiry Dynamics, regroupés sous trois thèmes, soit Prolégomènes, Métaphysiques du procès, et Épistémologie du procès. L’ensemble est précédé d’une brève préface du traducteur qui met en parallèle la philosophie du processus de Rescher avec celle de Whitehead. Dans les Prolégomènes, Rescher présente un relevé de l’histoire de la philosophie du processus avant d’en exposer les thèses générales. Il défend ces thèses contre les philosophies anti-processuelles, en particulier celle de P. F. Strawson, et indique quelques difficultés des ontologies substantialistes. Cette première partie forme donc la base des deux autres parties dans lesquelles Rescher applique l’interprétation processuelle à certaines sphères de la science, en commençant avec l’anthropologie philosophique et en proposant une analyse de la personne en termes (partiellement) processuels : une personne n’est pas une substance mais un agrégat de processus, dispositions, tendances, etc. Il l’applique ensuite aux sciences naturelles en s’attardant particulièrement au caractère kaléidoscopique de la complexité de la nature. Rescher s’intéresse en troisième lieu aux processus dans le contexte de la cognition, du développement scientifique et philosophique, et du réalisme métaphysique. L’application de la perspective processuelle aux différentes sphères de la science n’a, en revanche, une valeur proprement scientifique que dans la mesure où l’ontologie processuelle est elle-même fondée. Attardons-nous donc maintenant sur la question des fondements de l’ontologie du processus qu’annonce le titre. Quels sont ces fondements? Dans la première partie, une section est consacrée aux « Idées fondamentales » dans laquelle Rescher présente les deux thèses générales de la philosophie du processus : 1) « les choses nécessitent les procès »; et 2) « les procès sont plus fondamentaux que les choses » (p. 44). La première thèse est causale et veut que les processus soient causalement premiers aux choses, la seconde concerne la constitution ontique des choses et veut que ces dernières soient ultimement constituées de processus. Les deux thèses reposent implicitement sur une troisième suivant laquelle il existe des processus sans propriétaires ou, pour suivre la traduction de Weber, « procès impropres ». Un processus avec propriétaire (owned process) est le processus d’une substance ou, du moins, un processus dont l’existence dépend d’une substance. Un processus sans propriétaire (unowned process), au contraire, est un processus sans support substantiel, free floating pour employer l’expression de Rescher. Ainsi, le processus sans propriétaire est séparable de toute substance et peut exister indépendamment d’elle. Rescher exprime cette idée de la façon suivante : « Du point de vue du philosophe du procès, l’existence de procès impropres est particulièrement importante, car elle montre que le domaine du procès est complémentaire et séparable du domaine des choses substantielles » (p. 56). La thèse de l’existence de processus impropres (ou séparabilité du processus) est une condition nécessaire aux deux thèses exposées plus haut. En effet, la thèse suivant laquelle les processus sont causalement premiers aux substances implique qu’il y ait un processus séparé d’une substance qui soit causalement première à la substance. Et, ensuite, la thèse suivant laquelle les processus sont plus fondamentaux que les substances présuppose que les substances sont, au niveau microscopique, ultimement constituées de processus sans propriétaires (je présume que Rescher les conçoit comme étant impropres, car autrement il n’y aurait pas lieu de parler d’une relation de fondation). Mais cette thèse ne tient pas compte de la corrélation à chaque niveau de granularité entre les mouvements et leurs substances correspondantes : les galaxies sont constituées non pas de rotations impropres …