Dans cet article, je me propose de défendre la position selon laquelle les devoirs de justice sont des devoirs de type associatif. Ils doivent leur existence au principe d’égal respect qui s’applique dans le cadre de certaines associations. Le principe d’égal respect a des implications fondamentalement égalitaristes en matière de justice, mais je ne discuterai pas ici du contenu spécifique des principes de justice qui en découlent. Je soutiendrai aussi que la base associative des devoirs de justice nous permet de mieux comprendre les diverses exigences morales reliées à la citoyenneté au sein d’un État et à la participation à l’économie mondiale. Ces exigences découlent de sources morales fondamentalement différentes, et elles s’appliquent à des objets moraux différents. Elles peuvent rivaliser entre elles lorsqu’il s’agit de l’allocation de ressources ou de l’attention qu’on doit leur accorder; mais une telle concurrence ne fait que réfléchir la complexité de la vie moderne, et il n’y a aucune raison principielle de faire primer dans tous les cas un ensemble de devoirs sur l’autre. Il sera utile dans le cours de cette discussion de se rappeler que les devoirs de justice imposent un fardeau particulièrement lourd. Très souvent, les devoirs de justice exigent une action, et pas seulement l’absence d’interférence. Par exemple, une réponse appropriée à la violation de libertés importantes appelle une intervention en vue de la faire cesser, et peut-être même la poursuite et la punition des responsables. De plus, comme cet exemple le suggère, même si les devoirs de justice sont généralement des devoirs d’individu à individu, ils exigent souvent une action et une coordination collectives plutôt que des actions individuelles isolées. Souvent, les devoirs de justice appellent la création et la défense d’institutions. Lorsqu’une injustice survient, il est souvent nécessaire d’y apporter une réponse institutionnelle, ou d’établir des institutions visant à empêcher des injustices similaires de se produire dans l’avenir.Une façon de concevoir la source des devoirs de justice fait appel à la notion de personne. Elle stipule que les devoirs de justice découlent seulement de la considération morale due aux personnes. La proposition P1 est certainement contre-intuitive dans la mesure où elle implique que nous manquons actuellement à nos devoirs de justice à l’égard de milliards de personnes dans le monde, dont nous ignorons même jusqu’à l’existence. Cette implication contre-intuitive peut être corrigée en ajoutant à la proposition une clause subjective. Il y a au moins deux façons de le faire: La proposition P2 est plus exigeante que P3 puisqu’elle n’excuse pas certains cas d’ignorance. Cependant, même P3 n’est pas plausible au regard du fardeau particulièrement lourd qu’imposent les devoirs de justice. Une simple expérience de pensée nous permet d’entrevoir le fardeau excessif qu’impose P3. Imaginons deux sociétés séparées par une grande distance (ce qui est bien sûr technologiquement relatif) et qui n’entretiennent pas d’interactions fréquentes. Les personnes appartenant à chaque société connaissent l’existence de celles qui appartiennent à l’autre et disposent d’une compréhension générale des circonstances respectives dans lesquelles elles vivent. Peut-être ces sociétés ont-elles envoyé des émissaires à une ou deux occasions ou reçoivent-elles des rapports annuels concernant l’autre société? Les personnes appartenant à chaque société entretiennent des croyances concernant celles qui appartiennent à l’autre dans la mesure où, par exemple, elles supposent que les autres ne représentent pas une menace à leur existence ou à leur bien-être. J’admets volontiers que les devoirs (humanitaires) moraux de base existent entre ces gens malgré la distance qui les sépare. Mais la position selon laquelle ces deux sociétés auraient en plus des devoirs de justice l’une envers l’autre implique que si les membres d’une société ne jouissent pas, par exemple, …
Parties annexes
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