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Introduction : Cosmopolitisme et particularisme[Notice]

  • Jocelyne Couture et
  • Kai Nielsen

En proposant un volume sur le cosmopolitisme et le particularisme, nous avons voulu mettre en évidence une opposition qui, à notre avis, a joué et continue de jouer un rôle structurant dans les débats qui animent la philosophie politique contemporaine. Dans ce qui suit, nous voulons montrer que cette opposition, d’abord conçue comme une dichotomique tranchée, a forcément évolué, à la faveur des débats, vers des positions plus nuancées de part et d’autre jusqu’à ce que ses multiples déclinaisons en vienne à toucher, en plus des problèmes soulevés par la présente conjoncture mondiale, une grande partie des questions traditionnelles de la philosophie politique. Les contributions réunies dans le présent volume en donnent un exemple frappant. Nous ne les discuterons pas en détail; elles sont suffisamment claires et brèves pour n’avoir besoin ni d’explication ni de résumé. Nous pourrons nous y référer au passage, mais notre objectif dans cette introduction est plutôt d’expliciter le contexte philosophique dans lequel elles prennent place. Le cosmopolitisme est une ancienne doctrine dont on attribue la paternité aux stoïciens, surtout romains. Elle repose à son origine sur l’idée d’un ordre moral universel, accessible à tous par la raison et composé des principes, des devoirs et des obligations que chaque être humain doit mettre en pratique à l’endroit de chacun de ses semblables. Sénèque et Marc-Aurèle défendent l’idée que, même si chacun est membre d’une communauté locale, c’est la communauté mondiale des êtres humains qui est la source de nos obligations et de nos valeurs les plus importantes. Nous sommes, disent-ils, « citoyens du monde ». Les philosophes des Lumières ont repris à leur compte cette doctrine, et Kant l’a formalisée dans un idéal de justice cosmopolitique qui devrait s’incarner, selon lui, dans une fédération mondiale de républiques, garante d’une paix perpétuelle et respectueuse de la dignité de chacun. Bien que la doctrine cosmopolitique ait été reprise sous des formes diverses, c’est en tant que doctrine morale qu’elle intéresse surtout les philosophes. Dans ses versions contemporaines, elle reprend essentiellement les idées anciennes, mettant de l’avant le point de vue voulant que l’allégeance morale première d’une personne aille à la communauté mondiale des êtres humains et affirmant que nous avons les mêmes devoirs et les mêmes obligations à l’endroit de chacun, quels que soient son origine, sa nationalité ou l’endroit du monde où il vit. D’où l’opposition des défenseurs du cosmopolitisme à toute forme de particularisme, à commencer par le nationalisme et le communautarisme. Nous ne devrions pas, selon eux, accorder de primauté morale aux membres d’une communauté locale telle que la nation, ou à nos coreligionnaires, ou à une famille politique. Au coeur de cette exigence, on trouve ainsi une croyance purement morale voulant que tous les humains aient une valeur égale, que la vie de tous compte et compte également, et que chaque être humain, du moins initialement, mérite un égal respect. Le cosmopolitisme implique minimalement une certaine posture morale en matière de justice. L’idée d’une charte des droits universels est d’inspiration cosmopolitique, de même que celle d’une justice distributive à l’échelle mondiale. Les défenseurs du cosmopolitisme se font aussi très souvent les avocats d’interventions interétatiques en cas de violations des droits de la personne. S’ils n’ont pas le monopole des conceptions de la justice globale, ils en sont des partisans convaincus, se désintéressant d’une façon caractéristique des conceptions plus étroites qui se limiteraient, par exemple, à définir les arrangements institutionnels souhaitables au sein de certains types d’organisation étatique. Pour les défenseurs du cosmopolitisme, ce qui est moralement souhaitable pour les uns doit également l’être pour tous. Et les bénéficiaires premiers des mesures de justice doivent …

Parties annexes