Disputatio

L’identité des imaginaires sociaux et la nature des droits[Notice]

  • Paul Patton

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Le but de Charles Taylor, dans ce remarquable petit livre, est d’esquisser la forme particulière de la modernité occidentale, dans la mesure où elle peut être caractérisée par rapport à un certain nombre de sphères de la vie sociale et de formes d’autocompréhension qui leur sont associées. Il identifie trois de ces formes comme étant cruciales à la modernité: la société comme économie de marché, la société comme sphère «métatopique» de discussion publique sur des sujets d’intérêt commun, et la société, ou «le peuple», établi comme agent collectif à travers les formes institutionnelles du gouvernement démocratique. Il prétend que nous pouvons reconnaître, dans ces formes de pratique sociale et d’autocompréhension, «les linéaments de notre compréhension de l’ordre moral dans les démocraties libérales contemporaines» (p. 143). Sous plusieurs aspects, c’est une histoire familière sur la nature de la société occidentale. L’originalité de la version de Taylor réside dans l’effort qu’il met à relier ces assemblages complexes de discours et de pratiques sociales en explorant l’idée que la modernité occidentale «est inséparable d’un certain type d’imaginaire social» (p. 1). Néanmoins, le concept d’«imaginaire social» est élusif. Son identité indéterminée est indiquée d’abord par l’incertitude quant au nombre de ces imaginaires qui sont associés avec la modernité occidentale. D’une part, Taylor suggère que les différences entre la modernité occidentale et les autres «doit être comprise à partir des différents imaginaires sociaux en jeu» (p. 2), ce qui suggère un imaginaire pour chaque forme de modernité distincte. D’autre part, il passe immédiatement au pluriel en suggérant qu’il vise à exposer «les formes d’imaginaire social qui sous-tendent la montée de la modernité occidentale» (p. 2). Dans l’analyse qui suit, il est difficile de voir si l’on traite d’un seul imaginaire social de la modernité occidentale ou bien de plusieurs imaginaires interdépendants. Les frontières externes et la structure interne des imaginaires sociaux sont toutes deux difficiles à établir. Dans ces brefs commentaires, je propose d’indiquer quelques-unes des façons dont les imaginaires sociaux peuvent être compris correctement, à partir du type d’identité que Derrida attribue aux cultures en général, cà-dire une sorte particulière d’identité différentielle et non-identique-à-elle-même: «Ne pas être identique à soi-même, ce n’est pas ne pas avoir d’identité, mais ne pas pouvoir s’identifier soi-même, [...] être capable de prendre la forme d’un sujet seulement dans la non-identité avec soi-même ou, si vous préférez, seulement dans la différence avec soi-même[...].» Taylor reconnaît qu’il y a une part d’arbitraire dans la tentative de comprendre notre imaginaire social moderne seulement en fonction des assemblages centraux que sont l’économie, la sphère publique et le gouvernement démocratique. Comme il le fait remarquer, ceux-ci ont tous émergé dans le contexte de transformations encore plus larges à l’intérieur de la société européenne: la domestication de la noblesse féodale, l’adoption des arts «civils» de gouvernement, l’emploi de techniques disciplinaires pour la gestion et la formation des individus et des groupes, et la réforme de la religion, ont été tout aussi importants dans l’avènement d’une société que l’on peut reconnaître comme moderne. À une échelle temporelle encore plus grande, l’émergence d’individus libres et autodéterminés comme type idéal et comme base de la vie sociale peut être vue comme la conséquence d’un processus complexe de «désenchâssement» [disembedding] des individus et des formes d’imbrication dans la collectivité, la vie quotidienne et le cosmos qui étaient courantes dans les sociétés antérieures. Taylor esquisse une généalogie de l’individu moderne désenchâssé et, avec une référence évidente à Foucault, appelle ce processus «le Grand Désenchâssement». Finalement, l’imaginaire social n’inclut pas que les formes de compréhension à travers lesquelles les individus appréhendent leurs pratiques sociales, …

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