De prime abord, le non-spécialiste du Moyen Âge pourrait s’étonner de la parution d’un nouvel ouvrage sur « le problème des universaux » tant le thème peut sembler déjà bien balisé par de nombreuses études, au premier rang desquelles il faut mentionner celle, bien connue et magistrale, qu’Alain de Libera a consacrée à ce topos philosophique (La querelle des universaux, Paris, Seuil, 1996). Pourtant, le titre du livre de David Piché nous avertit d’emblée de sa singularité : Paris, les années 1230 à 1260. Cette limitation géographique et chronologique n’est ni arbitraire ni l’effet d’une contrainte universitaire — ce livre est, en effet, la reprise d’une thèse de doctorat dirigée par Claude Lafleur et Alain de Libera. Ce choix a même une signification forte compte tenu du mythe puissant et tenace qu’a forgé lentement une partie de l’historiographie du XXe siècle à propos de cette étape de la philosophie médiévale. On parle volontiers de « renaissance du XIIe siècle », à laquelle les manuels font généralement succéder une période de latence, que seules les grandes figures de la fin du XIIIe siècle ou du XIVe siècle semblent pouvoir ressusciter ou dépasser. On apprend pourtant dans cet ouvrage comment s’est structurée la question philosophique des universaux pendant cette période charnière et cependant négligée. Mais, non sans paradoxe, David Piché nous montre aussi qu’il n’y a pas, à proprement parler, de « querelle des universaux » à cette époque, mais qu’une thèse plutôt consensuelle voit le jour. Pour ce faire, cette monographie nous invite à parcourir les textes d’artiens assez peu étudiés, tels que Robert Kilwardby, Jean le Page, Nicolas de Paris et un certain Robert l’Anglais (Robertus Anglicus) qui servira de fil conducteur tout au long de la démonstration. En ce qui concerne plus particulièrement les universaux, plusieurs raisons historiques ont pu pousser les médiévistes à occulter certains des auteurs dont nous parle aujourd’hui ce livre. En effet, il faut attendre assez tard dans le XIIIe siècle pour voir le corpus aristotélicien entièrement traduit en latin. Ajoutons à cela les interdictions successives, dès le début de ce siècle, d’enseigner à la Faculté des arts de Paris une large part de cet ensemble d’écrits fraîchement redécouverts. On se fait ainsi une image assez pauvre de cette période et de ces philosophes qui ne possédaient pas encore toutes les armes pour affronter le problème des universaux tel qu’on les connaît sous la plume d’auteurs plus tardifs. Or, ce que révèle l’analyse de Piché, c’est non seulement qu’une partie du corpus aristotélicien est déjà mobilisée entre 1230 et 1260 pour réfléchir sur les universaux, mais surtout que les commentaires sur l’Isagogè de Porphyre (maintenu constamment au programme de la Faculté des arts avec les oeuvres logiques d’Aristote) nous indiquent précisément la structuration de la problématique et permettent de comprendre l’évolution de celle-ci au XIIIe siècle. Rien d’étonnant, soulignera-t-on, puisque l’on considère généralement Porphyre comme celui qui a fourni au Moyen Âge un prétexte pour le traitement des universaux dans son fameux « questionnaire » formulé dès les premières pages de l’Isagogè. Mais une étude suivie des commentaires sur l’Isagogè à cette époque manquait encore aux historiens de la philosophie médiévale. Il apparaît donc en filigrane que la véritable rupture à la fin du XIIIe siècle provient plutôt de l’influence « averroïste » et, avec elle, d’une version plus noétique de la problématique des universaux, presque absente des débats parisiens entre 1230 et 1260. David Piché montre bien, en effet, que le consensus se concentre autour d’une forme de réalisme immanentiste, faisant …
David Piché, Le problème des universaux à la Faculté des arts de Paris entre 1230 et 1260, Paris, Vrin, coll. « Sic et Non », 2005, 365 p.[Notice]
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Aurélien Robert
Centre d’études supérieures de la Renaissance — CNRS