Comptes rendus

Jean-Marc Narbonne, « Lévinas et l’héritage grec », accompagné de Wayne Hankey, « Cent ans de néoplatonisme en France. Une brève histoire philosophique », trad. par M. Achard et J.-M. Narbonne, Paris et Québec, Vrin et Presses de l’Université Laval, coll. « Zêtêsis », 2004, 268 pages.[Notice]

  • Jean-François Pradeau

…plus d’informations

  • Jean-François Pradeau
    Université de Paris X – Nanterre et Institut Universitaire de France

Ce livre regroupe deux études qui devaient être à l’origine deux articles. Comme ils s’en expliquent dans l’avant-propos, leurs auteurs ont souhaité en faire un volume, considérant qu’il y aurait là témoignage de la vigueur des études néoplatoniciennes en langue française et, avec l’exemple privilégié de Lévinas, une analyse de l’influence néoplatonicienne sur la phénoménologie française. J.-M Narbonne publie ainsi, dans une collection qu’il dirige, un essai sur le néoplatonisme apparent et implicite de Lévinas, et une co-traduction d’un essai d’« histoire philosophique » consacré aux principaux représentants français des études néoplatoniciennes ainsi qu’à l’influence de ces études sur la philosophie française contemporaine. La thèse que J.-M. Narbonne entend défendre dans son essai est la suivante : la philosophie contemporaine, sous sa forme la plus inspirée, c’est-à-dire heideggérienne, n’a pas saisi l’importance de la méditation grecque d’un au-delà de l’être, de ce que J.-M. Narbonne (désormais JMN) appelle du nom presque propre d’epekeina (« au-delà »). Cette méditation, qui prend sa source dans Platon, trouve son accomplissement dans Plotin, et Heidegger s’est donc trompé en ne voyant dans la philosophie grecque qu’une réflexion sur l’étant. Certains de ses héritiers français, ou bien certains des historiens français de la philosophie dans les travaux desquels l’oeuvre heideggérienne a produit des effets ou prononcé des injonctions, ont en revanche été plus attentifs, selon JMN, à l’importance d’une pensée de l’au-delà de l’être qu’on voit s’affirmer dans la théologie négative ancienne et dans la tradition platonicienne. Parmi eux, Lévinas figurerait donc en première place. C’est ce qu’entend montrer JMN, qui procède de manière didactique en indiquant que ce qui a été manqué par Heidegger a été saisi par Lévinas et qui entreprend de repérer la manière dont Lévinas hérite d’une version « néoplatonisée » de l’epekeina platonicien. Une parenté est alors établie entre « l’au-delà de l’être » des néoplatoniciens et « l’autrement qu’être » du phénoménologue contemporain. Afin de mieux établir sa démonstration, JMN dresse un décor ancien où la réflexion contemporaine trouvera son pendant : il soutient que la question de Dieu occupe la philosophie ancienne, qui se montrerait tout aussi soucieuse de l’epekeina. Ce faisant, JMN découvre sa dette à une tradition d’exégèse contemporaine dont on pourrait dire, bien vite, qu’elle est une lecture chrétienne de l’histoire de la philosophie, ravivée à une source heideggérienne. Ce type d’exégèse est récent, il est celui dont les travaux de J.-L. Marion ont donné les exempla les plus féconds, et l’on pourrait, en amont (avec P. Aubenque et certains de ses maîtres), reconstituer son élaboration au moment où, en France, une tradition de lecture chrétienne des textes philosophiques s’est renouvelée au contact de l’oeuvre de Heidegger, et plus exactement à la manière dont on a lu chez ce dernier une condamnation de l’onto-théo-logie au profit d’une expérience de pensée authentique de l’être. Cette forme contemporaine d’exégèse chrétienne a choisi de faire porter l’essentiel de son attention sur la manière dont la philosophie était grevée, en son principe même, par la question de son dépassement. Il ne s’agit pas simplement de dire de la tradition philosophique qu’elle est impossible ou qu’elle a atteint son terme, historique par exemple, et qu’elle doit être alors destituée et dépassée, mais bien plutôt d’inscrire cette destitution dans son existence même, en expliquant que la philosophie ne cesse d’appeler son propre dépassement. La philosophie serait de la sorte le discours où la rationalité atteindrait à la fois son optimum, le savoir, pour faire en même temps l’expérience de sa nullité au moment où il s’agit de saisir ce qui fonde toutes choses mais se dérobe à …

Parties annexes