C’est à partir de ce contexte que De Koninck insiste sur la réunion de trois conditions pour qu’il y ait possibilité d’éducation : il faut non seulement une nature humaine (un bon sol) et une instruction (une bonne semence), mais aussi et surtout un éducateur (un bon cultivateur) (p. 22). Ces trois dimensions directement inspirées d’Aristote et de Plutarque méritent d’être quelque peu explicitées, puisqu’elles constituent le noyau autour duquel s’articulent les thèses de l’auteur en matière d’éducation. D’abord, il ne peut y avoir développement sans une nature humaine qui le rende possible d’un point de vue psychophysique, ce que confirment les derniers développements en neurosciences sur la mécanique du cerveau qui permettent de mieux comprendre les facteurs biologiques de l’apprentissage, comme la maturation de l’arbre dendritique ou les conditions hormonales (p. 24-25). Mais cela n’enferme pas pour autant l’individu dans une destinée préprogrammée. Puisque la nature seule est aveugle, tout ce qui constitue la personne ne peut se passer des semences que sont la culture et l’éducation (p. 22). L’insertion de l’enfant dans un milieu proprement socio-éducatif (pensons évidemment à l’école) apparaît donc primordiale, puisque l’essentiel de la personne et de son développement résulte justement de l’apport de la mise en contact avec l’environnement et les autres. Sans toutefois le mentionner clairement, l’auteur semble ainsi approuver ce que l’on appelle couramment un concept constructiviste de l’apprentissage, à l’instar de plusieurs psychologues du développement (cognitif ou moral) et de l’éducation (Bruner, Doise, Flavell, Gilligan, Giordan, Kohlberg, Not, Piaget, etc.). Ce concept coïncide avec l’idée de l’auteur voulant que la maturation intellectuelle et sociale de l’apprenant se conçoive comme un processus de libération du conformisme et de la mémorisation au profit de l’autodiscipline et du dialogue (p. 135, 165, 167). Afin que l’interaction entre l’organisme individuel et l’environnement éthico-social puisse constituer une condition de ce développement de la personne, il faut cependant l’intervention d’un bon cultivateur capable d’enclencher ce processus d’apprentissage, notamment par la présentation de conflits socio-cognitifs qui parsèment la progression et les ruptures, de l’enfance à l’âge adulte. Car un bon sol demeure stérile « s’il n’est pas retourné et cultivé » (p. 22). Le rôle de tout pédagogue consiste ainsi à faire naître chez la personne une certaine joie d’apprendre et à lui offrir les conditions affectives et intellectuelles pour y parvenir (climat de confiance, possibilités d’expérimentation, etc.) (p. 82, 90-91, 165, 168-169). Dans ces conditions, une question se pose forcément à la lecture de l’ouvrage : l’éducateur va-t-il sentir que ses préoccupations sont prises en considération ? Notre réponse est à la fois positive et négative. Positive, au sens où l’auteur justifie, notamment au profit des enseignants de philosophie, pourquoi les milieux éducatifs doivent transmettre la richesse des grands penseurs du passé pour éclairer le présent. (Initier la jeune personne à l’oeuvre d’Aristote ou de Plutarque afin qu’elle puisse saisir la signification première d’un concept aussi complexe que celui d’éducation constitue sûrement un bon exemple de la nécessité de transmettre cette richesse intergénérationnelle.) Négative, puisque, dans la majorité des chapitres (quatre sur sept), l’idée d’éducation elle-même n’est traitée que de façon allusive en arrière-plan – comme un prétexte à l’étude d’autres notions, domaines ou réalités déjà exemplifiés au début de cette recension – si l’on excepte les chapitres sur l’enfance, le politique et l’enseignement des savoirs. On retrouve dans ces chapitres des éléments plus utiles pour l’enseignant et la compréhension de sa responsabilité devant tout apprenant, éléments que nous avons tenté de faire ressortir dans les lignes qui précèdent. De plus, pour cerner les problèmes radicalement nouveaux en matière d’éducation, face auxquels les enseignants et les sociétés …
Thomas De Koninck, Philosophie de l’éducation. Essai sur le devenir humain, Paris, Presses Universitaires de France, coll. « Thémis », 2004, 296 pages.[Notice]
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David Lefrançois
Université du Québec à Trois-Rivières