Disputatio

Réponse à mes critiques[Notice]

  • Claude Panaccio

…plus d’informations

Il me faut dire avant toute chose à quel point l’accord généralisé de Jennifer Ashworth avec les thèses que j’ai soutenues dans Ockham on Concepts est réjouissant pour moi. Plusieurs des analyses proposées dans le livre, en effet, vont directement à l’encontre des interprétations qui ont été tenues pour orthodoxes dans les dernières décennies. Or Jennifer Ashworth est l’une des meilleures spécialistes au monde de la logique et de la sémantique médiévales et son appui, donc, m’est extrêmement précieux, comme on peut l’imaginer ! Son intervention, en outre, apporte des précisions appréciables sur deux points particuliers, auxquels je voudrais réagir brièvement. Il y a d’abord le cas du couple sanum/sanitas (« sain »/« santé »). Ce couple intéresse tout spécialement Jennifer Ashworth parce que « sanum » est l’exemple paradigmatique d’un terme analogique dans la tradition aristotélico-médiévale : quand on parle d’un corps sain, d’une nourriture saine, ou d’une urine saine, on a affaire chaque fois à un sens différent du mot « sain », mais les trois usages pour autant sont loin d’être sans rapport entre eux et c’est cette connexion distinctive, justement, que l’on a voulu cerner avec la notion d’« analogie ». Or il se trouve que Jennifer Ashworth est aujourd’hui la grande spécialiste des théories logico-sémantiques de l’analogie au Moyen Âge, et l’on comprend facilement dans ce contexte pourquoi elle s’intéresse tant à ce cas, qui rejoint directement, par ailleurs, mon propre intérêt pour les termes connotatifs. Replacé dans le cadre des distinctions mises en place par Ockham parmi les diverses sortes de termes, le couple « sain »/« santé » apparaît d’emblée comme une opposition typique entre un terme concret (« sain ») et l’abstrait correspondant (« santé »), au même titre par exemple que « blanc »/« blancheur », « beau »/« beauté » ou « père »/« paternité ». Mais, comme Ashworth le signale, ce type d’oppositions cache en fait pour Ockham, sous des dehors apparemment unifiés, quatre sortes de distinctions bien différentes, dont certaines d’ailleurs se resubdivisent. L’unité apparente de la distinction, en d’autres mots, n’est qu’un phénomène de surface, purement morphologique. Sémantiquement parlant, le rapport entre le terme concret et l’abstrait correspondant n’est pas toujours le même. Il y a des cas, au dire d’Ockham, où l’un et l’autre sont parfaitement synonymes ; et quand ils ne le sont pas, diverses possibilités encore peuvent se présenter, que je ne reprendrai pas ici. L’intéressant pour notre propos est que dans la majorité des couples de ce genre (mais pas dans tous), le concret, pour Ockham, doit être un terme connotatif, mais pas nécessairement l’abstrait. Ainsi, « blanc » est un connotatif qui a les choses blanches pour signifiés premiers (celles dont il est vrai de dire « ceci est blanc ») et leurs blancheurs pour connotata. La sémantique des termes concrets recoupe donc celle des connotatifs, auxquels une portion importante de mon livre est consacrée. Le problème avec le terme concret « sanum », en particulier, est que certaines des choses que dit Ockham à son propos ne cadrent pas très bien avec ma reconstruction de la sémantique ockhamiste des connotatifs. C’est ce qui amène Ashworth à conclure ainsi cette partie de son texte : « Il semble que la distinction entre termes absolus et connotatifs ne soit pas aussi claire que Panaccio le pense » (p. 430). Il est exact, en effet, que selon ma lecture de la dernière théorie d’Ockham – celle qu’il expose dans la Somme de logique et dans les Questions quodlibétales –, « sanum » quand il s’applique aux animaux ne peut être qu’un …

Parties annexes