Disputatio

L’art en actionDe quelques ontologies précaires[Notice]

  • Jean-Pierre Cometti

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Le livre de David Davies, Art as Performance, renouvelle pour une large part la réflexion sur l’ontologie des oeuvres d’art en s’attachant de manière précise et vigoureuse aux pratiques artistiques qui débordent manifestement les cadres trop étroits forgés par les approches traditionnelles. En cela, il s’accorde avec les tendances les plus significatives qui se sont fait jour dans l’art de la fin du vingtième siècle, bien au-delà de ce que laissaient entrevoir les modèles en apparence les plus innovants ou problématiques auxquels la réflexion sur l’art a pris l’habitude de se référer (de Duchamp à l’art des années soixante et à ce qui en est issu). Le plus souvent, notre réflexion cède naturellement aux attraits d’une mythologie de l’objet, centrée sur le genre de propriétés que nous avons l’habitude de privilégier lorsqu’il s’agit de discerner l’être ou le mode d’être des productions de l’art de celui des objets ordinaires. Dans Art as Performance, Davies prend opportunément congé des schémas ou des conceptions qui nous y poussent ou nous y ramènent en optant résolument pour une démarche destinée à mettre en relief la dimension fondamentalement événementielle et performative de la production artistique, autant que des oeuvres comme telles. Selon la théorie considérée, les oeuvres d’art doivent être conçues, « non pas comme les productions (contextualisées ou décontextualisées) des actes (performances) qui les engendrent, mais comme ces actes mêmes » (p. 10). Les lecteurs de Davies ne manqueront pas d’observer — et d’apprécier — le soin avec lequel il examine les arguments qui, dans la littérature récente, plaident pour d’autres options ou pour des perspectives apparemment proches des siennes, comme celles qui mettent également en avant le rôle des actions dans ce qui constitue une oeuvre d’art comme telle. À défaut d’entrer dans le détail de ces analyses, la plupart du temps passionnantes, je voudrais insister sur l’importance des éclairages que Davies emprunte à la musique, et sur les leçons qu’il me semble permis d’en tirer. La musique occupe une place relativement stratégique dans Art as Performance, pour des raisons qui me semblent essentielles. D’abord, bien entendu, en ce que la musique est un art de « performance », c’est-à-dire un art dans lequel l’exécution — ou l’interprétation, pour utiliser un mot qui dit peut-être mieux tout ce qu’on investit dans l’acte par lequel l’oeuvre est mise à la disposition d’un public — constitue un moment indispensable de l’oeuvre et de son appréciation. Mais aussi en ce que la question qui s’y pose — à la différence d’autres arts ou en tout cas de manière différente — est celle de savoir jusqu’à quel point il est possible d’y distinguer l’oeuvre de son exécution, et dans quelle mesure cette question joue un rôle central dans son ontologie. Sur ce point, l’option adoptée par Davies, celle qui consiste à introduire l’idée de « centre d’appréciation » (focus of appreciation), là où l’on évoquerait peut-être plus spontanément des objets, des structures ou des formes, solidaires d’un médium, permet de lever plusieurs difficultés. Le « centre d’appréciation », auquel toute performance artistique est subordonnée, permet notamment de comprendre en quoi, au moins pour une certaine catégorie d’oeuvres, celles-ci peuvent être appréciées uniquement en fonction de leur exécution. Considérons par exemple deux types de cas. Les cas où il semble nécessaire de distinguer entre l’oeuvre exécutée et cette exécution comme telle et les cas où, comme dans une partie des musiques improvisées ou des musiques populaires, on voit plus ou moins se brouiller une telle distinction. La musique écrite, de manière générale, illustre le premier …

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