L’interprétationnisme en philosophie de l’esprit et en philosophie du langage lie la capacité d’avoir des pensées et de parler un langage à la possibilité qu’un interprète établisse le contenu de ces pensées et la signification des mots de ce langage. En première approximation, ce point de vue affirme qu’un être a des pensées ou parle un langage si et seulement si ces pensées ou ce langage sont interprétables. Il existe aussi une version de l’interprétationnisme qui vise le contenu des pensées individuelles. Selon cette thèse, il est correct de dire qu’un agent croit que p si et seulement si un interprète (pleinement informé) jugerait que cet agent croit que p. Une thèse analogue peut être formulée à propos de la signification des énoncés d’une langue : l’énoncé S, tel qu’utilisé par un locuteur, signifie que p si et seulement si un interprète (pleinement informé) jugerait que S signifie que p pour ce locuteur. Malheureusement, telles qu’énoncées, ces thèses ne suffisent pas à isoler un point de vue philosophique intéressant. En effet, même un réaliste à propos du contenu mental tel que Jerry Fodor, qui s’oppose farouchement à toute forme d’interprétationnisme, peut très bien admettre que les pensées et le langage doivent en principe être interprétables. Il pourrait en effet convenir que bien que les faits concernant le contenu et la signification soient métaphysiquement indépendants des jugements d’un interprète, celui-ci, s’il était pleinement informé, serait en mesure de former des jugements corrects à propos du contenu et de la signification. Fodor pourrait en effet stipuler qu’être un interprète pleinement informé, c’est connaître, entre autres, les relations nomologiques pertinentes entre les représentations mentales d’un individu et les propriétés de son environnement. De façon générale, tout point de vue naturaliste réductionniste pourrait souscrire aux thèses interprétationnistes énoncées plus haut, s’il est admis qu’un interprète pleinement informé connaît les propriétés ou phénomènes naturels auxquels sont réduits les faits intentionnels et sémantiques. Heureusement, il est possible de caractériser l’interprétationnisme de manière un peu plus précise. Certains auteurs sont tentés d’assimiler le contenu mental et la signification linguistique aux qualités secondes comme les couleurs par exemple. De même que la couleur d’un objet dépend métaphysiquement des impressions que cet objet causerait (dans certaines conditions optimales) chez nous, de même le contenu des pensées d’un être dépend métaphysiquement des jugements que nous serions amenés à poser si nous étions suffisamment informés au sujet de cet être. L’interprétationnisme peut ainsi être conçu comme une forme de vérificationnisme par rapport aux pensées et à la signification : un être a des pensées ou parle un langage si et seulement si ses pensées ou son langage sont interprétables par des êtres comme nous. L’interprétationnisme peut ainsi être contrasté à une forme de réalisme par rapport au contenu, selon lequel il serait possible d’être radicalement dans l’erreur ou totalement ignorant au sujet des pensées d’un individu, même si nous étions dans une situation épistémique optimale à propos de cet individu. Cette caractéristique de l’interprétationnisme est soutenue avec vigueur par Donald Davidson dans son célèbre article « Sur l’idée même de schème conceptuel ». Dans cet article, Davidson cherche, entre autres choses, à réfuter l’idée selon laquelle un être (ou un groupe d’êtres) pourrait avoir un système de croyances et de concepts incommensurable avec le nôtre. Cette idée, qu’il tient pour équivalente à l’idée selon laquelle un être (ou groupe d’êtres) pourrait parler une langue qu’il nous est impossible de traduire (partiellement ou totalement) dans la nôtre, est selon lui tout simplement inintelligible. Davidson soutient que pour qu’un être ait des pensées et parle un langage, il doit être possible …
Parties annexes
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