Résumés
Résumé.
En m’appuyant sur une distinction de Daniel Laurier entre holismes métaphysique et épistémique ainsi que sur le fait généralement admis qu’il n’y a que deux types de relations susceptibles de prévaloir entre états mentaux, j’évalue différentes définitions, proposées par Donald Davidson, de l’attitude de tenir une phrase pour vraie, soient celle qui fait de cette attitude une attitude propositionnelle, celle qui prétend qu’elle est une attitude non individuative et, enfin, celle qui suggère qu’elle est une action. J’essaie de voir les conséquences qu’entraîne, sur le plan des relations entre états mentaux, l’inclusion de cette attitude, selon les définitions analysées, dans le holisme psycholinguistique, lequel est un holisme métaphysique et concerne les phrases de la langue d’un locuteur ainsi que ses croyances. Je termine en suggérant que la voie la plus prometteuse concernant cette attitude est de la définir comme une attitude non individuative, qu’il faut prendre soin de distinguer des autres états mentaux à contenu non propositionnel, comme les états expérientiels.
Abstract
Relying on a distinction conceived of by Daniel Laurier between metaphysical and epistemic holism as well as the generally accepted fact that there are only two types of relations thought to prevail between mental states, I will evaluate different definitions, proposed by Donald Davidson, of the attitude of holding a sentence true: one that construes it as a propositional attitude, one claiming that it is a nonindividuative attitude, and finally one suggesting that it is an action. I examine the consequences that follow from an inclusion of this attitude, at the level of relations between mental states and as a result of the various definitions, into psycholinguistic holism. Psycholinguistic holism is a type of metaphysical holism that is concerned with the sentences of a speaker’s language as well as his beliefs. I end by suggesting that the most promising path to take with regard to this attitude is to define it as a nonindividuative attitude, that one must be careful to distinguish it from the other mental states with non-propositional content, such as experience states.
Corps de l’article
Introduction
On s’entend habituellement pour dire qu’il y a deux types de relations susceptibles de prévaloir entre états mentaux, soient les relations causales et les relations logiques[2]. Les propriétés responsables de ces relations sont, dans le cas des relations logiques, les propriétés du contenu propositionnel des états mentaux et les propriétés de l’état mental (qua état physique, pour plusieurs) dans le cas des relations causales. Les épistémologues soutenant, comme Donald Davidson, que seule une croyance peut en justifier une autre (ou un état mental à contenu propositionnel) et qu’il est nécessaire que l’agent ait accès à ces relations, se concentreront sur l’étude des relations logiques, alors que ceux qui font intervenir des stimulations sensorielles ou bien des états expérientiels, généralement compris comme n’ayant aucun contenu propositionnel, s’attarderont aux relations causales. On peut toutefois se demander ce qu’il en est dans les domaines autres que l’épistémologie, comme la sémantique. Le holisme psycholinguistique, faisant dépendre la signification des énonciations d’un individu sur le contenu de ses croyances (ou état mental à contenu propositionnel), doit-il ne se contenter que de relations logiques ou peut-il (en plus) inclure des relations causales ? S’il apparaît presque certain que l’accent doit être mis sur les relations logiques puisque, après tout, il est question des croyances d’un individu, lesquelles sont des états mentaux à contenu propositionnel, certaines considérations et avenues adoptées et exprimées par Davidson permettent d’en douter.
La thèse holiste de la signification qui est préconisée par Davidson peut se définir, d’une part, par le principe de compositionalité, lequel indique que la signification d’une phrase est déterminée par celle des expressions qui la constituent et, d’autre part, par le principe du contexte de Frege selon lequel une expression n’a de signification que dans le contexte d’une phrase. Puisque la signification d’un constituant de phrases dépend de celle des phrases où il figure et que la signification d’une phrase dépend de celle de ses constituants, ces deux principes semblent chez Davidson entraîner que la signification d’une phrase dépend de celle de toutes les phrases (Laurier, 1994, p. 150). Cette dernière dépendance témoigne d’un holisme assez fort, lequel est un holisme sémantique. Ce dernier semble, à en croire le processus de l’interprétation radicale, être le corollaire d’un holisme psychologique ayant trait à la relation entre états mentaux[3]. L’interprétation radicale requiert que l’on décèle les phrases tenues pour vraies par le locuteur, que l’on suppose que ces phrases sont effectivement vraies et qu’on attribue à ce locuteur des croyances relativement semblables aux nôtres[4]. Ces deux dernières clauses, c’est-à-dire la supposition de la vérité des phrases tenues pour vraies et l’attribution de croyances semblables aux nôtres, renvoient au principe de charité. Connaissant donc par hypothèse les croyances du locuteur, il devient possible de traduire les phrases qu’il énonce étant donné l’interdépendance, soutenue par Davidson, des croyances et de la signification.
Cette dernière thèse indique ce que l’on pourrait appeler, en suivant Daniel Laurier, un holisme épistémique, selon lequel la connaissance d’une entité ne peut se faire sans la connaissance (d’un bon nombre) d’autres entités. Toutefois, lorsque je parle de la dépendance mutuelle de la signification des phrases énoncées par un locuteur et de l’ensemble de ses croyances, je parle du holisme psycholinguistique qui n’est pas un holisme épistémique, mais métaphysique, c’est-à-dire qui concerne une partie de la réalité (l’existence d’une entité nécessite l’existence d’un bon nombre d’autres entités)[5]. Ces deux classes de holismes, soient les holismes métaphysiques et les holismes épistémiques, semblent regrouper la totalité des holismes que l’on retrouve chez Davidson : le holisme issu de l’interprétation radicale est un holisme épistémique puisqu’il a trait, en premier lieu, à la connaissance des croyances et de la signification des phrases du locuteur par l’interprète, alors que les holismes sémantique, psycholinguistique et psychologique concernent plutôt des entités précises, des phrases dans un premier cas auxquelles on ajoute des états mentaux dans le second, desquels on retranche les phrases dans le troisième, de sorte qu’ils sont des holismes métaphysiques. À mon avis, le holisme psycholinguistique concerne aussi l’attitude de tenir une phrase pour vraie, dont la définition n’est pas claire dans l’oeuvre de Davidson. J’examinerai les différentes définitions qui furent proposées pour cette attitude, d’une part, en tentant de montrer que son inclusion dans le holisme psycholinguistique n’affecte pas nécessairement l’interprétation radicale et, d’autre part, en explorant la question de savoir si ces différentes définitions sont adéquates.
Après avoir présenté la théorie davidsonienne de la signification, l’interprétation radicale et le holisme psycholinguistique, je recenserai trois définitions de l’attitude de tenir une phrase pour vraie que l’on retrouve dans les textes de Davidson. Je tenterai de voir les conséquences que chacune de ces définitions entraîne à l’égard du holisme psycholinguistique et de l’interprétation radicale en posant la question de savoir quel type d’état mental peut faire partie du holisme psycholinguistique, ce qui sous-entend la question de savoir quel type de relations on pourrait admettre dans ce holisme. Je critiquerai chacune de ces définitions mais devrai me contenter de ne donner qu’un point de vue partiel des problèmes qu’elles soulèvent. On me pardonnera de ne pas m’attarder davantage à ces problèmes pour la simple et bonne raison que ces critiques visent plutôt à éclaircir cette notion qui me semble confuse chez Davidson, comme en témoignera, entre autres, la dernière partie du texte où j’examinerai une suggestion de Laurier (Laurier, 1994) suivant laquelle l’attitude de tenir une phrase pour vraie comprise comme une attitude non individuative va à l’encontre du rejet, cher à Davidson, de la dichotomie entre phrases théoriques et phrases d’observation.
L’attitude de tenir une phrase pour vraie est importante chez Davidson, non seulement parce qu’elle joue le rôle de donnée empirique accessible lors du processus de l’interprétation radicale, mais aussi parce que, selon toute vraisemblance, elle fait partie du holisme psychologique que Davidson préconise. Soulever les difficultés des définitions données par Davidson à la notion de l’attitude de tenir une phrase pour vraie revient à évaluer dans quelle mesure on peut la définir de manière à ce que ces deux caractéristiques ressortent d’une manière claire et non ambiguë. Et, plus important encore, elle peut nous servir de prétexte pour comprendre le holisme psycholinguistique qu’on voudrait attribuer à Davidson. Dans la mesure où les relations entre les entités de ce dernier holisme ne peuvent être que logiques ou causales, évaluer les définitions que donne Davidson de la notion d’attitude de tenir une phrase pour vraie en gardant à l’esprit la possibilité de son inclusion dans le holisme psycholinguistique revient à évaluer les types de relations qui peuvent être présentes dans ce holisme ; mener une réflexion sur cette attitude revient alors à définir le holisme psycholinguistique et à le distinguer d’autres holismes que l’on retrouve dans les thèses de Davidson.
Théorie de la signification et holisme psychologique
Théorie tarskienne de la vérité et théorie de la signification
Une théorie de la signification, selon Davidson, doit rendre compte de la compétence des locuteurs d’une langue. Elle vise à rendre compte de ce qu’un individu ne comprenant pas une langue L particulière a besoin de savoir pour interpréter un locuteur de L. À ce titre, elle doit montrer comment la signification d’une infinité de phrases dépend d’un nombre fini d’expressions linguistiques ainsi que de la façon de les agencer ; elle doit pouvoir donner de manière récursive, qualification à laquelle je reviendrai, la signification de n’importe quelle phrase d’une langue. Cette théorie de la signification doit prendre la forme d’une théorie tarskienne de la vérité, c’est-à-dire que d’un nombre d’axiomes fini, il doit être possible de déduire des théorèmes (phrases-T dorénavant) ayant la forme « s est T ssi p » où s est le nom d’une phrase de L mettant de l’avant sa structure (un nom descriptif structural dorénavant), p la traduction de cette phrase dans la métalangue dans laquelle est formulée la théorie et T un prédicat, visiblement défini de manière extensionnelle, regroupant un certain nombre de phrases de L. Par ailleurs, une théorie de la signification ayant pour structure celle d’une théorie tarskienne de la vérité doit respecter la condition d’immanence (voir le texte [Engel, 1994] qui prétend emprunter la notion à Laurier), selon laquelle la phrase-T ne doit pas contenir de concepts sémantiques, hormis celui de vérité, qui ne sont pas déjà présents dans la phrase de la langue objet, sous peine de pétition de principe étant donné l’interdéfinissabilité des concepts sémantiques (Quine, 1951) ; il serait effectivement malvenu d’utiliser le concept de signification dans une théorie qui vise justement à expliquer et à rendre compte de la signification. Cette dernière remarque vaut aussi pour le concept de traduction que j’ai utilisé pour présenter la théorie tarskienne de la vérité, ce qui incline Davidson à vouloir se dispenser de la notion, tout en gardant le résultat.
L’extensionalité des phrases-T permet la substitution salva veritate de p par une phrase ayant la même valeur de vérité, ce qui ruine le projet de faire de p une traduction de la phrase à laquelle réfère s avec l’hypothèse que le concept de traduction n’est pas disponible. Afin de pallier cette lacune, Davidson stipule que différentes conditions empiriques, en plus de conditions formelles auxquelles je ne m’attarderai pas, devront être imposées sur la théorie. Ces deux types de conditions feront de p l’expression des conditions de vérité de la phrase à laquelle s renvoie et verront ainsi au respect de la condition d’immanence. Les conditions matérielles nécessitent que la théorie de la signification soit soutenue par des évidences [evidence] particulières, lesquelles sont exprimées par des énoncés relatant des phrases tenues pour vraies par un locuteur dans des circonstances particulières et à un moment donné, qui peuvent ensuite servir à échafauder des énoncés plus généraux s’appliquant à une communauté linguistique, desquels il est possible de conjecturer les phrases-T. « Paul appartient à la communauté linguistique anglaise et tient pour vraie “It is raining” samedi à midi, et il pleut près de Paul samedi à midi » est un exemple d’évidence particulière, alors que « (∀x)(∀t)(si x appartient à la communauté linguistique anglaise alors [x tient pour vraie “It is raining” à t si et seulement s’il pleut près de x à t]) » en est un d’énoncé d’évidence plus général (Davidson, 1973, p. 135). La phrase-T étayée par ce dernier énoncé d’évidence général est « “It is raining” est vraie en anglais lorsque énoncée par x à t si et seulement s’il pleut près de x à t ». Évidemment, ce ne sont pas toutes les phrases-T qui seront ainsi soutenues par des énoncés d’évidence généraux pour la simple et bonne raison qu’un locuteur ne peut énoncer qu’un nombre fini de phrases, alors qu’une théorie de la signification doit donner la signification de l’infinité des phrases de la langue du locuteur. On s’assure de la vérité des phrases-T à propos des phrases non énoncées, grâce à cette contrainte mise en conjonction avec les contraintes formelles. Enfin, la théorie donne les conditions de vérité de n’importe quelle phrase d’une langue, dont une connaissance apparaît suffisante à la connaissance de la signification de ces phrases. Si Tarski supposait la notion de traduction et spécifiait à l’aide de celle-ci les conditions de vérité des phrases, Davidson, a contrario, tient pour acquise la vérité de la phrase de la langue objet et en tire la traduction.
La récursivité de la théorie de la signification compte au nombre des contraintes formelles imposées sur celle-ci. En outre, elle permet de faire ressortir le caractère holiste de la signification sans nécessairement le définir : ce qui est important pour que la théorie donne la signification d’une phrase est, en plus des conditions de vérité données par les phrases-T, la déduction (la preuve) de la phrase-T (du théorème) à partir des axiomes (Davidson, 1970, p. 61). Cette déduction montre alors en quoi la signification d’une phrase dépend de la signification d’autres phrases, dont les phrases indexicales. Une théorie de la signification pour la langue de Paul ne pourrait pas impliquer la phrase-T « La neige est blanche est T si et seulement si le gazon est vert[6] » sans par la même occasion impliquer les phrases-T suivantes : « Ceci est blanc est T lorsque énoncée par Paul à t si et seulement s’il y a quelque chose de vert près de Paul à t » et « Ceci est de la neige est T lorsque énoncée par Paul à t si et seulement s’il y a du gazon près de Paul à t ».
Holisme de la signification et holisme psychologique : holisme psycholinguistique
Le holisme psycholinguistique est mis en évidence lors de l’expérience de pensée de l’interprétation radicale où il est question d’un interprète devant traduire les paroles d’un locuteur dont la langue lui est inconnue. Davidson indique que les croyances (et autres attitudes propositionnelles) ainsi que la signification des phrases énoncées par les locuteurs sont interdépendantes : on ne peut attribuer d’attitudes propositionnelles au locuteur, de croyances par exemple, sans interpréter les phrases qu’il énonce, alors qu’une stratégie propice à l’interprétation serait justement de s’appuyer sur des informations, à l’égard des attitudes propositionnelles, dont on pourrait disposer[7] (Davidson, 1974). Le corollaire des évidences empiriques particulières mentionnées lors de la présentation de la théorie de la signification en ce qui concerne l’interprétation radicale est l’attitude des locuteurs de tenir une certaine phrase pour vraie, laquelle est conçue comme la résultante de la signification des phrases de sa langue ainsi que de ses attitudes propositionnelles. Comme le principe de charité de Davidson requiert que l’on attribue au locuteur des croyances en gros semblables à celles que l’on possède, il devient possible, par la connaissance des phrases qu’il tient pour vraie, de découvrir la signification des phrases qu’il énonce.
Davidson s’inspire d’un problème en théorie de la décision comme modèle pour l’interprétation radicale. La préférence pour un pari plutôt qu’un autre est le résultat de deux facteurs psychologiques chez l’agent, la valeur qu’il attribue à ce qu’il est possible de s’ensuivre du choix de paris (ce qui pourrait équivaloir à un désir) ainsi que la probabilité qu’il assigne au fait qu’un certain résultat ait lieu (ce qui est une croyance qu’un certain résultat aura lieu). Dans le cas de la décision, la préférence pour un pari plutôt qu’un autre est le corollaire de l’attitude de tenir une phrase pour vraie, et le choix, celui de l’énonciation[8]. Une façon de découvrir la probabilité assignée à un événement par un agent est de lui proposer un choix qui suscitera son indifférence, par exemple un choix entre, d’une part, le pari selon lequel si E est le cas, alors l’agent reçoit 11 $ ainsi que si E n’est pas le cas, alors l’agent reçoit 0 $ et, d’autre part, le pari selon lequel si E n’est pas le cas, l’agent reçoit 11 $, alors que si E est le cas, l’agent ne reçoit absolument rien. Ce test sert alors de donnée étalon pour hiérarchiser les préférences les unes par rapport aux autres, mettant dès lors en lumière le caractère holiste de l’explication d’une préférence particulière : elle ne peut se faire sans l’assignation et la gradation de valeurs et de probabilités subjectives à l’agent, qui seront attestées par l’observation et l’analyse d’autres choix. En d’autres termes, expliquer une préférence requiert deux variables, soient la valeur et la probabilité assignée par l’agent à un événement, dont la connaissance n’est pas possible sans celle des autres valeurs et préférences assignées à d’autres événements.
La situation est semblable dans le cas de l’interprétation : les croyances (ou autres attitudes propositionnelles) et la signification donnent lieu à l’attitude de tenir une phrase pour vraie[9]. Et il n’apparaît pas possible d’attribuer des significations aux phrases énoncées par le locuteur sans lui attribuer de croyances, et vice versa. En déterminant, par le principe de charité, les croyances du locuteur, il devient possible de connaître les significations des phrases qu’il énonce. Cela suggère alors, d’une part, un holisme d’ordre épistémique dans la mesure où la connaissance de la signification d’une phrase dépend de la connaissance (d’un grand nombre) des attitudes propositionnelles du locuteur, et vice versa. D’autre part, que le holisme de la signification mis en conjonction avec le holisme psychologique donne lieu à un holisme psycholinguistique puisque la signification d’une phrase énoncée dépend, comme le dit Davidson, des relations grammaticales ou logiques que cette phrase entretient avec les autres croyances (Davidson, 1983, p. 147). Comme il est nécessaire d’attribuer au locuteur l’attitude de tenir une phrase pour vraie lors de l’interprétation radicale, il devient légitime de se demander si une telle attitude peut faire partie du holisme psycholinguistique. La discussion qui suit aura donc une portée métaphysique, puisqu’il ne sera à peu près pas question du holisme épistémique, mais presque exclusivement du holisme psycholinguistique.
L’attribution de l’attitude de tenir une phrase pour vraie
Comme les évidences empiriques d’une théorie de la signification sous-tendent les phrases-T de cette théorie, cette dernière est vérifiée en ce qui a trait aux phrases et non aux expressions subsententielles. Comme on l’a vu, les données empiriques tenant lieu d’évidences empiriques se résument à l’attitude du locuteur de tenir une phrase pour vraie. À ma connaissance, la qualification de cette attitude comme étant non individuative fut inaugurée dans « The Structure and Content of Truth » (Davidson, 1990b) où Davidson suggère qu’un état mental individuatif est un état dont l’expression fait appel à un énoncé construisant un contexte intensionnel, que l’on cherche à éviter avec les attitudes non individuatives[10]. En effet, Davidson cherche des données empiriques qu’il est possible de déceler chez le locuteur sans posséder une connaissance préalable de sa langue. Et l’attitude de tenir une phrase pour vraie sied bien à la tâche étant donné, c’est ce que Davidson suppose à tout le moins, qu’il est possible de la connaître indépendamment de l’attribution d’autres attitudes (individuatives ou non). Or il (Davidson, 1980, 1983, 1991) n’hésite pas à identifier l’attitude non individuative à l’assentiment chez Quine, lequel est aussi défini par Davidson (Davidson, 1991) comme une attitude non individuative[11]. Le problème, c’est que l’assentiment chez Quine ne peut être qualifié d’attitude mentale, mais plutôt de comportement observable produit par l’agent en réaction à des stimulations sensorielles[12] (Davidson, 1977, p. 230-231, Quine, 1999). Chez Quine, comme il est question de comportements observables, il est possible pour l’interprète (ou le traducteur) de répéter les phonèmes composants la phrase énoncée par le locuteur sans en comprendre la signification, de manière à susciter un comportement du locuteur, lequel sera interprété comme un assentiment. En aucun cas il n’est question chez Quine de l’attribution d’une attitude mentale. En revanche, comme on l’a vu, Davidson (Davidson, 1980, p. 5) présente l’attitude de préférer un pari plutôt qu’un autre comme étant une attitude intensionnelle, et il semble conclure qu’il en est de même pour l’attitude de tenir une phrase pour vraie[13]. On aurait pu considérer cette façon de définir cette dernière attitude comme une attitude intensionnelle marginale si Davidson n’en faisait pas l’éloge dans « Reality Without Reference » (Davidson, 1977) (voir la note 11). L’ambivalence de Davidson à l’égard de la définition de l’attitude mentale de tenir une phrase pour vraie se répercute dans les écrits des philosophes au sujet de ses thèses.
Colin McGinn présente d’emblée cette attitude comme ayant un contenu propositionnel métalinguistique : « […] les attributions de [phrases] tenues-vraies sont des attributions (d’un genre) de croyance – la croyance qu’une phrase est vraie – et ainsi elles sont en lien avec les attributions d’autres croyances de sorte que cela fait obstacle à leur disponibilité préalable[14] » (McGinn, 1986, p. 365). Root et Wallace présentent l’attitude de tenir une phrase pour vraie comme ayant deux dimensions, l’une comportementale et l’autre mentale, et n’expliquent que la dimension mentale au dépend de l’autre. L’attitude de tenir une phrase pour vraie, selon ces derniers auteurs, peut se voir comme une croyance dont le contenu est exprimé par une phrase placée en position de re dans l’énoncé exprimant la croyance[15]. À l’opposé, Laurier[16] (Laurier, 1994) indique que l’attitude de tenir une phrase pour vraie doit se comprendre comme l’attribution, par l’interprète, de la propriété d’être tenue-pour-vraie à une phrase prononcée par le locuteur, ce qui s’apparente à la façon dont Davidson (Davidson, 1990b) la définit puisque cela met en valeur l’extensionalité de l’attitude. Le prédicat renvoyant à la propriété tenue-pour-vraie est en effet un prédicat à deux arguments reliant un individu et une phrase, qui permet ainsi l’intersubstituabilité salva veritate de l’expression renvoyant à la phrase. C’est dire que, du point de vue de l’attitude, celle-ci n’est aucunement intensionnelle.
À travers cette diversité, on retrouve les trois stratégies qu’il était possible de déceler chez Davidson et qu’on analysera dans les sections suivantes. McGinn ainsi que Root et Wallace, lorsqu’il est question de la dimension mentale de l’attitude, prétendent que l’attitude de tenir une phrase pour vraie est une croyance, faisant ainsi écho, je présume, à « Three Varieties of Knowledge » (Davidson, 1991). Root et Wallace soutiennent qu’il y a une dimension comportementale à l’attitude de tenir une phrase pour vraie et exploitent cette dimension lorsqu’ils exposent leur vision de l’interprétation radicale chez Davidson. Enfin, Laurier traite l’attitude non individuative comme s’il était question d’un état mental à contenu non propositionnel.
Relations logiques : l’attitude de tenir une phrase pour vraie comme une croyance
Les données empiriques de l’interprétation radicale, on le sait, doivent pouvoir être accessibles à l’interprète sans l’aide d’une théorie de la signification pour la langue du locuteur, ce qui laisse présumer que l’attitude de tenir une phrase pour vraie ne peut être une croyance ni un état intensionnel. C’est une conséquence des deux principes qui définissent le holisme sémantique évoqués dans l’introduction : si l’identification de l’attitude de tenir une phrase pour vraie requérait l’identification de la proposition exprimant le contenu de l’attitude, il faudrait, pour la comprendre, faire appel à un bon nombre de propositions exprimant le contenu des autres attitudes du locuteur, voire la totalité de celles-ci. Cette conséquence rappelle évidemment le holisme épistémique mais se transpose, me semble-t-il, au holisme psycholinguistique étant donné la présence de relations logiques entre états mentaux intensionnels. Que la proposition exprimant la phrase tenue pour vraie soit en position de re ou de dicto ne change ainsi rien à l’affaire, puisque l’état mental dont il est question est inévitablement, dans ces cas, intensionnel. Ainsi, il semblerait que les positions de McGinn et de Root et Wallace, au regard de la dimension mentale de l’attitude de tenir une phrase pour vraie, ne tiennent pas la route, ne laissant plus que deux possibilités, celle de l’attitude comme comportement et celle de Laurier[17].
L’attitude de tenir une phrase pour vraie comme une attitude non individuative
Laurier prétend que la présence d’attitude non individuative[18] réintroduit ce que le rejet de la théorie du jeu de cube [building block theory] avait évacué : la possibilité d’attribuer des états mentaux intentionnels indépendamment de l’attribution d’autres états mentaux. Il soutient cela sur la base du fait que l’attitude de tenir une phrase pour vraie est une attitude intentionnelle ayant donc des objets pour contenu. Comme il y a là une individuation d’objets, dont Laurier prétend qu’elle s’apparente à la référence à un objet par un terme, il semble que la possibilité d’attribuer une de ces attitudes indépendamment des autres attitudes individuatives aille à l’encontre du holisme. Chez Davidson, « théorie du jeu de cube » désigne les théories qui accordent une priorité aux expressions simples lors de la détermination de la signification des expressions complexes (voir [Davidson, 1977]). Par exemple, une théorie causale de la référence, supposant que les mots acquièrent une signification de leur relation causale avec le monde et déterminent ainsi la signification des phrases dans lesquelles ils apparaissent, est une théorie du jeu de cube. D’un côté, supposer que ces attitudes témoignent d’un objet présent à l’esprit de l’agent et ainsi d’un objet de référence des termes exprimant le contenu de ces états mentaux pourrait aller à l’encontre du holisme si on supposait que cet objet, tel que présent à l’esprit de l’agent, n’était pas déterminé par les autres attitudes du locuteur ; ou encore que la valeur sémantique des termes utilisés par le locuteur n’était pas déterminée par celle des autres termes qu’il utilise. Or, l’extensionalité de cette attitude mentale nous montre que son attribution ne revient pas à l’attribution d’un objet de pensée au locuteur. Au contraire, le problème se poserait et serait d’autant plus aigu, si nous avions affaire à des attitudes propositionnelles attribuables indépendamment de l’attribution d’autres attitudes mentales (ou états mentaux) individuatifs. Après tout, avec l’hypothèse (courante) que l’eau est de l’H20, « Paul perçoit la salinité de l’H20 » n’entre pas en conflit avec « Paul ne croit pas que l’eau est constituée de deux molécules d’hydrogène et d’une molécule d’oxygène » ni d’ailleurs avec « Paul ne croit pas que le sel existe[19] » ; autrement dit, il semble que l’attribution d’une attitude non individuative, si cette dernière n’a pas de contenu propositionnel, n’attribue aucun concept ni objet de pensée au locuteur[20].
Cela n’est pas étonnant étant donné l’insistance avec laquelle Davidson défend l’idée que les relations entre les phrases d’une langue sont logiques (ou grammaticales, ce qui pourrait revenir au même), et suggère fortement que ce sont ces relations qui sont d’abord et avant tout responsables du holisme de la signification, (comme Laurier semble le suggérer lorsqu’il dit que le holisme ne concerne que les entités pourvues de contenu propositionnel[21]). Les relations logiques ne peuvent prévaloir entre attitudes individuatives et non individuatives, l’attribution de ces dernières n’est donc pas holiste. Et inclure les relations causales entre états mentaux dans le holisme psycholinguistique ne semble poser aucun problème, dans la mesure où il reste possible d’attribuer au locuteur une attitude non individuative particulière sans par ailleurs attribuer des attitudes individuatives particulières (ce qui laisse présumer qu’un holisme épistémique ne concerne pas cette attitude), bien qu’il soit impossible de soutenir que l’attitude non individuative de tenir une phrase pour vraie est présente chez un individu sans par ailleurs supposer qu’un bon nombre d’attitudes individuatives le sont aussi (et laisse présumer qu’un holisme psycholinguistique concerne cette attitude, suivant l’hypothèse d’un holisme psychologique, bien entendu[22]).
Relations causales, holismes et l’attitude non individuative comme comportement
Le fait qu’il soit impossible de soutenir que l’attitude non individuative de tenir une phrase pour vraie est présente chez un individu sans qu’un bon nombre d’attitudes individuatives le soient aussi semble découler du fait que la cause de l’attitude non individuative est le résultat de deux choses inconnues de l’interprète : la croyance et la signification[23] (Davidson, 1983, p. 148). Il est à remarquer que Laurier affirme qu’étendre le holisme psycholinguistique aux attitudes non individuatives reviendrait à « s’enfoncer plus profondément dans le “cercle herméneutique”[24] » (Laurier, 1994). Si par « étendre le holisme aux attitudes non individuatives » on entend inclure ces attitudes dans la portée des principes qui définissent le holisme de la signification (compositionalité et principe du contexte de Frege), l’interprétation, semble-t-il, équivaudrait à s’enfoncer dans le cercle herméneutique dans la mesure où l’attribution d’une attitude non individuative ne pourrait se faire sans la connaissance d’autres attitudes (individuatives ou non). Je pense que c’est cette interprétation que Laurier a retenue, étant donné qu’il plaide dans ce cas l’inaccessibilité de l’attitude non individuative lors de l’interprétation radicale. Il semble toutefois que l’on puisse soutenir que les attitudes non individuatives font partie du holisme psycholinguistique sans par ailleurs les inclure dans la portée de ces principes, auquel cas les données empiriques resteraient disponibles à l’interprète radical, seulement si on accepte le fait que les holismes épistémique et métaphysique puissent ne pas concerner les mêmes entités. En ce sens, on pourrait dire que si les relations entre l’attitude non individuative de tenir une phrase pour vraie et les attitudes propositionnelles du locuteur ne sont pas logiques, il serait possible de soutenir que les relations causales font partie du holisme psycholinguistique sans que cela nuise à l’interprétation radicale.
Dans quelle mesure Davidson nous permet-il de soutenir que la relation prévalant entre l’attitude de tenir une phrase pour vraie et les attitudes individuatives est causale ? On a vu que Davidson se prononçait au moins à un endroit sur la cause de l’attitude non individuative, laquelle est le résultat de la signification et des croyances, que l’on peut comprendre si on s’en tient à ce qu’il suggère, sous le mode de l’action (Davidson, 1980). Cette manière de comprendre cette relation semble être celle préconisée par Root et Wallace (1982). En soutenant, comme il fut mentionné plus haut, que l’attitude de tenir une phrase pour vraie est un comportement, voire un acte[25] (Root et Wallace, 1982, p. 159), ils indiquent que l’interprétation consiste en une redescription de ce comportement qui évoque les attitudes propositionnelles du locuteur ainsi qu’un désir, celui de dire la vérité[26] (Root et Wallace, 1982, p. 159). Parmi les attitudes propositionnelles du locuteur figurant dans la description de l’attitude de tenir une phrase pour vraie, on retrouve, selon Root et Wallace, une connaissance que p est vraie si et seulement si C, où C est une conjonction de conditions devant être satisfaites pour que p soit vraie (grosso modo, les conditions de vérité), ainsi qu’une croyance que C est effectivement satisfaite, dont la première, l’attitude de connaissance, équivaut à la signification d’une phrase[27]. C’est à tout le moins ce que les auteurs suggèrent lorsqu’ils affirment que « lorsqu’un interprète attribue une certaine signification aux énonciations d’un locuteur, ce qu’il attribue au locuteur est une connaissance : le locuteur sait que l’énonciation est vraie si et seulement si certaines conditions sont présentes [obtain][28] » (Root et Wallace, 1982, p. 168). Aussi, le fait qu’il soit question de la rationalisation d’une action est suggéré par : « Kurt tient “Es regnet” pour vraie à t parce que Kurt sait qu’une énonciation de cette phrase à t est vraie si et seulement s’il pleut près du locuteur à t et Kurt croit qu’il pleut près du locuteur à t[29] » (Root et Wallace, 1982, p. 168) dans la mesure où le « parce que » indique une explication causale entre l’attitude de tenir une phrase pour vraie et les attitudes individuatives. Il semblerait donc que ce soit précisément en ces termes que ces auteurs interprètent l’assertion de Davidson selon laquelle l’attitude de tenir une phrase pour vraie résulte à la fois de la signification de la phrase tenue pour vraie et des croyances du locuteur.
Cette façon de rendre compte de la relation causale entre l’attitude de tenir une phrase pour vraie, d’une part, et la signification ainsi que les croyances du locuteur, de l’autre, ne me semble pas concluante en raison de l’identification de la signification d’une phrase à l’attitude individuative de connaissance dont la phrase-T concernant p exprime le contenu. On sait que les principes de compositionalité et du contexte de Frege font, chez Davidson, dépendre la signification d’une phrase de celle de toutes les phrases. Dans la perspective du holisme psycholinguistique, ces principes indiqueraient que la signification d’une phrase dépend du contenu de toutes les attitudes propositionnelles du locuteur, ce qui montre que si l’interprétation de la signification de l’énonciation d’un locuteur équivaut à l’attribution, à ce locuteur, de la connaissance que la phrase énoncée est vraie si et seulement si C, il en résulte une régression à l’infini. Cela suggère alors que la signification ne peut se ramener à un état mental propositionnel (ou une attitude propositionnelle) et que la relation de causalité dont Davidson parle entre, d’une part, la croyance ainsi que la signification et, d’autre part, l’attitude de tenir une phrase pour vraie ne peut se comprendre comme une indication qu’il y a une relation causale entre les attitudes individuatives et non individuatives du locuteur.
Relation causale et le parallèle entre l’attitude non individuative et l’état expérientiel
La définition des attitudes non individuatives que l’on retrouve dans « The Structure and Content of Truth » (Davidson, 1990b) comme des états n’ayant aucun contenu propositionnel ainsi que la nécessité de la présence d’une relation causale entre ceux-ci et les autres attitudes d’un locuteur suggèrent l’identification de celles-ci aux états expérientiels. On retrouve d’ailleurs dans le texte de Laurier une indication laissant présumer une telle identification lorsque celui-ci dit que le fait d’inclure les attitudes non individuatives dans le holisme « s’accorderait […] assez bien avec [la] répudiation [préconisée par Davidson] de l’idée d’une catégorie de phrases observationnelles qui pourraient être isolées des autres phrases (plus théoriques) » (Laurier, 1994, p. 155). Cela laisse sous-entendre que l’attitude non individuative de tenir une phrase pour vraie, dans la mesure où son attribution n’est pas holiste, serait en conflit avec cette répudiation. Cette répudiation est préconisée, à ma connaissance, principalement dans « A Coherence Theory of Truth and Knowledge » et est décrite comme la conséquence d’un rejet des théories fondationalistes de la justification, lesquelles font reposer la justification des croyances empiriques sur nos sens ou ce qui s’ensuit de ceux-ci, notamment les états expérientiels. Le qualificatif de proximal est réservé à ce type de théorie (Davidson, 1990a). À l’opposé, Davidson soutient que la justification des croyances repose sur l’objet qui rend vraie la phrase exprimant leur contenu, ce qui est une théorie distale de la justification.
Appliqué à notre problème, on pourrait dire qu’il ne serait pas judicieux, selon Davidson, de faire reposer la signification des énoncés sur le témoignage de nos sens, puisque la connaissance de la signification d’une phrase exprimant le contenu d’un état mental intensionnel requiert que l’on connaisse les conditions d’assertabilité de celle-ci, ce qui revient, dans le cadre de la théorie davidsonienne de la signification, à la connaissance des conditions de vérité de cette phrase ; connaître la signification d’une phrase, c’est savoir dans quelle mesure on peut dire qu’il est justifié de l’asserter ou encore de la croire (Davidson, 1983, p. 144). Faire ainsi reposer la signification des phrases sur le témoignage de nos sens reviendrait à traiter ceux-ci comme un intermédiaire épistémique entre le monde et nos croyances sur lequel il conviendrait de s’appuyer pour juger de la signification de nos phrases. De plus, cela conduirait directement au scepticisme dans la mesure où le contenu des états expérientiels, par exemple, peut rester constant et ce, même si le monde change, de sorte que le contact avec ce dernier est perdu. Or cela ne paraît pas entrer en conflit avec la stipulation d’une relation causale entre l’attitude non individuative de tenir une phrase pour vraie et les autres attitudes individuatives du locuteur, dans la mesure où il n’est évidemment aucunement question que l’attitude non individuative constitue un intermédiaire causal entre le monde ainsi que les croyances de l’agent, et donc, la signification des phrases. Il va sans dire que cette attitude constitue encore moins un intermédiaire épistémique entre le monde et les croyances de l’agent, laissant dès lors présumer la compatibilité du rejet de la dichotomie entre phrases observationnelles et théoriques ainsi que la compréhension de l’attitude de tenir une phrase pour vraie comme une attitude non individuative comme le suggère Davidson (Davidson, 1990b), contrairement à ce que suppose Laurier.
Ce qui pourrait entrer en conflit avec le rejet de la dichotomie entre phrases observationnelles et phrases théoriques serait de faire d’un état expérientiel à la fois un intermédiaire épistémique entre le monde et les croyances d’un locuteur et quelque chose sur lequel on peut s’appuyer pour attribuer des croyances à ce locuteur. De manière étonnante, cette position semble être soutenue par McGinn (McGinn, 1986) selon qui le processus de l’interprétation radicale doit se faire en deux étapes, la première consistant à attribuer des états expérientiels qui pourraient s’apparenter, comme on l’a vu, aux attitudes non individuatives et sont considérés par McGinn comme étant des intermédiaires épistémiques entre le monde et les croyances de l’agent ; et la deuxième à attribuer des croyances au locuteur[30]. La critique des théories proximales de la signification ne semblerait s’appliquer à la thèse de McGinn que s’il était ici question d’états expérientiels, ce que la référence à Quine suggère[31]. Or un passage du texte de McGinn suggère que les états expérientiels jouent aussi le rôle qu’est censé jouer l’attitude non individuative de tenir une phrase pour vraie chez Davidson ; en effet, « ce à quoi on pourrait s’objecter serait la dépendance sur la connaissance des croyances et de la signification des phrases de l’attribution [ascription] de l’expérience [voire un état expérientiel], puisque de telles attributions ne pourraient fonctionner comme une base pour la connaissance de l’interprète des attitudes propositionnelles et de la langue du locuteur[32] » (McGinn, 1986, p. 365). De plus, McGinn juge sa thèse meilleure que celle de Davidson, attendu qu’il comprend l’attitude de tenir une phrase pour vraie comme une croyance, justement parce que les états expérientiels sont accessibles indépendamment de la connaissance des attitudes propositionnelles et de la signification des phrases prononcées par le locuteur.
Le double rôle que McGinn semble attribuer aux états expérientiels (le rôle d’intermédiaire épistémique entre les croyances et le monde, et le rôle de l’attitude individuative de tenir une phrase pour vraie) rend à mon avis ambiguë la qualification d’intermédiaire épistémique. Les stimulations sensorielles chez Quine jouent le rôle d’un intermédiaire épistémique entre le monde et les croyances, ou la signification de phrases, dans la mesure où ces dernières ne s’appuient aucunement sur le monde, mais sur ces stimulations sensorielles. Spécifier ainsi, comme le fait McGinn[33] (McGinn, 1986, p. 364), que l’on assume au cours du processus d’interprétation que l’on connaît la source distale du stimulus revient, comme nous le fait remarquer Davidson, à ne pas considérer que l’état expérientiel est un intermédiaire épistémique entre la signification des phrases ou des croyances, et le monde, puisque c’est faire dépendre la signification de cette source distale, non de l’état expérientiel (Davidson, 1990a, p. 76-77). Je ne veux pas m’attarder sur ce point, mais il se pourrait que ce que McGinn entend par « intermédiaire épistémique » ne soit que quelque chose sur lequel l’interprète peut s’appuyer pour attribuer des croyances au locuteur[34].
Quoi qu’il en soit, mises à part les difficultés du paragraphe précédent, l’utilisation de l’« état expérientiel » pour désigner non seulement ces états, mais aussi ce que semble vraisemblablement être l’attitude non individuative de tenir une phrase pour vraie pourrait aller à l’encontre du rejet de la dichotomie entre phrases observationnelles et phrases théoriques, puisque, comme le soutient apparemment McGinn, il serait alors possible d’attribuer des attitudes individuatives, notamment des croyances, sans l’attribution d’autres attitudes individuatives. Après avoir attribué des états expérientiels convenables au locuteur, l’interprète procède en effet à l’attribution de croyances au regard des différentes données empiriques présentes dans le contexte de l’interprétation. L’attribution d’une croyance ne nécessite pas l’attribution d’autres croyances, la croyance ainsi attribuée est, pour le locuteur, justifiée par son état expérientiel puisque, soutient McGinn, on établit les croyances d’un individu en reconstruisant le processus de leur acquisition et les conséquences pour l’interprétation de la signification des phrases énoncées par le locuteur s’ensuivent de manière directe : l’interprétation radicale ne se distingue pas de l’épistémologie (McGinn, 1986), c’est-à-dire que l’attribution d’une croyance ne nécessite pas l’attribution d’autres croyances (mais seulement d’états expérientiels) et que l’attribution de signification à certaines phrases ne nécessite pas l’attribution de signification aux autres phrases de la langue du locuteur. Vu que l’attribution d’états expérientiels au locuteur est indépendante de l’attribution de croyances et attendu que ces états jouent le même rôle qu’est censée jouer l’attitude non individuative de tenir une phrase pour vraie, il semble qu’« étendre le holisme aux attitudes non individuatives », comme le suggère Laurier, s’accorderait avec le rejet de la dichotomie entre phrases observationnelles et théoriques, mais on se retrouve bien loin des thèses de Davidson.
Conclusion
Les distinctions entre les holismes épistémique et métaphysique, d’une part, et entre les holismes psychologique, psycholinguistique et sémantique de l’autre, ont permis l’approfondissement des types de relations devant figurer dans ceux-ci. On a vu que la formulation du holisme sémantique, lequel indique que les relations entre les phrases sont logiques, laissait présumer qu’il devait en être autant de la relation entre états mentaux au regard des holismes psychologique et psycholinguistique. Si, comme Davidson le laisse entendre, le holisme psycholinguistique fait surface lors du processus de l’interprétation radicale et qu’il n’est pas un holisme épistémique mais un holisme métaphysique comme je l’ai d’abord supposé et ensuite suggéré, la question de savoir si ce holisme concerne toutes les entités mentales et linguistiques, notamment l’attitude de tenir une phrase pour vraie qui fait surface dans le processus de l’interprétation radicale, se pose d’elle-même. On a toutefois vu que la définition de cette attitude n’est pas claire dans les textes de Davidson. J’ai voulu dans ce texte analyser trois définitions de cette attitude proposées par Davidson et reprises par les commentateurs, et explorer les implications qu’elles avaient tant au regard des thèses holistes, notamment le holisme psycholinguistique, que de l’interprétation radicale, quoique dans une moindre mesure.
Cette entreprise, à plusieurs points de vue incomplète, permet de conclure que : 1) les relations causales peuvent être admises dans le holisme psycholinguistique pour autant qu’on accepte que les holismes épistémique et métaphysique puissent ne pas concerner les mêmes entités (bien que Davidson ne puisse pas être aussi prompt à les accepter), 2) admettre ces relations causales dans le holisme psycholinguistique et comprendre l’attitude de tenir une phrase pour vraie comme non individuative ne semble pas nuire au rejet de la dichotomie entre phrases d’observation et phrases théoriques, puisqu’une telle nuisance ne surviendrait que si on les incluait en plus dans un holisme épistémique, ce qui n’a pas été le cas ; 3) il n’est pas suffisant de définir l’attitude non individuative comme une attitude n’ayant aucun contenu propositionnel, si on ne la distingue pas, au préalable, des états expérientiels. Il semblerait donc que la voie la plus prometteuse concernant l’attitude de tenir une phrase pour vraie est de faire de celle-ci une attitude non individuative différente des autres attitudes non individuatives, comme les états expérientiels.
Il me semble qu’il n’y a pas d’analogie à faire entre, d’une part, le conflit résultant de la présence d’une croyance, comme « Paul croit que l’eau est constituée de deux molécules d’hydrogène et d’une molécule d’oxygène », et de celle d’une attitude de tenir une phrase pour vraie, comme « Paul tient pour vraie “L’eau est constituée de deux molécules d’hydrogène et d’une molécule d’oxygène” », et, d’autre part, entre une croyance et un état expérientiel. Bien que les états expérientiels n’aient aucun rôle dans l’interprétation radicale chez Davidson, on pourrait dire que la principale différence entre ces conflits consiste dans le fait que le contenu des états expérientiels ne peut être l’objet d’un réajustement à la lumière de ce que le locuteur croit. Tandis que, si on prend à la lettre l’assertion davidsonienne selon laquelle l’attitude de tenir une phrase pour vraie est le résultat des significations des phrases de la langue du locuteur et de ses croyances, il devrait y avoir un tel réajustement. Peut-être celui-ci indique-t-il alors qu’il y a une chose telle qu’une relation logique entre les états mentaux et cette attitude mentale ? Cette question obscurcit le problème plus qu’elle ne l’éclaire, car elle demande une redéfinition des propriétés responsables des relations logiques entre états mentaux, une histoire que je ne peux raconter.
Parties annexes
Notes
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[1]
Je tiens à remercier Renée Bilodeau pour ses précieux commentaires.
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[2]
J’infère ceci de ce que semble présupposer Davidson dans « A Coherence Theory of Truth and Knowledge ». Toutefois, Laurence BonJour défend l’existence d’une relation qui n’est ni causale ni logique, mais descriptive (BonJour, 2001). Comme cette dernière position m’apparaît marginale, je ne m’en occuperai pas et me contenterai d’une généralisation, au risque qu’elle soit grossière.
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[3]
Dans mon texte, le holisme psychologique, concernant les relations entre tous les états mentaux, ne sera pas discuté. Je le tiendrai pour acquis dans mes réflexions, bien qu’il puisse être questionné. Le fait de le tenir pour acquis me semble toutefois légitime, surtout si on considère certaines assertions de Davidson suggérant que lui aussi le tient pour acquis. Par exemple, dans un de ses textes, on peut lire : « […] each interpretation and attribution is a move within a holistic theory, a theory necessarily governed by concern for consistency and general coherence with the truth, and it is this that sets these theories forever apart from those that describe mindless objects, or describe objects as mindless […] » (Davidson, 1974, p. 154).
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[4]
Je dis « déceler » puisque les actes illocutoires d’un locuteur n’ont pas tous la même force, celui-ci pouvant poser une question, donner un ordre, faire une plaisanterie, etc. Dans ces cas, il n’est pas facile de savoir si c’est la phrase énoncée qui est tenue pour vraie ou encore une autre. Il revient à l’interprète de le découvrir.
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[5]
On retrouve ces distinctions entre holismes épistémique et métaphysique, ainsi qu’entre holisme psychologique et psycholinguistique, chez Laurier (Laurier, 1994, p. 143). Comme il fut mentionné, le holisme psycholinguistique renvoie au fait que la signification d’une phrase énoncée est déterminée par l’ensemble des attitudes propositionnelles du locuteur. Toutefois, je l’utiliserai aussi pour désigner le holisme métaphysique qui émane du processus de l’interprétation radicale, sans chercher à m’accorder avec ce que propose Laurier (Laurier, 1994).
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[6]
L’expression « La neige est blanche » (soulignée) est mise pour un nom descriptif structural et ce, même si elle ne fait aucunement ressortir la structure de la phrase dont elle est le nom ; on m’en excusera.
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[7]
On se sera rendu compte du fait que cette formulation peut facilement nous induire en erreur : elle traite avant tout de l’attribution (ou de la connaissance) des croyances du locuteur, ce qui pourrait nous laisser penser que le holisme psycholinguistique, duquel il est question ici, est, en définitive, un holisme épistémique. Davidson, qui la formule bien souvent de cette manière, lui donne pourtant une portée métaphysique, à savoir que l’intentionnalité de la langue, c’est-à-dire du parler ou des assertions, n’est ni dérivée ni plus fondamentale que l’intentionnalité des états mentaux (Davidson, 1975). Ces deux intentionnalités sont interdépendantes, et la thèse de l’interdépendance de la signification et des croyances telle que formulée ici n’en est qu’une conséquence, au niveau épistémique. Sans m’attarder sur ce point et sans traiter principalement de la dépendance de ces deux types d’intentionnalité, je reviendrai sur le caractère métaphysique du holisme psycholinguistique.
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[8]
C’est, du moins, ce que l’on peut lire dans « Belief and the Basis of Meaning » (p. 146).
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[9]
Je me contenterai seulement de souligner les similitudes entre la théorie de l’interprétation radicale et la théorie de la décision. Davidson soutient qu’une théorie de la décision, qui fait appel à des paris, doit s’assurer du fait que l’expérimentateur et l’agent s’entendent sur la signification des mots servant à formuler les choix proposés à l’agent. Davidson suggère alors d’inclure une théorie de l’interprétation radicale dans la théorie de la décision, notamment dans « Toward a Unified Theory of Meaning and Action » et dans « Belief and the Basis of Meaning ». Cette théorie unifiée prendra alors pour donnée empirique l’attitude de préférer une phrase vraie plutôt qu’une autre. Comme je ne désire traiter que du holisme psycholinguistique, je me bornerai à la théorie de l’interprétation radicale et, donc, à l’attitude de tenir une phrase pour vraie.
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[10]
Il m’arrivera dans le texte de m’exprimer de manière un peu relâchée en parlant d’états mentaux ou d’attitudes intensionnels. Il faudra entendre par « état mental intensionnel » un état mental exprimé par un énoncé construisant un contexte intensionnel.
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[11]
« In Word and Object Quine appealed to the nonindividuative attitude of prompted assent » (je souligne).
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[12]
« Quine would give more weight to a grading of sentences in terms of observationality than I would ; and where he likes assent and dissent because they suggest a behaviouristic test, I despair of behaviourism and accept frankly intensional attitudes toward sentences, such as holding true » (je souligne).
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[13]
« For though, as in the case of decision theory, the evidence would have an irreducibly intensional element (holding true), we would be starting with a single attitude that does not assume that we can detect the endless variety of propositional attitudes (beliefs, desires, intentions and meanings) that a full-fledged theory hopes to end up with ».
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[14]
« … ascriptions of holding-true are ascriptions of (one kind of) belief – the belief that a sentence is true – and so they link up with ascriptions of other beliefs in a way that threatens their prior availability ». McGinn propose une théorie de l’interprétation en deux étapes, dont la première consiste dans l’attribution d’états expérientiels (perceptuel) et la deuxième en l’attribution de croyances relativement aux états expérientiels attribués. J’aurai l’occasion d’y revenir.
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[15]
Par exemple, l’expression « “la neige est blanche” » est en position de re dans « Paul croit de “la neige est blanche” qu’elle est vraie », alors qu’elle est en position de dicto dans « Paul croit que “la neige est blanche” est vraie ».
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[16]
Dans « Holismes », texte auquel je fais référence, Laurier se questionne sur les sources du holisme (ou des holismes) qu’on retrouve chez Davidson. La discussion sur l’attitude non individuative de tenir une phrase pour vraie surgit lorsqu’il se questionne sur le fait que l’interprétation radicale pourrait nous renseigner sur les sources du holisme, elle ne constitue donc pas une partie essentielle du texte. Mon texte ne prétend pas entrer en conflit avec les thèses défendues par Laurier (Laurier, 1994) au regard des sources du holisme chez Davidson. Je ne fais que reprendre son interprétation de l’attitude de tenir une phrase pour vraie et m’opposer à certaines conclusions qu’il en tire.
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[17]
McGinn n’hésite pas à le reconnaître, mais il attribue, à tort à mon avis, la faute à Davidson. À l’époque de l’écriture du texte de McGinn, Davidson ne s’en tenait pas qu’à la définition de l’attitude de tenir une phrase pour vraie comme une attitude intensionnelle, mais avait indiqué à plusieurs endroits, notamment dans « A Coherence Theory of Truth and Knowledge », texte auquel celui de McGinn se veut une réponse, qu’il identifiait l’attitude de tenir une phrase pour vraie à l’assentiment de Quine, qui est, comme on l’a vu, un comportement.
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[18]
Dans la discussion de l’attitude non individuative, je ne parlerai pas du prédicat relationnel tenu-pour-vraie entre un locuteur et une phrase, mais exclusivement de l’attitude non individuative comme d’une attitude mentale n’ayant pas de contenu propositionnel. Cela n’a pas de réelles incidences sur la discussion qui suit et contribue même à l’alléger : il sera toujours question d’une relation entre un locuteur et une phrase, mais le locuteur est considéré comme fixe lorsqu’il est question d’une attitude mentale.
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[19]
« Paul ne croit pas que l’eau est constituée de deux molécules d’hydrogène et d’une molécule d’oxygène » et « Paul ne croit pas que le sel existe » sont entendus dans le sens où Paul n’entretient aucune croyance à propos de ces choses.
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[20]
Je tiens à être clair sur ce point. L’attribution d’une attitude non individuative, comme celle de tenir pour vraie, nous contraint à spécifier l’objet auquel l’agent renvoie, mais il me semble que ceci ne revient aucunement à spécifier l’objet tel qu’il est présent à l’esprit de l’agent. Le holisme (à la Davidson) indique que la valeur sémantique d’une expression pour un locuteur dépend de son rôle dans les phrases exprimant le contenu des attitudes de ce locuteur, ce qui suggère que ce n’est que dans la mesure où on attribue un ensemble (large) d’attitudes à l’endroit de propositions que l’on peut effectivement attribuer un terme (ou la maîtrise d’un terme) à quelqu’un. La valeur sémantique du terme exprimant le contenu de l’attitude non individuative n’est pas attribuée au locuteur par l’attribution de cette attitude, l’exemple donné me semble convaincant.
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[21]
« Cette concession [l’attribution des attitudes non individuatives est indépendante de l’attribution d’autres attitudes et de l’interprétation des phrases] n’est évidemment pas très substantielle en elle-même, dans la mesure où les attitudes non individuatives n’ont pas de contenu propositionnel et où le holisme (au moins tel que compris ici) ne concerne que les entités pourvues de contenu » La phrase ainsi que le fait que toute attitude est pourvue de contenu suggèrent très fortement que, par « contenu », Laurier entend « contenu propositionnel ».
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[22]
Ce semble être une conséquence de la fameuse assertion de Davidson (Davidson, 1974) selon laquelle ce que l’on reconnaît comme interprétable est reconnu comme étant un comportement linguistique.
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[23]
Davidson n’utilise pas toujours « cause » pour parler de la relation prévalant entre la signification et les croyances, d’une part, et l’attitude de tenir une phrase pour vraie de l’autre. Le plus souvent il stipule que l’attitude de tenir une phrase pour vraie est le résultat, ou encore le produit, de la signification et des croyances. Dans « Toward a Unified Theory of Meaning and Action », on peut lire : « just as choosing a course of action is the result of belief and desire, so holding a sentence true is the result of meaning and belief ». Ici, tout porte à croire qu’il est question d’une relation causale entre la signification, la croyance et l’attitude non individuative étant donné le parallèle avec l’action, ce qui semble d’ailleurs se confirmer par la présence de « result ». Je traiterai de la relation causale fortement suggérée par ce parallèle dans le paragraphe suivant.
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[24]
Je présume que « s’enfoncer dans le cercle herméneutique » signifie la même chose que « rendre inaccessibles les données empiriques de l’interprétation radicale », ce qui ne permettrait plus l’interprétation.
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[25]
« Like any explanation of an act of speech, an explanation of why a speaker holds a sentence true on a particular occasion combines an interpretation or redescription of the words of the speaker with a portrait of his attitudes. »
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[26]
Il faut prendre garde, comme nous le fait remarquer Davidson dans « Belief and the Basis of Meaning » de ne pas considérer que ce genre de redescription est une rationalisation au même titre que l’explication d’une action est une rationalisation. L’interprétation ne nous dit pas pourquoi un locuteur mentionne telle chose au même titre que la rationalisation nous dit pourquoi un agent agit. L’interprétation nous dit pourquoi un locuteur affirme que p en donnant la signification de p relativement aux croyances de l’agent, ce qui ne nous indique pas les raisons pour lesquelles le locuteur affirme p (il pourrait plaisanter, indiquer quelque chose à autrui, etc.). Je ne veux pas m’attarder sur ce point, mais le désir est présent simplement parce que l’explication d’un comportement, selon Davidson, fait intervenir un désir (ou une autre pro-attitude comme une convention sociale, morale, etc.) et une croyance. Dire que le désir est ici celui de dire la vérité, c’est faire de la description de l’attitude de tenir une phrase pour vraie une interprétation de la phrase énoncée par le locuteur, au lieu d’une rationalisation de son action. Enfin, je désire mentionner que la rationalisation d’une action est un énoncé exprimant une relation causale entre l’acte d’un agent ainsi qu’une croyance et un désir.
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[27]
Il me semble évident que la phrase exprimant le contenu de l’attitude de connaissance, soit « p est vraie si et seulement si C », est la phrase-T à propos de p.
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[28]
« When an interpreter attributes a certain meaning to a speaker’s utterances, what he attributes is some knowledge to the speaker : the speaker knows that the utterance is true if and only if certain conditions obtain. »
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[29]
« Kurt holds “Es regnet” true at t because Kurt knows that an utterance of this sentence at t is true if and only if it is raining near the speaker at t and Kurt believes that it is raining near the speaker at t. » (Je souligne.)
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[30]
(McGinn, 1986) : « The method I have in mind is, like Quine’s, a two-stage method, in contrast to Davidson’s one-stage method: that is to say, the causal link from the environment to the subject’s belief-system will pass through an epistemic intermediary – stimulations for Quine, experiences for me. » (Je souligne.)
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[31]
McGinn est conscient du fait qu’il n’est aucunement question d’états expérientiels chez Quine, mais plutôt de stimulations sensorielles. Bien qu’il prétende adopter une stratégie quinienne pour l’interprétation de la langue du locuteur, il avoue que parler d’état expérientiel plutôt que de stimulation sensorielle n’a pas d’incidence réelle sur ce qu’il veut proposer.
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[32]
« What would be objectionable would be a dependence upon knowledge of belief and meaning in the ascription of experience, for then such ascriptions could not function as a basis for the interpreter’s knowledge of the subject’s propositional attitudes and language. » (L’auteur souligne.)
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[33]
« I will assume, with both Quine and Davidson, that we have access to information about assent or holding-true, and that we know what physical forces are impinging on the subject’s body and from what distal sources. » (Je souligne.)
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C’est, à tout le moins, ce que suggère : « In fact it is clear that it is precisely because of the presence of suitable perceptual experiences that the native assents at all : he assents to ‘gavagai’ when a rabbit goes by because he sees a rabbit. And we similarly find Davidson suggesting that a particular ascription of belief be made to the subject on the strength of the fact that his ‘vision is good and his line of sight favourable’: again, this serves as evidence for belief precisely because Davidson is assuming that the subject sees a certain state of affairs; without this assumption the suggested belief ascription would be unjustified » (McGinn, 1986, p. 365). La référence que Davidson fait à la vision du locuteur est interprétée par McGinn comme si cette vision était la seule chose sur laquelle l’interprète avait besoin de s’appuyer pour attribuer une croyance au locuteur. Dans cette citation, les termes épistémiques, notamment « évidence », sont utilisés pour qualifier l’attribution de croyance et non leur justification, laissant présumer que l’intermédiaire épistémique en est un d’attribution.
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