Comptes rendus

Kim Sang Ong-Van-Cung, Descartes et l’ambivalence de la création, Paris, Vrin, Coll. « Philologie et Mercure », 2000, 301 p. [Notice]

  • Syliane Charles

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  • Syliane Charles
    Université de Montréal

Voilà un bien étrange ouvrage. Même parvenu à son terme, on ne saurait dire si on en a réellement compris la thèse, et s’il est excellent ou très mauvais. Car après tout, on peut bien se remettre soi-même en cause comme lecteur ou lectrice : a-t-on toujours été attentif au détail de l’argumentation ? Si oui, c’est franchement qu’elle aura été fort peu claire. Si non, il faut convenir au moins du fait qu’elle n’aura pas toujours su susciter l’intérêt. Car les analyses, souvent intéressantes prises séparément, se succèdent sans lien logique apparent, ou sans lien assez explicite ; et si les introductions et fins de chapitres expliquent à quoi le chapitre a servi, elles laissent aussi avec la désagréable impression que l’on a manqué la démonstration qu’on était censé y trouver. L’objet principal de ce livre, qui constitue également la thèse de doctorat de l’auteure, est le rapport entre la création opérée par Dieu chez Descartes et la naissance de l’individualité moderne. K. S. Ong-Van-Cung prend pour hypothèse de travail l’idée que c’est la nouvelle ontologie impliquée dans la réunion de la causa sui divine et d’une création ex nihilo qui permet non seulement l’autonomisation de la création, mais aussi celle de la pensée chez l’homme, ce dernier devenant à son tour créateur au sens fort. Son propos s’attache par conséquent aux notions de liberté individuelle ou divine, puissance, création, causalité, pensée, nécessité, temps. Ce que l’auteure appelle l’« ambivalence de la création » correspond à cette conciliation paradoxale mais puissante réalisée par Descartes entre la création ex nihilo, donc l’invention pure et la rupture, et la nouvelle forme de causalité divine (la causa sui ), qui réunit la cause formelle et la cause efficiente, et implique à l’inverse une « dimension de continuité et d’immanence » (p. 158). L’un des problèmes est que cette hypothèse de travail est aussi la thèse même, et par conséquent que l’argumentation est circulaire, que les chapitres semblent ne tirer comme conclusion à chaque fois que celle qu’on veut leur faire tirer : l’auteure répète à de nombreuses reprises sa thèse, mais celle-ci semble toujours superposée aux analyses, plutôt qu’en découler. Et il est précisément difficile de suivre les analyses proposées, du fait de l’étendue qu’elles couvrent. On peut légitimement, en l’occurrence, admirer l’érudition de l’auteure, qui pour autant que j’aie pu en juger — n’étant pas experte en tout cependant — ne dit jamais de choses fausses sur les auteurs très nombreux qu’elle fait intervenir, et a même à plusieurs reprises des interprétations pénétrantes à proposer. Et ces auteurs, ils sont certes très divers : les Anciens (Platon, Aristote, Porphyre, Boèce, Plotin, Proclus...), les médiévaux de toute tradition (Averroès et Avicenne, Okham, Duns Scot, Thomas d’Aquin, Augustin, Suarez, Pierre D’Auriole, Anselme, Gibieuf, Lombard, Maïmonide...), les modernes (Descartes évidemment, mais aussi et surtout Spinoza et Leibniz, ainsi que, dans une moindre mesure, Mersenne, Arnauld, Malebranche), les « contemporains » (Husserl et Heidegger principalement). Mais à qui, précisément, ce livre s’adresse-t-il ? Je dirais : essentiellement aux médiévistes, à cause de la comparaison permanente qui est effectuée entre Descartes et ses plus proches prédécesseurs ; et un peu aussi aux spécialistes de la modernité. Par de nombreux aspects, ce livre fait penser au célèbre ouvrage de Gilson, Études sur le rôle de la pensée médiévale dans la formation du système cartésien, et il convient de préciser que l’auteure maîtrise de toute évidence parfaitement ses sources médiévales, elle qui a par ailleurs fait une traduction du De mente de Thomas d’Aquin. Mais précisément, le titre et le quart de couverture n’annoncent pas un …