Résumés
Mots-clés :
- Festival du Jamais Lu,
- lecture théâtralisée,
- dramaturgie contemporaine,
- didascalie
Du 12 au 16 décembre 2023 s’est tenue la douzième édition du Festival du Jamais Lu Québec. Dans ses diverses branches (Montréal, Québec, Paris, Caraïbes, Mobile), le Jamais Lu se veut une célébration de la dramaturgie francophone qui, par la mise en lecture, permet au public de découvrir des textes inédits. Chaque année depuis que je fréquente la branche de la ville de Québec, le festival offre une occasion unique de savourer le théâtre autrement, une bulle chaleureuse dans le froid de décembre qui s’installe. Cette édition a vu la direction artistique de Québec passer entre les mains de Marie-Ève Lussier-Gariépy, laquelle a choisi Convoquer l’invisible comme thème commun aux différents textes et activités de sa première programmation. Elle affirme pour expliquer ce choix que « ce qui constitue notre humanité échappe aux chiffres et aux décomptes, aux symptômes et aux sondages. Ce qui constitue notre humanité est ici, entre nous, tellement puissant et impénétrable à la fois » (Lussier-Gariépy, citée dans Théâtre Périscope, 2023). Si cette ligne directrice prend des accents existentiels, renvoyant aux questions intimes et profondes ou aux figures marginalisées que convoque la dramaturgie des artistes rassemblé·es, j’y perçois de mon côté l’occasion d’interroger ce qui relève de l’invisible dans la « lecture théâtralisée » (Gomez, 2021) comme forme particulière de représentation. Mon point de vue sur cette édition du festival est singulier : il est à la fois celui de la spectatrice des différentes activités et celui de l’autrice invitée dans le cadre de la soirée de clôture Préliminaires : une écriture de l’invisible. C’est donc cette double posture, un pied dans la réception, un pied dans la création, qui nourrit la réflexion que je propose autour de ce que le format d’un festival comme le Jamais Lu a le potentiel de révéler sur la manière dont le théâtre s’écrit, se lit, se dit et se reçoit. Pour le Jamais Lu Québec, le Théâtre Périscope transforme sa salle principale en cabaret. L’espace du public accueille une scénographie enveloppante – signée Marianne Lebel en 2023 –, alors que le plateau est plutôt dépouillé, occupé par quelques chaises et lutrins. Les interprètes, texte en main, y font vivre les différents univers des auteur·trices, intégralement ou par extraits selon l’activité. J’emprunte à Françoise Gomez l’expression « lecture théâtralisée » pour désigner ce format somme toute assez sobre; la chercheuse définit ce type de performance comme étant la lecture en scène de tout texte littéraire, avec cette précision que la source y est exhibée ou désignée et que « l’acteur et / ou le metteur en scène s’y présente comme le passeur d’un texte, le plus souvent imprimé » (ibid. : 140). La formule me paraît ainsi convenir davantage aux présentations proposées par le Jamais Lu que celle de « mise en lecture », qui s’applique plutôt au travail préalable à une représentation publique. Avec quelques mois de recul sur cette édition, je m’interroge sur ce que l’expérience de la lecture en scène, avec son dispositif théâtral minimal, propose d’unique, alors qu’elle n’est pas encore tout à fait une représentation ou une mise en scène, mais qu’elle offre tout de même un peu plus que l’acte de lecture en solitaire. D’où vient ce plaisir renouvelé – depuis les vingt-deux années d’existence du festival – de se réunir pour écouter des interprètes nous lire des textes destinés à la scène? Poser la question, c’est un peu y répondre. Le festival de Québec se tenant en décembre, à l’approche des Fêtes, j’ai toujours ressenti une certaine magie opérer dans la salle, alors qu’une grande partie du milieu théâtral se joint …
Parties annexes
Bibliographie
- BERNANOCE, Marie (2009), « Des indications scéniques à la “voix didascalie” : contours énonciatifs de la figure de l’auteur de théâtre contemporain », Coulisses, no 39, p. 31-42.
- BERNANOCE, Marie (2007), « Pour une typologie de la “voix didascalique” : redonner figure à l’auteur de théâtre contemporain », dans Florence Fix et Frédérique Toudoire-Surlapierre (dir.), La didascalie dans le théâtre du XXe siècle : regarder l’impossible, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, « Sociétés ».
- BLOUIN, Claudia et Léo DERIVIÈRE (2023), Retrouver le fil, texte inédit.
- GALLÈPE, Thierry (2007), « Le statut des didascalies : les jeux de l’entre-deux », dans Frédéric Calas et al. (dir.), Le texte didascalique à l’épreuve de la lecture et de la représentation, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, « Entrelacs », p. 23-38.
- GOMEZ, Françoise (2021), « Le retour des odéons ou la lecture théâtralisée comme performance », Symbolon, vol. 22, no 1, p. 139-160.
- HOWE, Nicholas (1992), « The Cultural Construction of Reading in Anglo-Saxon England », dans J. Boyarin (dir.), The Ethnography of Reading, Berkeley, University of California Press.
- INGOLD, Tim (2007), Lines: A Brief History, Londres, Routledge.
- LAILLOU SAVONA, Jeannette (1985), « La didascalie comme acte de parole », dans Josette Féral, Jeannette Laillou Savona et Edward A. Walker (dir.), Théâtralité, écriture et mise en scène, actes du colloque de Toronto du 13 au 15 novembre 1980, Montréal, Hurtubise, « Brèches », p. 231-245.
- MURRAY-TANGUAY, Jeanne (2022), « La lecture théâtrale : le cas de Trois, de Mani Soleymanlou », mémoire de maîtrise, Montréal, Université du Québec à Montréal.
- MUSSET, Alfred de (1833), Un spectacle dans un fauteuil, Paris, Eugène Renduel.
- SOLEYMANLOU, Mani (2014), Trois, Longueil, L’instant même, « L’instant scène ».
- THÉÂTRE PÉRISCOPE (2023), « Festival », theatreperiscope.qc.ca/spectacle/jamais-lu/
- TOUDOIRE-SURLAPIERRE, Frédérique (2007), « “Regarder l’impossible” : l’écriture didascalique dans le théâtre du XXe siècle », introduction à Florence Fix et Frédérique Toudoire-Surlapierre (dir.), La didascalie dans le théâtre du XXe siècle : regarder l’impossible, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, « Sociétés », p. 7-17.
- UBERSFELD, Anne (1996), Les termes clés de l’analyse du théâtre, Paris, Seuil, « Mémo ».
- VIGEANT, Louise (1997), « La double énonciation », Jeu, no 84, p. 29-31.
- WOŁOWSKI, Witold (2007), « Sur quelques formes de l’écriture didascalique », dans Florence Fix et Frédérique Toudoire-Surlapierre (dir.), La didascalie dans le théâtre du XXe siècle : regarder l’impossible, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, « Sociétés », p. 21-33.