Corps de l’article

Aunties House, dans le cadre de Her Body Will Remember. Kelowna Art Gallery, Kelowna, 2019.

Photographie de Kyle L. Poirier.

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La version originale de cet article, en anglais et interactive, est disponible sur le site de l’autrice : sqilxw.com/2021/05/03/responsability/

Mot de passe : Twine2023

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youtu.be/8DYxbv-oSe0

« The Look »

Le regard

Cet article est un T(ante / anti) (« AuNTIe ») essai féministe qui suit les méandres de ma conscience alors que j’appelle le personnel enseignant à adopter de meilleures façons d’être et de faire pour protéger les futur·es étudiant·es, dont l’expérience est menacée par des politiques intériorisées qui causent du tort tandis que le mot //éthique// est transformé en un torchon métaphorique dans une cuisine qui utilise trop d’eau de Javel. Le tissu se désagrège, ce qui signifie que les méthodologies ne fonctionnent plus. En revenant à l’« enseignement supérieur » en tant qu’étudiante adulte, j’ai l’impression de devoir faire un peu de ménage. J’utilise beaucoup de métaphores lorsque j’écris et je leur donne vie dans des formats visuels numériques tout au long de cette histoire interactive. Suivez les nombreux liens et réfléchissez quand on vous le demande. Lorsqu’une tantine autochtone vous regarde de travers, méfiez-vous. Il est certain que vous n’obtiendrez pas ce que vous souhaitez, mais vous entendrez assurément tout ce dont vous avez besoin.

Dans ce récit, j’aborderai la démoralisation qui se produit lorsqu’un·e étudiant·e autochtone est désigné·e en tant qu’enseignant·e d’une épistémologie pan-autochtone qui profite aux professeur·es blanc·hes privilégié·es et à la fragilité des autres étudiant·es. Cette tantine inclura des liens YouTube et des exercices sur le terrain pendant que je décortiquerai trois occurrences de la façon dont le contenu des cours est souvent traité et comment je suis affectée en tant qu’étudiante autochtone bipolaire. Je discute de ma compréhension du devoir de soins bienveillants (care) à travers la recherche de la Dre Dorothy Christian telle qu’elle est présentée dans Decolonizing Research: Indigenous Storywork as Methodology (2022) de Linda Tuhiwai Smith, de Jo-ann Archibald et al., comme la responsabilité personnelle, la prise de précautions pour prédire ce qui pourrait arriver aux autres lorsqu’elle est appliquée à la compréhension de la théorie de l’interprétation en tant que travail de cours. Si les questions d’arithmétique de la diversité, d’appropriation culturelle et d’insensibilité me causent des soucis, elles dévastent mes jeunes pairs, et je ne peux pas tolérer cela.

Note de l’autrice

Tout au long de ce récit, je créé de la poésie à partir d’un texte trouvé dans l’ouvrage d’Anthony Mattina, Colville-Okanagan Dictionary (1991). Ma fille Sienna l’a traduite, puisqu’elle est en troisième année d’études en langue n’syilxcen. J’ai choisi la poésie car, une fois écrite, elle ressemble à la façon dont Wendy Wickwire a édité la narration de Harry Robinson sur le plan de la vitesse et du tempo, comme on peut le voir dans Write It on Your Heart: The Epic World of an Okanagan Storyteller (1989).

Biographie

Mariel se consacre à la croissance des arts interdisciplinaires en tant que méthode permettant d’engager la communauté, la langue et la culture autochtones, et d’agir comme un pont vers la société en racontant des histoires de notre temps. En 2022, elle a obtenu une bourse d’études supérieures du Canada (doctorat) du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) et une bourse d’études supérieures de la Teyonkwayenawá:kon – Queen’s University. Elle a aussi remporté une bourse du CRSH dans le cadre de ses études de maîtrise à l’Université de la Colombie-Britannique en Okanagan (UBCO), une bourse autochtone de l’UBCO et une bourse de la Fraternité indienne canadienne. En 2018, elle a reçu le prix Outstanding Indigenous Graduate Student au colloque international de Qualitative Inquiry, qui s’est tenu à Champaign-Urbana, à l’Université de l’Illinois. De plus, Belanger a agi à titre de membre diplômée du conseil d’administration de l’Association canadienne de la recherche théâtrale (ACRT) pour deux mandats. En tant qu’artiste-chercheuse, Belanger s’intéresse à l’identité au prisme des savoirs autochtones, du droit coutumier, du féminisme autochtone et des théories de la performance. Elle explore la manière dont l’identité culturelle est reconstruite à travers l’histoire orale et la performance. Ses écrits se trouvent dans le chapitre « stəqpistns iʔ pqlqin / kihew omīkwan Eagle Feather » de New Directions for Theorizing in Qualitative Inquiry, dirigé par Norman K. Denzin et James Salvo chez Myers Education Press; « Experiencing Resonance as a Practice of Ritual Engagement », chapitre cosigné dans Research and Reconciliation, dirigé par Shawn Wilson, Andrea V. Breen et Lindsay DuPré; dans la revue Alt.Theatre : Cultural Diversity and the Stage, vol. 14.1 jusqu’à 14.3, en tant que commissaire invitée et écrivaine.

Belanger est membre fondatrice de Sqilxw Apna and Kama? Creative Aboriginal Arts Collective dans sa communauté d’origine, concevant, après avoir passé du temps à l’extérieur de la communauté, de l’art ancré dans le territoire et la culture comme mode d’éducation et d’engagement communautaire. En tant qu’enseignante en arts au Enowkin Centre, Belanger a facilité l’engagement communautaire pour les artistes et les arts de la performance autochtones dans le cadre du National Aboriginal Professional Artist Training Program (NAPAT) et du Summer Indigenous Arts Intensive à l’UBCO. Elle a voyagé au Chili, de Temuco à Socorama, pour présenter un protocole sqilxw de visite en territoire étranger et pour montrer comment la violence coloniale affecte encore le corps des femmes autochtones avec la performance Illegal: Let Us Live (2016), coécrite avec le regretté Dr Gregory Younging. Elle a contribué à des causes autochtones locales liées au territoire, telles que la replantation de plantes indigènes sur des terres rapatriées et la participation à la chorégraphie d’une danse interprétative dans une école de langue mapuche.

À ses débuts en tant que cinéaste, Belanger a réalisé deux films, qui ont remporté, au Cowichan International Film Festival, les prix du meilleur documentaire (Mothers Milk, 2008), de la cinéaste la plus prometteuse et de la meilleure actrice (Wayward Soul, 2007). En tant que membre du collectif Ullus, Belanger a créé des installations médiatiques pour les femmes de l’Okanagan (2012) avec Xixutem, une histoire de renaissance, et les projets artistiques utilisant des balises de géolocalisation A Song for Tigerlily et Picto Prophecy Reminders for the People. Récemment, Belanger, travaillant en solo, a été la principale créatrice du projet sn̓kłca̓ʔsqáx̌aʔ tkłmílxʷ – Horse Woman de Storyhive Telus.

Introduction coutumière

way̓ x̌ast sx̌lx̌ʕalt iskʷist cencen, nsisulaʔxʷ ki kn mut

Bonjour, je m’appelle cencen, je suis de nsisulaʔxʷ.

Du côté matrilinéaire de ma famille, la récolte des roseaux à Hawthorn Creek, jusqu’à la tête du lac Okanagan et autour du territoire, se fait sur le plateau du Columbia depuis des temps immémoriaux. En véritable voyageur, mon père a traversé le pays sur un coup de tête, il a rencontré ma mère sous un pommier dans la vallée du soleil... Je suis issue de ce beau commencement.

Introduction, deuxième partie

kʷ isckʔascúnəm.

Je suis venue vous dire.

kən captkʷl̓ímən.

Je suis une conteuse.

k̓wuk̓wyumaʔ cmystin tan nqilxwcən.

Je connais un peu la langue kanagan.

əl isck̓ʷul̓l̓, təl istaʔxʷspx̌páx̌t, lut swit kʷu t̓ə ck̓əɬxaʔtxtís.

Depuis que je suis née, depuis que j’ai acquis mes sens, personne ne peut se mettre devant moi.

Introduction, troisième partie

ixíʔ sƛ̓ax̌ts uɬ n̓yʕ̓ip t̓i ixíʔ lut t̓ə ck̓ak̓aʔlíʔst.

t̓i way̓ n̓yʕ̓ip cqacəlx, t̓i n̓yʕ̓ip sƛ̓ax̌ts.

Elle est partie rapidement et elle a gardé le rythme, elle n’a pas ralenti.

Elle est toujours en train de trotter, elle va toujours vite.

Chapitre premier

Une occasion mal placée

Dans la pratique de n’importe quel domaine d’études occidental, selon n’importe quel syllabus, un cours proposera quelque chose comme Une vue d’ensemble du domaine de __________ à partir de perspectives interdisciplinaires reliant __________, l’anthropologie, les études décoloniales et une autre méthodologie... sans identifier les origines de ces études, à moins qu’elles n’aient été circonscrites par des hommes blancs européens d’une certaine époque. Dans ce cas, les études décoloniales ont évolué à partir des études autochtones, comme nous le rappelle Margaret Kovach : « Les interruptions coloniales de la culture autochtone se poursuivent, et il n’y aucun moyen d’aborder les épistémologies tribales et les cadres de recherche autochtones sans tenir compte de ces relations[1] » (Kovach, 2009 : 76).

Dans un plan de cours qui m’a été remis, les mots « études autochtones » ont été effacés au profit du nombre de mots et remplacés par « études culturelles », un terme général couvrant toutes les cultures, y compris les cultures européennes, latino-américaines et afro-américaines. Dans ce cas, trois visions du monde distinctes ont été effacées, regroupées sous le mot « culture », alors que les disciplines blanches, à savoir l’anthropologie, la sociologie et les Performance Studies, ont été identifiées. Les mots sont importants, et il est important, pour un cours de méthodologie, de traiter de la manière dont ils sont utilisés pour effacer les personnes et le contexte du matériel à l’étude. Les mots ont aussi un pouvoir performatif.

Il est important de savoir quels mots sont utilisés et diffusés :

Il est important de considérer quelles matières sont utilisées pour penser d’autres matières; il est important de considérer quelles histoires sont racontées pour raconter d’autres histoires; il est important de considérer quels noeuds nouent des noeuds, quelles pensées pensent des pensées, quelles descriptions décrivent des descriptions, quels liens lient des liens. Il est important de considérer quelles histoires font des mondes; quels mondes font des histoires[2]

(Haraway, 2016 : 35).

Nous avons besoin d’une plus grande diversité ethnique, mais aussi d’une plus grande diversité neurodivergente. Un monde avec des perspectives bipolaires, avec maniaco-expression.

Le sang de l’Autre

La culture, étayée comme d’habitude par la foi, le droit et une révision de l’histoire, s’est avérée tout à fait capable de faire ce que la force principale ne pouvait pas faire, à savoir de permettre au colonisateur de pouvoir dormir la nuit ou de tendre la main à la table du dîner ou de la communion sans reculer devant la sensation d’avoir du sang de l’« Autre » sur ses mains. Au nom de la culture, le colonialisme accomplit son travail et donne à sa signification la dignité du devoir, de l’amélioration et de la marche exaltante du progrès[3]

(Battiste et Findlay, 2000 : x).

Page 2

L’avant-propos de l’ouvrage Reclaiming Indigenous Voice and Vision (2000), dirigé par Marie Battiste et L. M. Findlay, chercheur allochtone, souligne la nécessité pour les professeur·es blanc·hes de reconnaître les privilèges universitaires qui leur permettent de se faire les gardien·nes en matière d’excellence et de liberté lorsque leurs intérêts pour les savoirs et les peuples autochtones se manifestent :

Ces gardien·nes autoproclamé·es de l’« excellence » universitaire se sentent obligé·es d’exclure ou de déprécier la possibilité d’un savoir autochtone, d’une compréhension autochtone du pouvoir, de la responsabilité et du leadership. Ces gardien·nes, que l’on retrouve dans toutes les disciplines et dans les fonctions administratives, demeurent la clé de la marginalisation et de l’assimilation continues des étudiant·es et des universitaires autochtones. Pour elleux, penser autrement reviendrait à remettre en question la pensée elle-même. Cela reviendrait à considérer que la rationalité universitaire est en partie une construction euro-impériale, historiquement spécifique, et qu’elle n’est donc pas un universel neutre et « humain[4] »

(ibid. : xi).

Cellui qui monte un cours décidera d’avoir l’air « woke » en modifiant le plan original, centré sur les blanc·hes, pour refléter les perspectives autochtones. Iel parlera de « théorie décoloniale », mais ne fera rien pour honorer les savoirs autochtones : iel ne les envisagera pas comme de la théorie et ignorera leurs connaissances incarnées.

Page 3

Dans mon projet de doctorat, je résume le rapport « What Matters in Indigenous Education: Implementing a Vision Committed to Holism, Diversity and Engagement » (Toulouse, 2016) :

Dans son présent et son histoire, l’éducation canadienne est un outil de conformité qui efface les peuples autochtones du Canada en s’attaquant structurellement à leurs racines sociétales, déjà enlisées dans la marginalisation et la subjugation, et déclarées inutiles, nulles et non avenues. Même l’amélioration des modes de connaissance en tant qu’éducation pour les peuples autochtones n’a eu lieu que grâce à la résilience des communautés autochtones et des mouvements de justice sociale qui prônent l’inclusion et le changement[5]

(Belanger, projet doctoral).

Je paraphrase aussi cette citation : « Les modèles éducatifs occidentaux fondés sur des principes de logique, d’objectivité et d’autorité ne tiennent pas compte des approches des peuples autochtones en matière d’enseignement et d’apprentissage[6] » (Blanchet-Cohen, Geoffroy et Hoyos, 2018 : 19). J’articule ainsi le problème central, dans toutes les disciplines, qui conjugue le silence, l’acceptation, l’assimilation et l’effacement. En tant qu’étudiante autochtone, je suis chargée de déballer le canon occidental et de le réemballer d’une manière qui compte pour mon canon. Trop souvent, les pratiques éducatives marginalisent les expériences mixtes en les considérant comme biaisées et non savantes parce qu’elles ne proviennent pas de la recherche. Je m’identifie à Lila Abu-Lughod lorsqu’elle explore le sentiment d’accueillir l’intersectionnalité dans sa réalité vécue, bouleversant les frontières coloniales, et quand elle déclare qu’en introduisant « les thèmes ethnographiques, lae chercheureuse PANDC est divisé·e, pris·e à l’intersection des systèmes de différence[7] » (Abu-Lughod, 1991 : 467). Abu-Lughod présente trois questions critiques : « la position, le public et le pouvoir inhérent aux distinctions entre le soi et l’autre[8] » (ibid. : 468).

Page 4 : astuces issues du Thunderdome

Parfois, quand j’essaie de rendre une présentation la plus signifiante possible, j’oublie d’expliquer pourquoi je soulève certains éléments, comme cette fois où j’ai utilisé « We Don’t Need Another Hero » (1985) de Tina Turner pour exemplifier l’importance de ne pas mobiliser les savoirs autochtones comme façon de garder son emploi. Avec mes astuces issues du Thunderdome, j’ai relié l’imagerie du clip vidéo, ce que les premiers anthropologues ont rapporté avoir vu, et la manière dont la politique du sauvetage est entrée en jeu dans l’ethnographie. Il m’a été facile de mobiliser ce rapprochement pour présenter la matière et souligner les implications exactes de l’acceptation par rapport à la décolonisation du monde universitaire. Je me suis qualifiée d’antiuniversitaire ces derniers temps parce que j’en ai assez de lire les mêmes vieux documents qui recolonisent de nouveaux esprits pour franchir les mêmes portes de notre oppression collective, parce que le changement climatique est réel et que Mad Max (1979) a été écrit par un auteur informé par la science des années 1970, occultée pour assurer le profit de la culture d’entreprise.

Tous les enfants ont dit

All the children said

We don’t need another hero

youtu.be/Gcm-tOGiva0

Tina Turner, « We Don’t Need Another Hero » (1985)

Évitement de la charge de travail antiraciste

En tant que mémoire du futur, Mad Max met en évidence les prédictions et les anthropologies du futur, pensées dans un scénario apocalyptique qui a été réalisé à la fin d’une récession économique pour dépeindre l’avenir après des siècles de capitalisme et de canon occidental. Vous avez peut-être remarqué que Tina Turner avait les cheveux blonds et que le seul qui n’était pas chauve ou recouvert de peinture blanche était le héros marginal Mad Max... un homme du territoire tokenisé par un autre acteur blanc. Un homme blanc qui sauve l’humanité. Un mâle blanc et rustre qui tente de conserver son pouvoir de décider ce qui est le mieux pour toustes. C’est ce qui se passe en permanence dans les cours d’art dramatique et de performance ethnographique, et c’est un moyen par lequel le corps étudiant majoritairement blanc continue d’incarner le progrès des pratiques enseignantes. Ces incarnations de l’appropriation sont illustrées en temps réel sur le terrain de n’importe quelle université eurocentrique.

Note complémentaire 1

En toute honnêteté, je pense que le nouveau Mad Max : Fury Road (2015), avec Charlize Theron, est une meilleure représentation de la façon dont les colonisateurices futuristes dystopiques s’approprient l’histoire des Autochtones. Imaginez que nous sommes en 1600 et qu’un Français portant une couronne décide d’introduire le français dans la population autochtone... J’imagine que cela ressemblerait à « Wives » (2015) sur la chaîne YouTube de Warner Brothers.

Note complémentaire 2

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(Copiez et collez dans une nouvelle fenêtre pour voir un mème de la peinture American Progress, réalisée par John Gast en 1872, et sur laquelle on peut lire : « White professor heading to teach an Indigenous studies class ». Mème soumis par An_Old_Big_Tree.)

Pour être honnête, lorsque j’envisage mon expérience universitaire comme un marqueur dans une lithographie de l’histoire, je la prends, je la déplace à n’importe quel moment de la chronologie du Canada et je suis témoin de son système d’éducation : lorsque le gouvernement (la faculté) commence à sentir qu’il perd le contrôle de l’« Indien·ne autochtone » (l’étudiant·e), il engage des agent·es Indien·nes (des facilitateurices externes). Iels (les membres de l’administration) demandent à quelqu’un d’intervenir et de servir de médiateurice dans l’intérêt de la Couronne / université / organisme colonisateur. C’est la scène que je vois lorsque j’imagine la situation dans les universités d’Amérique du Nord.

C’est la raison pour laquelle tant d’Autochtones ne veulent pas faire d’études postsecondaires. C’est le même système d’exploitation. En toute honnêteté, c’est déprimant : les professeur·es non investi·es ne devraient pas essayer de mener des expériences en classe avec leurs étudiant·es noir·es, autochtones, LGBTQ et PANDC lorsque le rapport d’étudiant·es n’est pas égal. Par exemple, l’expérience en classe, dans n’importe quel cours de théâtre universitaire, donne à voir le rapport suivant : 1 / 16 d’Autochtones, 1 / 16 de Noir·es, 1 / 16 d’immigrant·es, 1 / 16 de personnes LGBTQ et 12 / 16 de Blanc·hes. Cela ressemble à une sorte d’expérience de chimie qui aurait mal tourné. Nous nourrirons les enfants, mais nous les obligerons à nous servir d’abord. Comme dans les pensionnats.

youtu.be/7GmX5stT9rU

« What Systemic Racism in Canada Looks Like » par CBC News, le 9 juillet 2020. Un portrait du racisme systémique au Canada.

Page 5

Revenons à Mad Max, l’histoire d’un homme blanc qui incarne le parcours éprouvé du héros et qui sauve la vision capitaliste du monde. Cependant, l’évolution du héros ne représente pas celle de tout le monde. C’est celle du progrès dans une réalité créée par l’homme. Pour certain·es d’entre nous, cela n’a pas de sens parce que le parcours du héros ne fait que reproduire les mêmes résultats, et c’est là la définition même de la folie, n’est-ce pas? Nous n’avons pas besoin de héros anthropologiques ou ethnographiques. Certain·es d’entre nous ont besoin de quatre ou cinq actes pour atteindre leurs objectifs parce qu’iels se faufilent à travers les fissures du capitalisme pour créer leurs propres chemins culturels vers la connaissance et l’être. Et si nous avons besoin de l’aide de toustes pour échapper à la crise climatique sans inonder le monde, nous avons besoin que les gens s’intéressent à l’établissement de véritables relations sur le territoire où iels vivent. Plus important encore, nous avons besoin de nos propres représentations autochtones. En particulier, les Autochtones noir·es, les Autochtones immigré·es et les Autochtones d’Amérique du Nord ont besoin que les gardien·nes colonisateurices occidentaux·ales leur donnent les clés de l’amphithéâtre, de la salle de classe et du théâtre afin qu’iels puissent y entrer à leur propre rythme, y parler à leur propre rythme et y incarner des pratiques circulaires, comme leurs ancêtres l’ont fait. Nous avons besoin de nos propres espaces pour parler et nous sentir en sécurité, pour déployer nos propres visions du monde sans que celles-ci soient distordues pour un article destiné à vanter nos connaissances et à les reconditionner en tant que méthodes. Qui étudie l’évitement de la décolonisation et du démantèlement du racisme antinoir dans les facultés et le manque de changements de celles-ci? Qui étudie l’effet de silo et le recoupe avec la pratique de l’isolement en prison? Pourquoi essaient-iels toujours d’externaliser les étudiant·es diplômé·es alors que nous devrions nous pencher sur notre propre fonctionnement interne et voir où se situent les problèmes? La société a besoin de freins et de contrepoids, et les universités en font partie.

Page 6

Il y a un paradoxe intéressant : dans le théâtre occidental, la technique de l’interprète doit être si bonne qu’elle lui permette de transmettre, avec un maximum d’artifices, le plus grand naturel possible sur scène. La mauvaise maîtrise de la technique et la surreprésentation des émotions elles-mêmes (« hamming ») nuisent toutes deux à l’illusion d’équilibre entre artifice et spontanéité, qui est à la base d’une représentation convaincante. Comme les gestes de la scène n’ont rien à voir avec ceux de la vie quotidienne, puisqu’ils doivent par nature assurer la communication sur des distances bien plus grandes que celles normalement utilisées dans la communication gestuelle, l’illusion du naturel n’est possible qu’avec des artifices soigneusement contrôlés. Dans la danse cannibale, il doit aussi y avoir cet équilibre. Lae danseureuse cannibale doit transmettre, par l’utilisation équilibrée du geste et de l’action, le sentiment qu’iel va détruire les personnes présentes dans la salle. Iel doit leur faire craindre pour elles-mêmes – n’est-ce pas là le but de tout drame – en trouvant un équilibre entre le mouvement humain naturel et le mouvement étranger[9]

(Turner, 1982 : 44).

Cette citation de Victor et Edith Turner était incluse dans une lecture recommandée pour un cours auquel j’ai participé et m’a laissée avec de nombreuses questions sans réponses sur l’intention de tels articles, encore utilisés en 2021 alors qu’ils sont de nature raciste. Le sentiment général qui se dégageait de la plupart des lectures dans ce cours était qu’il n’y avait pas de place pour le sacré, à moins que celui-ci ne protège la liberté universitaire des privilèges et de la proximité. Leur objectif était pourtant de faire le contraire. Dans ce cours, nous devions créer une performance numérique. La performance que nous avons réalisée était l’incarnation de ce à quoi ressemble le cadre universitaire occidental.

Il suffit de les copier, mais d’appeler cela de la recherche, d’enseigner qu’il s’agit de leurs propres découvertes en matière de méthodologie et de publier celles-ci en tant que contenu original.

Dans ma partie de la performance, j’ai donné vie à une histoire au moyen de gestes démontrant la façon dont les choses sont manipulées pour un public. J’ai créé une partition décrivant des actions censées être ressenties dans un autre lieu appelé Eat the Rich (2020), une cérémonie contemporaine pour me recentrer sur mon objectif, projeter une image de pouvoir sur un mur blanc et incarner les gestes de ma propre danse de guerre. J’ai utilisé ce que j’avais à ma disposition pour imiter les gestes de mes ancêtres afin d’incarner l’expression culturelle. J’ai laissé mon corps bouger librement, en pensant aux gestes sur lesquels j’avais lu, et mes yeux d’enfant de dix ans ont vu mes aînées Mary Louise Powers, Mary Paul et Mary Abel s’exécuter au rythme de leurs voix et de leurs tambours. Eat the Rich est ma danse de guerre, une danse constituée d’actions qui renforcent mon sang, qui génèrent de la chaleur, qui envoient des ondes d’énergie à mes intentions. C’est un moyen de rappeler au bout de mes doigts que mon corps est fait de la matière de mes grands-mères maternelles, connectées au plateau de Columbia, connectées au Big Bang, connectées à l’univers depuis des temps immémoriaux. Bouger avec l’intention de sentir le sang couler en moi, comme des photons explosant de lumière, générant « k̓ɬpax̌ » – une étincelle de pensée réveillant ma mémoire musculaire au moyen du savoir porté par l’ADN.

Eat the Rich : performance sur Zoom

youtu.be/PLNMrMfl-XU

Le 11 décembre 2020

William MacGregor a retenu des citations de l’article de Victor et Edith Turner dont la lecture était recommandée pour ce cours. Hillary Kaplan avait de nombreuses questions sans réponses concernant les lectures, et j’ai incarné, par la danse, la manière dont les choses sont manipulées pour un public. Notre performance est une authentique reconstitution autoethnographique de notre expérience collective basée sur les lectures du cours.

Iels ont mangé leurs émotions

n̓cuʔcuʔcís iʔ məlqnups.

ckʕ̓ʷəyncutəmstməlx.

cəm̓ n̓k̓əstmis, cəm̓ n̓q̓əltusəs, way̓ n̓ɬmilsənt.

ən siymscút.

lut t̓ə cmystim l̓ stim̓ sysyus, pna cmay ixíʔ akɬqʷən̓qʷən̓tán.

ixíʔ m̓áyaʔɬts iʔ cawts.

 

n̓k̓ʷəʔl̓səncut.

Il s’est moqué des aigles.

Elle s’est moquée d’eux.

Cela pourrait lui faire du mal, il pourrait tomber malade, respectez ses émotions.

Je ferai de mon mieux.

Nous ne savons pas comment se manifeste son intelligence, peut-être en souffrirez-vous.

Il a continué à raconter son histoire.

 

Elle a commencé à manger son émotion.

Note complémentaire 3

Mon interprétation, expression gestuelle d’une mémoire musculaire, se déployait en réaction sensible face à mon ombre telle qu’elle se mouvait sur des images projetées. Trouvée dans une rue de Toronto, la boîte de diapositives utilisées contenait des clichés du nord du plateau de Columbia, abandonnés par un photographe blanc en transit et rescapés par moi.

À cette époque, en 2002, comme l’indiquait la boîte de diapositives, j’étais aussi une jeune maniaco-expressive non diagnostiquée, c’est-à-dire une personne différente, mais pas « bipolaire ». Je rentrais chez moi en Ontario après avoir obtenu mon diplôme universitaire, après avoir accouché d’un jumeau mort-né et d’un jumeau prématuré en bonne santé à quarante-sept jours d’intervalle. Quelques années auparavant, en 1999, je me trouvais sur le fleuve Fraser avec le Native Youth Movement pour traquer le ministère des Pêches et des Océans alors qu’il coupait les filets de pêche des membres de la bande locale de Cheam. Nous protégions les droits du Peuple de la Rivière. Certains des gestes que j’ai recréés, les bagarres à la pagaie et les coups d’épaule, je les ai observés sur l’eau, cette nuit-là. À l’époque, au camp, on pouvait entendre « Riders on the Storm », un duo de Snoop Dog et des Doors, « One Thing » de Linkin Park et « No More Tears » d’Ozzy Ozborne. Dans le camp, derrière la ligne des tambours, c’était la musique qui nous faisait vibrer. Ce souvenir en appelle un autre : lorsque j’étais une enfant en plein apprentissage, ma grand-mère Mary Abel disait des choses comme : « Baisse la tête, lève les coudes et danse fort ». Il faut parfois réveiller les esprits pour savoir ce qu’il faut faire ensuite.

Page 7

Sentant les temps difficiles, j’avais besoin de danser. Les coudes en l’air, de marteler les fondations terrestres. Avec le martèlement des pieds, la tête en bas, les coudes en l’air, à partir du sol, de réveiller les esprits en leur disant que nous avions besoin de leur pouvoir. J’ai publié la performance originale sur Instagram, où je l’ai qualifiée de « performance ethnographique » et décrite ainsi : InterTribal sur des images récupérées de « Shuswap Lake 2002 », partie nord du plateau intérieur de la soi-disant Colombie-Britannique. Retrouvées abandonnées après un déménagement à Toronto... / Cela représente une période de ma vie où je me trouvais dans cette partie du territoire, vivant ma vie de Sqilxw, influencée par une musique comme celle-ci... / Les paroles signalent la façon dont je veux m’articuler. Parce que je ne peux pas physiquement être là, mon ombre veut danser avec le soleil sur le plateau; il s’agit d’une motivation pour faire ce dur travail, la tête baissée, les coudes levés. Les gens prêtent attention quand ils sont autour de vous.

Il est question de projeter l’ombre de nous-mêmes sur le territoire pour danser avec les ancêtres. Pour étendre notre protection sur celleux que nous aimons et qui nous suivront, pour travailler dur afin d’assurer l’avenir. Ma danse devant une projection de mon territoire exprimait mes intentions, rassemblait des éléments à l’intérieur de moi à l’aide de la mémoire du sang. Projeter nos intentions vers un endroit où les gens chassent, voyagent, font des raids, etc., pour insuffler des énergies fortes et fructueuses là où elles ont été imaginées.

Faire face à la colonialité, c’est pousser, tirer, mélanger et exister dans l’ombre. Avec cette performance en classe, j’ai activé la nature morte avec mon ombre à l’aide d’un projecteur de diapositives qui n’avait pas été sorti de la médiathèque de l’université depuis dix ans. L’empreinte de l’ombre sur l’image, incarnant les émotions, a juxtaposé le diaporama d’une journée de vacances parfaite à celui d’une plage abandonnée au profit de la nouvelle technologie. « Le colonialisme est un système de domination politique, économique et culturelle dans lequel une nation ou un peuple établit sa souveraineté sur un autre. La colonialité est ce qui perdure, longtemps après que les systèmes formels de domination coloniale ont disparu[10] » (Alonso Bejarano et al., 2019 : 22). Nous savons que le racisme systémique est perpétué par ses systèmes coloniaux ancrés dans le canon occidental, « et pourtant il y a une étrange réticence de la part des anthropologues les plus professionnel·les à considérer sérieusement la structure de pouvoir au sein de laquelle leur discipline a pris forme[11] » (Asad, 1973 : 15).

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Répéter les erreurs

Comme celleux qui m’ont précédée, je suis un « élément de la réforme indispensable de l’éducation qui appelle à abandonner le modèle déficitaire de l’éducation au profit d’un modèle autodéterminé par les éducateurices autochtones et qui comprend des stratégies pour des modes d’enseignement et d’apprentissage culturellement pertinents[12] » (Christian, 2017 : 17).

Ainsi, l’expérience typique d’un·e étudiant·e autochtone en classe commence avec un·e professeur·e plein·e de bonnes intentions qui voit l’occasion d’ouvrir la discussion parce qu’il y a une ou deux PANDC dans sa classe : une histoire de déjà-vu qui se répète dans n’importe quel cours théorique eurocentrique de niveau supérieur avec un programme similaire enseigné par un·e professeur·e d’origine coloniale ou européenne. Cela ne se termine jamais bien pour les PANDC, la plupart du temps parce que lae professeur·e ne sait pas à quoi s’attendre et n’a pas la capacité de gérer les réactions négatives face au racisme systémique. Et puisqu’iels sont payé·es par le système, la plupart choisissent de ne pas risquer leur gagne-pain. Des textes d’engagement éthique, racistes et alambiqués, sont souvent présentés et obligent les étudiant·es PANDC à supplier ou à se battre pour que leur humanité fondamentale soit respectée au sein des départements. J’ai vu des étudiant·es travailler dur pour créer un espace permettant aux autres de se sentir en sécurité grâce à leurs propres recherches, allant jusqu’à proposer des accords basés sur le respect mutuel. Ces contrats, bien pensés, sont dépréciés par les professeur·es concerné·es et balayés par le reste comme étant la responsabilité de quelqu’un d’autre, en dehors du champ d’application du problème immédiat. Cela a provoqué de nombreux problèmes. Une production étudiante PANDC s’est déjà tenue à ces mots, en tant que paragraphe d’ouverture d’un accord désormais public :

En reconnaissance de l’oppression et de la discrimination continue et historique des corps, des esprits et des âmes racisés et marginalisés (en particulier ceux qui se trouvent affectés de manière disproportionnée par le racisme et l’oppression), nous mettons de l’avant leurs expériences et leurs préoccupations dans cette démarche. En reconnaissance de la suprématie blanche et de l’eurocentrisme, éléments profonds et tacites du complexe industriel du théâtre, auquel participe le théâtre de York, cet accord met la communauté PANDC au premier plan. Grâce à cet accord, nous sommes radicaux·ales dans notre spécificité, dans l’espoir qu’en parlant de nos expériences individuelles, nous puissions façonner un collectif plus fort[13]

(Geller, 2020).

Note complémentaire 4

Un exemple concret

Par exemple, un collègue m’a confié que son université avait fait une exception en l’admettant à la maîtrise sans diplôme préalable. Je pense qu’il s’agit d’une pratique merveilleuse. Je me suis demandé pourquoi il n’y avait pas plus d’étudiant·es autochtones dans la cohorte, et on m’a répondu qu’il n’y avait pas de professionnel·les autochtones du théâtre à intégrer dans les cohortes de première année des programmes de cycles supérieurs. Il n’y en avait pas. Cette affirmation est fausse, bien sûr, et le manque d’étudiant·es est multidimensionnel. Tout d’abord, nombre de performeureuses autochtones professionnel·les auraient pu être admis·es si l’on avait reconnu leurs acquis expérientiels, alors pourquoi un homme blanc a-t-il été privilégié? Ne vous méprenez pas, j’adore mon collègue et la pratique est bonne, mais la façon de la mettre en application ne l’est pas. Pourquoi privilégier plus d’hommes blancs? Parce que le racisme systémique est protégé dans les institutions, d’abord par le recteur masculin blanc, et ensuite par le corps enseignant et le personnel féminins blancs. Le racisme systémique dans l’industrie éducative et économique actuelle reflète l’identité des colonisateurices blanc·hes en tant qu’élément central de la gouvernance institutionnelle. On le voit continuellement au niveau du gouvernement fédéral et, comme l’a dit au Parlement (Chambre des communes, 2018) le député Romeo Saganash, un législateur cree, les personnes au pouvoir n’ont rien à foutre des peuples autochtones, pas plus que les facultés qui choisissent, malgré les tentatives de construire une communauté PANDC, de donner des congés plutôt que de renvoyer leurs membres blanc·hes qui font preuve de racisme, et ce, parce que l’investissement dans les communautés noires et autochtones est un bonus, pas un mandat, et qu’il y a trop de blanc·hes à satisfaire.

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Je pense que les Autochtones devraient pouvoir aborder leurs recherches de la manière qu’iels jugent nécessaire, à l’endroit où c’est le plus nécessaire, en particulier les futurs metteur·es en scène de la maîtrise en Beaux-Arts, qui ont besoin d’affiner leurs compétences autochtones en matière de direction d’acteurices, n’importe quel·les acteurices, s’iels ont un protocole en place. Les doctorant·es autochtones devraient pouvoir suivre des cours en ligne avec la possibilité d’y assister en présentiel, en particulier si leurs recherches sont axées sur la communauté. Je crois fermement que les Autochtones devraient être prioritaires dans l’accès aux études supérieures afin de lutter contre le racisme flagrant et l’évitement de la charge de travail antiraciste lorsque la recherche autochtone est refusée en raison d’un manque de participation autochtone dû à la négligence de l’université. On s’accorde pour dire que rendre l’enseignement postsecondaire plus accessible est bénéfique pour toustes.

Page 10 : démoralisation de l’Autre

J’ai participé à un cours pour lequel la méthode d’engagement comprenait deux étudiant·es PDC dont une femme autochtone, moi. Une dynamique est créée entre des points de vue opposés lorsque les PANDC sont placées dans une situation de minorité dans le but d’avoir des conversations intéressantes avec des étudiant·es blanc·hes de la classe moyenne. Même si nous sommes deux dans la classe, nous sommes lésé·es en tant que détenteurices du savoir sur les expériences vécues. Souvent, les étudiant·es et les membres PANDC de la faculté sont utilisé·es parce que la bonne intention des professeur·es se traduit en éducation des personnes privilégiées aux dépens de la minorité PANDC, qui passe un trimestre à éduquer les autres tout en n’apprenant pratiquement rien pour elle-même. Et iels sont ensuite noté·es en fonction de cela. Il en résulte souvent de l’animosité et des blessures qui poussent les professeur·es à plaider l’ignorance des situations latentes. Il s’agit là d’un manquement au devoir de diligence que l’on attend d’un·e enseignant·e rémunéré·e. C’est aussi l’incarnation vivante de la façon dont la colonialité gouverne l’université et dont les effets résiduels de la colonisation sont reconditionnés en tant qu’éducation innovante. Je suis toujours un token, peu importe que l’on m’ait donné des couvertures, qu’on ait mis mon visage sur une pièce de monnaie, qu’on m’ait honorée d’une journée spéciale ou qu’on m’ait donné une bourse d’études. Ce sont des symboles de mon oppression. Je ne peux même pas en parler à qui que ce soit, car la vérité est choquante pour celleux qui se contentent de vivre dans cette réalité capitaliste.

Les jeunes Autochtones des villes ne font pas la queue pour aller au théâtre, au même titre que celleux qui proviennent des petites communautés rurales et des réserves. Pourquoi le feraient-iels? Le théâtre contemporain ne parle pas d’elleux. Et lorsqu’iels viennent étudier leurs propres pratiques performatives, les étudiant·es PANDC sont contraint·es de suivre une formation à l’éthique destinée à des étudiant·es blanc·hes privilégié·es et déconnecté·es. Selon l’Assemblée des Premières Nations, la jeunesse autochtone est le groupe démographique qui connaît la croissance la plus rapide. La population des Premières Nations a augmenté 3,5 fois plus vite que la population non autochtone en 2006, et pourtant l’université ne peut pas trouver assez d’étudiant·es autochtones au-delà d’un·e par an, par cohorte (avec un peu de chance). Si, au lieu de l’éviter, l’université prenait au sérieux la charge de travail liée à la lutte contre le racisme, les salles de classe ressembleraient à une majorité autochtone et à une minorité blanche, simplement parce que, dans l’industrie actuelle, il y a suffisamment d’acteurices blanc·hes. Il y a tellement de représentation blanche que je ne comprends pas comment l’institution peut me former à la recherche éthique tout en me maltraitant en classe et sur le terrain. Je ne veux pas m’associer à l’anthropologie ni à l’ethnographie parce que c’est toujours la même chose : l’éthique des blanc·hes servant une observation eurocentrée. Les étudiant·es sont encore formé·es à voir les gens comme des autres, les PANDC sont encore altérisées, et on leur dit ensuite : « en tant qu’autres, il faut faire attention à ne pas dénigrer le système tout en le supportant en classe ».

Note complémentaire 5

Avant de plonger plus loin dans mes sentiments, je veux vous amener dans ma tête. Voici les souvenirs qui combattent les canons occidentaux, qui me racontent que ce qu’ils propagent est faux et qu’il faut continuer à écrire le courant de conscience et la pratique incarnée : avec ces canaux, les ancêtres parlent à travers moi.

youtu.be/Y-LY-utSh6Y

Sqilxw: The End Remix 

Un premier film expérimental mettant en scène ma fille cadette, qui a fréquenté la première école de langues en immersion totale dans notre communauté, ainsi que la voix et les chansons de ma grand-mère Mary Abel, aujourd’hui décédée.

Page 11 : politiques de silence et marcher sur des oeufs

Je n’ai pas besoin d’être prudente, du moins pas pour les raisons que l’on me répète constamment au sein de cette institution. Les établissements d’enseignement, les industries des arts créatifs et leurs professionnel·les m’ont déjà piétinée, ce sont elleux qui doivent être prudent·es. Je n’ai rien à perdre. J’ai fait des efforts considérables pour être reconnue dans les industries d’arts créatifs depuis près de trente ans. Le tissu de la suprématie blanche et des privilèges se désagrège, ce qui signifie que les outils ne fonctionnent plus sans exposer les déficiences du système. J’en ai été témoin. Les outils sont brouillés par la politique identitaire et le consumérisme. J’utilise beaucoup de métaphores lorsque j’écris, parce qu’elles m’amènent à penser à une image précise, celle du blanchiment manifeste – et du nettoyage rapide effectué pour le masquer – qui se produit lorsque des professeur·es blanc·hes et des Country Born (blanc·hes qui ont un ancêtre commerçant de fourrure) ajoutent la recherche décoloniale et autochtone à une discipline centrée sur les blanc·hes pour mieux se légitimer en son sein. Pensons aussi aux révélations de plusieurs imposteurs chouchous dans les universités, dans les milieux de la littérature et du cinéma canadiens. Dites-moi leurs noms, parce qu’il y en a tellement que je ne peux pas faire confiance à quelqu’un qui me dit qu’iel est Métis·se sans me montrer un lien autochtone direct. Le fait d’être à moitié blanc·he ne fait pas de quelqu’un un·e Métis·se. S’accrocher à un·e ancêtre d’il y a dix générations est une pente glissante sur laquelle les gens doivent se ressaisir.

Os javellisés

n̓paʕʔíw̓s iʔ sc̓imsəlx.

sc̓lam.

lut skpax̌əmsəlx iʔ t swr̓isəlp̓ sc̓ik̓ʷəmsəlx.

uɬ kywywusəlx, uɬ kʷaʔ l̓ aʔ n̓k̓im̓, uɬ aɬíʔ put scʔx̌iɬ t c̓ik̓ʷəsxnəl̓x.

kən ksc̓íntaʔx.

lut aksmaʔcənmíst.

cʔkin ɬaʔ ck̓əɬc̓əkstixʷ l̓ scƛ̓ləlmix iʔ kstəm̓tim̓?

yayʕát way̓ km̓əntisəlx, way̓ kʷ k̓əɬc̓sap.

 

kən cacʕaypəm.

Leurs os sont javellisés.

Elle les met debout.

Iels n’avaient pas besoin de craquer des allumettes pour les allumer.

Et iels ont de bons yeux, dans l’obscurité comme dans la lumière.

Que pourrais-je dire?

Ne dérangez pas les gens avec vos paroles.

Combien demandez-vous pour les vêtements de personnes décédées?

Iels ont déjà tout pris, tu as raté ta chance.

 

J’ai pleuré.

Page 12

Je vais maintenant proposer un moment de réflexion. Laissez un peu d’espace entre les pages pour que vous puissiez réfléchir aux images évoquées ici. Pensez à tous les maux qui se perpétuent, nous le savons, aux dépens des étudiant·es autochtones, noir·es et immigré·es. Prenez une minute pour vous situer. Faites-vous partie du problème ou de la solution?

Page 13 : devoir de diligence

Dans la compréhension contemporaine de l’appartenance, du devoir de diligence et des modes d’être et de savoir autochtones, il faut d’abord respecter ces derniers et accepter qu’ils ne sont pas des outils à prendre, comme une entrevue ou une enquête, pour mesurer la performance, ni à utiliser pour revendiquer une appartenance ou une expertise.

[C’est] comme un champ de mines théorique, j’en suis consciente; je suis tout aussi attentive, alors que j’avance avec précaution dans les champs et les vallées des protocoles culturels des Secwewpemc et des Syilx, ainsi que des diverses nations autochtones intertribales avec lesquelles je travaille. Je ressens le poids de la responsabilité de me conduire d’une manière qui rendra ma famille, ma communauté et mes ancêtres fiers[14]

(Christian, 2017 : 71).

La culture autochtone s’inscrit en relation continue avec un lieu spécifique occupé par des peuples spécifiques ayant des modes d’existence et de connaissance spécifiques. Elle est générale sans être universelle. Saisir sa différence et l’enseigner pour la comprendre est un engagement éthique et respectueux. Performer la différence comme une expérience vécue à travers la pratique commerciale coloniale, que ce soit dans les milieux du cinéma, du théâtre, de l’université ou des arts est une autre chose. Il s’agit d’une expérience vécue, d’un mode de vie, d’un effort soutenu pour rester connecté·e, d’une compréhension d’une identité ancrée et d’une éthique qui consiste à saper l’intégrité de la colonisation en décolonisant les vies capitalistes passées sur le territoire et en rendant aux ancêtres ce qu’iels ont reçu sans contrepartie financière. Cette expérience ne s’incarne pas dans une lecture ou un échantillon d’ADN.

Christian déclare également :

Il est important de noter que ces « façons d’être et de savoir » ne se déploient pas dans des boîtes linéaires et bien organisées, mais qu’elles surviennent plutôt de manière organique, d’une façon que certain·es pourraient trouver chaotique. Dans la réalité vécue, elles se chevauchent de diverses manières et se produisent à divers niveaux d’engagement[15]

(ibid. : 78).

Pour comprendre l’épistémologie autochtone en tant que personne étrangère, il faut prendre beaucoup de temps pour se familiariser avec la nature concentrique de la conception autochtone du monde. Certain·es artistes vous diront qu’il faut au moins dix ans pour que quelqu’un vous fasse suffisamment confiance pour vous laisser entrer et porter son histoire. Une personne ayant moins d’un an d’expérience ne devrait jamais penser qu’elle a passé suffisamment de temps dans la communauté pour enseigner la méthodologie autochtone. C’est une erreur sur tous les plans.

Page 14

Cela étant dit, grâce à mon expérience universitaire, j’ai eu suffisamment de temps pour me rendre compte que le théâtre n’a pas fait d’efforts sérieux pour apporter des changements à sa discipline centrée sur les blanc·hes. Il est temps de réfléchir au but de ma présence ici, car j’ai l’impression qu’on me poignarde dans le dos quand j’essaie de rester et qu’on me vole mes connaissances, alors que je suis ici de mon plein gré et que je leur donne le couteau pour qu’iels me prennent tout ce que j’ai, en échange de quelques lettres. J’avais l’habitude de dire « c’est juste », iels se protègent, c’est seulement un travail, mais ce n’est pas juste et ce n’est pas suffisant parce que mon gagne-pain est menacé chaque fois que j’ouvre la bouche, en fonction de qui dirige la classe, de qui fait partie de l’équipe de production ou de qui est responsable des auditions. Non, Sally, tu ne suffis pas aujourd’hui, surtout si tu continues à faire ce que tu as toujours fait. L’art écologique et tout ce qui est basé sur le territoire sont des moyens autochtones cooptés par les blanc·hes qui font quelque chose de « nouveau » ou d’« innovateur ». Je risque d’être considérée comme une perturbatrice, ou de ne pas participer au programme et d’être étiquetée comme une mauvaise coéquipière. Est-ce que je veux poursuivre mon éducation dans cette discipline alors qu’il est clair qu’elle n’est pas capable de protéger ses étudiant·es PANDC parce qu’elle est trop occupée à protéger sa propre position identitaire? Dans son livre Elements of Indigenous Style: A Guide for Writing by and About Indigenous Peoples, Younging écrit :

Un point de vue commun à de nombreux peuples autochtones – ainsi qu’à plusieurs historien·nes et universitaires grand public – est que la littérature contemporaine représente mieux les peuples autochtones, mais qu’une part d’elle véhicule encore des stéréotypes subtils et inappropriés et des paradigmes universitaires erronés[16]

(Younging, 2018 : 11).

Younging poursuit en décrivant les littératures autochtones contemporaines comme étant plurielles, au même titre que celles d’Europe : les cultures allemande, française et anglaise sont singulières; les peuples autochtones d’Amérique du Nord ne sont pas pan-autochtones. La même idée s’applique aux anthropologies autochtones, que Younging semble considérer comme un aspect de la « Voix autochtone » plutôt que comme une entité distincte de pratiques d’identification. Younging déclare :

L’ensemble des connaissances scientifiques naturelles incluses dans la Voix autochtone contient également des paradigmes, des enseignements et des informations de grande valeur qui peuvent bénéficier à l’ensemble des nations de la famille mondiale. Comme l’ont compris certains secteurs de l’establishment scientifique et universitaire, les connaissances traditionnelles font partie intégrante de la survie de l’humanité[17]

(ibid. : 13).

Et Dorothy Christian ajoute qu’« un autre aspect de la pratique du récit dont parle Archibald est que la pédagogie autochtone fait appel à toutes les parties de notre humanité, c’est-à-dire le coeur, le corps, l’esprit et l’âme[18] » (Christian, 2017 : 67).

Façons d’être

nak̓ʷáʔ t ank̓əɬcutn̓, t̓əxʷ ixíʔ kʷ scksənxaʔcənmscút.

Tu n’as pas eu ta formation; tu te places toujours plus haut que l’autre.

Page 15

Nous avons besoin que ces anthropologies, ethnographies, théâtres et autres méthodologies autochtones plurielles se reflètent dans la composition du corps enseignant et de ses méthodes d’enseignement. Il ne s’agit pas d’ajouter de nouveaux titres à d’anciens schémas établis par des universitaires blanc·hes, mais de représenter et d’organiser l’ensemble du monde pour que les mots ne soient pas creux, parce que c’est important! La représentation est importante, la culture vécue en tant que schéma, créée pour interrompre ou perturber un modèle de pensée coloniale et néocoloniale, est importante. La représentation au sein du corps enseignant est importante, comme le montre clairement le fait que les conversations sur le racisme au sein des départements sont minimisées, causant l’évitement de la charge de travail liée à l’antiracisme.

En tant qu’Immigré·es, Noir·es et Autochtones en particulier, nous avons besoin de représentation dans toutes les formes de performance, y compris les méthodologies de performance autogérées, et l’éthique pour comprendre que ce n’est pas notre travail de décoloniser, nous sommes déjà mis·es au travail rien qu’en étant ici. J’ai honnêtement l’impression d’avoir besoin d’une liste de professionnel·les et de professeur·es racistes de chaque université pour savoir qui éviter dans mes études. Cela ne me rassure pas de savoir que certain·es choisissent activement de ne pas garantir des espaces plus sûrs, dépourvus de remarques racistes, de contenus sexistes, de violence, de pornographie traumatique, au point qu’un groupe entier de personnes ne se sente pas en sécurité. Cela aura des répercussions durables. Pour être honnête, j’espère un changement fondamental pour le mieux. La « réduction des dommages » est une bonne chose, mais ce n’est pas la solution. Nous devons arrêter le mal à la source, et cela commence souvent par la position et la localisation de soi par rapport au problème et par l’embauche de professeur·es autochtones décolonisé·es et ancré·es dans des modes d’être autochtones profonds pour aider à guérir les étudiant·es PANDC qui naviguent dans des cours dirigés par des colonisateurices.

Page 16

Il ne s’agit pas de faire pleuvoir des flèches sur le théâtre, l’ethnographie ou l’université pour les détruire. J’ai de l’espoir grâce à une anthropologue qui fait partie de ma vie depuis que je suis enfant. Tout au long de mes études supérieures, Wendy Wickwire a mis ses recherches et sa personne à ma disposition pour retrouver les connaissances archivées par ma grand-mère Mary Abel. Wendy ne m’apprend rien, mais me guide dans les archives pour que je puisse faire mes propres découvertes. Sans cette action collaborative de restitution, le savoir n’a pas l’occasion de s’exprimer comme le souhaite la source, qui aide à le restituer. Il est tout aussi important pour moi de maintenir ce lien que pour Wendy de rendre la pareille, tant qu’elle bénéficie de la recherche.

Je vous laisse donc avec cette dernière vidéo, présentant un enregistrement de ma grand-mère Mary Abel, réalisé par Wickwire, et je vous encourage à aller sur le territoire, à trouver une fleur et à lui chanter vos problèmes. Parlez-leur, ce sont de bonnes personnes. Elles vous aideront à retrouver le chemin de la vérité.

Fermeture

kən ƛ̓lap iʔ t iscəcaptíkʷɬ.

C’est là que j’ai arrêté de raconter mon histoire.

www.youtube.com/watch?v=-_-eQNGYIew

A Song for TigerLily

Une chanson pour stəx̌cín, TigerLily.

Description tirée de YouTube :

À la fin des années 1970 et au début des années 1980, ma grand-mère et d’autres aîné·es de l’OKIB (groupe autochtone de l’Okanagan) racontaient des histoires et chantaient des chansons à l’anthropologue Wendy Wickwire devant un petit magnétophone à cassettes. En parcourant les copies numérisées, je me rends compte que je ne me souviens pas de ces histoires, même si j’entends parfois ma jeune voix en arrière-plan. Grâce à ces CD, ma grand-mère continue d’enseigner à ma famille et à moi-même l’histoire de sa vie à l’époque du changement. Mary Abel est née en 1914 en Okanagan et y est décédée en 1992[19].