Corps de l’article

L’écoute (celle qu’on accorde ou non, celle qu’il faut développer et entretenir) est au coeur des récents dossiers thématiques recensés dans cette « Revue des revues ». Les numéros 187 et 188 de Jeu (« Québec : scènes capitales »; « Fragments d’un théâtre amateur ») nous invitent respectivement à prêter attention aux voix qui animent les scènes de la ville de Québec et du théâtre non professionnel de manière à reconnaître – si ce n’était pas déjà fait – leur apport inestimable dans l’écosystème artistique provincial, mais aussi international. La captation, la fabrication, la représentation et la réception du son s’inscrivent quant à elles au centre du huitième chantier de Thaêtre (« Dispositifs sonores »), où sont mis en relief les effets d’écho, de résonance et de dissonance à l’oeuvre dans nombre de performances et de spectacles contemporains. C’est enfin l’écoute, attentive et attentionnée, du plus-qu’humain végétal qui traverse les articles réunis dans le dernier numéro de Tangence (« Dramaturgies des plantes »); à l’heure de l’Anthropocène, elle apparaît tout à la fois délicate et urgente.

« Ville-théâtre »

Le titre du numéro 187 de Jeu, « Québec : scènes capitales », « n’est pas qu’un jeu de mots », signale Raymond Bertin dans son éditorial, réaffirmant, vingt-cinq ans après la parution du dossier « Le théâtre à Québec » (1998), le dynamisme important des scènes de la capitale. Créant et réfléchissant depuis celle-ci, les contributeur·trices rendent compte, « au-delà du lieu géographique », du foisonnement des pratiques en arts vivants, celles qui se déploient « dans les rues de la ville, dans les têtes des créateurs et créatrices, dans la société que nous habitons et construisons par nos actions », explique la codirectrice Josianne Desloges en introduction. Alain-Martin Richard amorce cette exploration en brossant un portrait des propositions in situ (cirque, danse, théâtre, opéra, manoeuvre, etc.) qui ont animé, d’hier à aujourd’hui, les parcs, escaliers et autres espaces de la ville; devant leur effervescence, Québec apparaît d’emblée comme une « scène permanente ». Sa vitalité est également manifeste dans les salles, tel qu’en témoignent les directeur·trices artistiques de théâtres ou de festivals Olivier Arteau (Le Trident), Gabrielle Ferron et Samuel Corbeil (Théâtre Périscope), Marie-Ève Lussier-Gariépy (Festival du Jamais Lu Québec) et Mélissa Merlo (Théâtre jeunesse Les Gros Becs), dont les propos ont été recueillis par Josianne Desloges dans l’article suivant. Récemment entré·es en poste, il·elles font part de leurs espoirs quant à l’avenir de leur milieu, qu’il·elles souhaitent polyvalent, inclusif et rassembleur. Julie Veillet s’intéresse quant à elle à l’impressionnant travail de Marie Gignac, dont elle propose une rétrospective : après vingt-cinq années de programmations où se sont entrelacés les désirs de faire connaître les théâtres internationaux et de mettre en valeur les oeuvres québécoises, l’actrice de formation a quitté ses fonctions à titre de directrice artistique du Carrefour international de théâtre à l’été 2023. Une autre « ruche au service de la création » est mise de l’avant dans l’entrevue qu’Émile Beauchemin, cofondateur de la Charpente des fauves, accorde à Ludovic Fouquet. Ce vaste lieu de conception et de diffusion soutient des activités de recherche-création variées – résidences, laboratoires, répétitions, soirées performatives, etc. – et semble offrir, à l’image de Québec, « un potentiel de pollinisation disciplinaire infini ». Plusieurs contributeur·trices du dossier unissent ensuite leurs efforts pour présenter dix compagnies et collectifs dont les membres sont souvent issu·es des programmes de formation en arts vivants de la capitale; leurs dernières productions s’affirment comme des « essaims » d’innovations. Après y avoir abordé les créations de la Trâlée et du collectif des Soeurs Amar, Émilie Rioux se concentre dans son propre article sur les compagnies qui interrogent l’identité et l’expression de genre en cherchant à brouiller les frontières, déconstruire les stéréotypes, favoriser la représentativité et renouveler les cadres de perception du public. Pour Arteau et le Théâtre Kata, par exemple, il s’agit de « donn[er] aux représentant·es de la diversité sexuelle et de genre une parole qui ne s’excuse pas d’exister ». Les deux derniers articles traitent de théâtres qui atteignent des moments clés de leur évolution : Isabelle Houde se penche sur le Diamant et expose, propos de l’équipe à l’appui, l’étonnant et efficace « programme d’infidélité » établi pour engager et nourrir la curiosité des foules; Sophie Pouliot, codirectrice du dossier, clôt celui-ci en remettant les Gros Becs au premier plan. La compagnie en était alors à ouvrir le chantier de sa Caserne – scène jeune public, qui sera tout entière vouée à l’accessibilité.

Les « plaisirs de se faire son propre théâtre »

Le numéro 188 de la même revue marque l’arrivée de Mario Cloutier, collaborateur de longue date, au poste de rédacteur en chef; à sa suite, soulignons le travail rigoureux de Raymond Bertin, qui a été à la barre de la revue au cours des six dernières années et qui précisait dans son dernier éditorial qu’il continuerait de s’impliquer à la rédaction. Promesse tenue : il codirige, avec Anne-Marie Cousineau, le dossier portant sur le théâtre amateur, présenté en introduction comme une « mosaïque à compléter » tant les pratiques non professionnelles (en théâtre, mais aussi en danse) sont vastes et appellent à un intérêt continu. Marc Thédrel établit d’abord un parallèle entre l’otium de la Grèce antique et celui des artistes de la scène amateur pour envisager celle-ci comme un « loisir sérieux », à même de favoriser, par exemple, le déploiement d’une attention tout à la fois dirigée vers soi et les autres. De son côté, Alexandre Gauthier trace les grandes lignes du développement du théâtre amateur québécois; les repères proposés, de même que la mise en lumière du manque d’intérêt critique et universitaire à l’égard des productions amateurs permettent de mesurer la pleine pertinence du numéro et de comprendre les ancrages historiques des scènes actuelles, abordées dans la contribution suivante. Après avoir assisté au seizième Gala des Arlequins organisé par la Fédération québécoise de théâtre amateur, Cousineau se livre à un « [p]ortrait impressionniste » de la pratique; comme Gauthier, elle soulève des enjeux liés au manque de visibilité, mais aussi de financement. La suite du numéro s’ouvre aux scènes hors-Québec. En se basant sur l’étude du Théâtre du Peuple (Bussang) et de l’association Art Dramatique Expression Culture – Maison du théâtre amateur (Rennes), Marion Denizot dresse une typologie des échanges, riches et complexes, qui peuvent se nouer entre les troupes amateurs et professionnelles en montrant qu’elles gagnent à être envisagées dans leur complémentarité et leur réciprocité plutôt que dans un esprit de concurrence. Au Japon, la scène amateur est tout aussi foisonnante qu’au Québec et en France et entre en lien étroit avec la communauté. Mikio Katayama présente trois productions auxquelles il a assisté, notamment une lecture du groupe Musubi dans le quartier Kamagasaki d’Osaka, connu pour sa pauvreté et sa proportion élevée d’aîné·es solitaires; les artistes, des hommes âgés, y présentent des pièces kamishibaï (« théâtre sur papier ») pour contrer l’isolement, créer un refuge et offrir une « consolation profonde ». Enzo Giacomazzi s’intéresse quant à lui au théâtre universitaire, et plus précisément à l’« aventure étudiante » contestataire à l’origine du Festival mondial de théâtre de Nancy, dont les éditions ont accueilli, à partir des années 1960, des spectacles internationaux (amateurs, puis professionnels) non traduits, assumant la « seule langue commune : celle du théâtre ». Deux festivals québécois sont à l’honneur dans le texte de Charleyne Bachraty, qui s’intéresse à l’activité parascolaire sous le prisme des Intercollégiaux de danse et de théâtre, très attendus par les étudiant·es. Au cégep – comme à l’extérieur de l’école –, le théâtre et la danse amateurs apparaissent comme de précieux espaces d’épanouissement personnel. Celui-ci est encore mis de l’avant dans la contribution de Dominique Denis, qui relate l’histoire de la troupe Les Treize, dont il a lui-même fait partie. Le groupe, « véritable institution dans la capitale », en est actuellement à sa soixante-quinzième saison. En clôture de dossier, Simon-Olivier Gagnon entreprend d’étudier la création documentaire collective Ils sont fous ces gouvernements! Une aventure de théâtre populaire (2013), portée par des non-professionnelles du Regroupement des femmes sans emploi du nord de Québec (ROSE du Nord). En racontant leur propre histoire, ces femmes cherchent à « partager des expériences de vie dans un contexte bienveillant » pour déconstruire les préjugés et effriter les systèmes d’oppression. Malgré les défis encourus, la passion, la bienveillance et la solidarité qui animent les troupes amateurs d’hier et d’aujourd’hui, déjà annoncées dans l’éditorial de Cloutier, deviennent tangibles à la lecture des articles qui composent le numéro. La relation privilégiée à même de s’établir avec le public – notamment celui des régions québécoises, qui a plus facilement accès au théâtre grâce à leurs initiatives – l’est tout autant.

« [P]luralités d’échos »

Les spectateur·trices et leur réception sont au coeur de nombreuses réflexions dépliées dans le huitième chantier de Thaêtre, dont les contributions « invitent à prendre la mesure d’un renouvellement des formes scéniques témoignant d’une pensée et d’une pratique multiple du sonore », pour reprendre les mots des codirectrices Marion Chénetier-Alev, Noémie Fargier et Élodie Hervier. En ouverture, Jade Préfontaine revient sur l’essai scénique Faire choeur queer (2022), réalisé dans le cadre de sa maîtrise en théâtre à l’Université du Québec à Montréal et cocréé avec des personnes s’identifiant comme queer ou LGBTQIA2S+. Iel souhaitait notamment explorer le déploiement de l’« écoute queer » et l’attention prêtée à la voix – la sienne, celle des autres, celle qui se projette ou qui se « cache ». En se basant sur sa propre expérience (2016-2020) en tant qu’élève de l’Atelier théâtral du Théâtre des Quartiers d’Ivry, Juliette Drigny se penche quant à elle sur l’incursion de l’enregistrement radiophonique en contexte pédagogique, observant qu’il « libère la parole » des participant·es et mobilise de façon singulière l’écoute des spectateur·trices. Karolina Svobodova s’intéresse pour sa part à la création et à la réception de Jukebox Ouagadougou (2021) de l’Encyclopédie de la parole (EdP). Ce projet, qui collecte des matériaux sonores dans diverses villes avant de les mettre en scène avec / pour leurs citoyen·nes, a permis aux Ouagalais·es de se reconnaître dans les documents prélevés à même leur quotidien. Dans un entretien accordé à Nathalie Coutelet, Julien Daillère décrit la « téléperformance », une « forme de théâtre d’appartement audioguidé par téléphone » qu’il a développée au début de la pandémie; à partir de ses indications vocales, ses interlocuteur·trices performaient pour de petits publics confinés – enfants, conjoint·es, colocataires, etc. Une autre entrevue, menée par Séverine Leroy, permet d’en apprendre davantage sur La trilogie des contes immoraux (pour Europe) (2021) de la Compagnie Non Nova – Phia Ménard grâce au point de vue de son concepteur sonore, Ivan Roussel, qui détaille les dispositifs de son écriture immersive « en prise avec le direct de l’action », susceptible de déjouer les attentes du public comme celles des artistes impliqué·es. Le compositeur Stéphane Marin propose ensuite un carnet de création dans lequel il présente son projet « )) archi_teXtures sonores (( » (2017-2021); à la croisée de la performance, de l’installation et de la marche d’écoute, ce « méta-dispositif » amenait à percevoir les sons des murs, plafonds, fenêtres et autres éléments architecturaux d’un bâtiment, de même que les présences et absences qui le traversaient. La suite est confiée à Zoé Mary Pieto, qui se tourne vers le théâtre de Philippe Quesne en examinant sa façon de donner à entendre l’« inframonde » des grottes et des cavernes dans Swamp Club (2013) et La nuit des taupes (2016); entre écoute acousmatique et « plongée en territoire inconnu », un décentrement s’opère à mesure que le public est amené à prêter attention au plus-qu’humain, de l’animal fouisseur à la roche. Ce phénomène se lit également dans l’article d’Alice Barbaza, qui s’intéresse au « monde du silence » océanique tel qu’il est acoustiquement porté à la scène dans trois spectacles incitant à « créer un rapport réflexif », écologique, avec le vivant et la matière. L’utilisation du casque d’écoute est abordée dans les deux articles suivants. En tournant son regard vers deux « mises en son » The Quiet Volume (2010); The Walks (2021) –, Sunga Kim y voit un outil apte à engendrer une « scénographie intérieure et intime » dans l’esprit de l’auditeur·trice. Dans une conversation avec Ioanna Solidaki, Alexandre Doublet, metteur en scène, dramaturge et comédien qui conçoit les paysages sonores de ses spectacles, envisage le casque silent party, notamment utilisé dans Retour à la cerisaie (2021), comme un gage d’isolement et de proximité, de liberté dans l’espace et de nuances – dans la voix et le souffle des interprètes, dans l’écoute réciproque qui s’établit entre eux·elles et l’auditoire. Les relations entre les êtres humains et plus-qu’humains reviennent à l’avant-plan dans l’article d’Éliane Beaufils, où les voix acousmatiques et les scénographies des installations-performances MASS : bloom explorations (2018) et Mitigation of Shock (2017) encouragent un « faire-avec », un « penser-avec » les plantes et les vers impliqués. La voix hors champ est également au centre du carnet de création d’Anaïs de Courson, qui partage le processus de création ayant mené à son spectacle Shakespeare’s Sisters (2021). Celui-ci donnait à entendre les « procès-verbaux » minutés du quotidien de quatorze femmes; entre présence et absence des voix et des corps, il s’agissait d’« amener le spectateur vers une écoute patiente et sensible » de ces matériaux. De son côté, Andrea Cohen esquisse un panorama de la radio performée, présentant quelques jalons historiques et des artistes contemporain·es qui s’emparent du genre; en conclusion, elle détaille l’une de ses « radio performance[s] », Pour la radio, créée en 2018 à l’occasion du Festival Longueur d’ondes de Brest. Là où l’écoute des auditeur·trices est omniprésente dans le dossier, Marion Boudier s’interroge : « qu’en est-il de [celle] des interprètes, de leurs sens de l’ouïe et de l’attention? » À partir des propos de comédien·nes de deux compagnies françaises, John Corporation et l’EdP, dont les créations se basent sur des enregistrements sonores non retranscrits, elle examine l’influence de ces documents sur les pratiques actorales, de la préparation solitaire aux représentations. En étudiant trois spectacles tous publics, Piletta ReMix (2016), Les aventures de Dolorès Wilson (2017) et Pister les créatures fabuleuses (2021), Juliette Meulle présente ensuite une typologie des bruitages théâtralisés; qu’ils soient « réalistes », « réalistes indiciels » ou « fantaisistes », ces dispositifs sont à même « d’initier le jeune public au plaisir de l’invention […] par la représentation de l’invisible ». Sébastien Schmitz prolonge ses réflexions en « ouvrant les portes du laboratoire » du collectif belge Wow!, dont il fait partie; il témoigne des choix esthétiques, dramaturgiques et techniques ayant mené aux pièces radio-scéniques Piletta ReMix et Beaux jeunes monstres (2023), deux adaptations d’écritures radiophoniques. Un dernier entretien, enregistré et partagé dans un format de quatre épisodes, vient clore le dossier. Les codirectrices de celui-ci discutent avec l’homme de radio, essayiste, performeur et enseignant français David Christoffel, dont les « hybridations radiophoniques », où s’entremêlent opéra, poésie, musique, théâtre et son, entrent fortement en écho avec les nombreuses pratiques transdisciplinaires à l’honneur dans ce riche chantier.

« [C]ontacts sensibles »

L’attention accordée au plus-qu’humain, étudiée dans quelques articles du dernier numéro de Thaêtre, est au premier plan du plus récent dossier de Tangence, piloté par Beaufils. Ancrant l’examen à l’heure d’un « tournant végétal », la chercheuse dresse, dans le liminaire, une « [c]artographie provisoire des performances anthropo-végétales ». Celle-ci s’offre comme un ensemble de repères non mutuellement exclusifs très utiles pour situer les écritures scéniques et textuelles examinées dans les études rassemblées. À partir d’une approche soma-esthétique, nourrie d’une composante autoethnographique et d’une pratique analytique créative, Catherine Cyr remonte le fil de ses réceptions, subjectives et incarnées, de la création circassienne ambulatoire Branché (2021) et de la performance-installation chorégraphique We Move Together or Not at All (2022). Sensible à la bioperformativé des êtres qui l’entourent, elle fait part des liens qu’elle a noués avec le plus-qu’humain – des végétaux, mais aussi des oiseaux – et du déplacement de ses pratiques attentionnelles à leur égard. Sa rencontre des arbres et des bosquets semble se prolonger dans les pas d’une autre marcheuse, cette fois dans un bois breton : Alix de Morant revient sur sa participation au cycle d’explorations dansées Devenir végétal de Marina Pirot, au cours duquel elle s’est rendue disponible aux forêts et paysages qui l’entouraient et la traversaient « dans cette toile commune qui nous retient comme toutes les autres espèces dans le jeu de ses mailles ». Son article fonctionne en diptyque avec le suivant, où Pirot fait part de sa démarche d’« artiste-maraîchère » en s’arrêtant sur le même atelier et sur des dispositifs rapprochant l’art et l’agriculture. À la croisée de la danse, de la performance et des pratiques (éco)somatiques, elle conçoit des expériences où les participant·es sont amené·es à interagir avec les végétaux (de la forêt, des champs cultivés, de la serre) et à se mettre à leur écoute. Pascale Weber interroge quant à elle les gestes de portage et d’adoption des végétaux tels qu’ils se déploient dans les recherches-créations menées avec son complice Jean Delsaux au sein du duo Hantu; celles-ci l’ont conduite à développer une relation entretissée de soin (care) où se dessinent des formes de sympoièse et de consentement. Chloé Déchery entreprend de décrire le processus de création ayant mené à son spectacle Bardane et moi (2022), pour lequel elle a construit une bardane « hybridée et robotisée » qui était à la fois son « binôme », sa « partenaire » et son « adresse ». Elle entre également en dialogue avec trois spectacles, Conversations déplacées (2017), Estado vegetal (2017) et La sexualité des orchidées (2018), proposant une typologie des modes d’apparition des végétaux dans la boîte noire du théâtre. Après avoir tourné son regard vers quelques représentations in situ, Flore Garcin-Marrou prolonge le questionnement au sujet de la présence de la plante sur le plateau, interrogeant son agentivité dans ce contexte et les façons par lesquelles elle peut devenir, au-delà d’un simple élément de décor, véritable « partenaire de jeu ». À ses yeux – comme à ceux des autres collaboratrices du dossier –, « [i]l s’agit de ne plus placer l’humain au centre de la narration dramatique mais de développer des dramaturgies alternatives, collaboratives ou participatives, facilitatrices de dialogues inter-espèces ». En s’appuyant sur des oeuvres participatives in situ encourageant la proximité et la familiarité, Beaufils s’intéresse encore à la notion de « faire-avec » le plus-qu’humain, en l’envisageant cette fois comme un « faire équipe », une coopération active au cours de laquelle entrent en jeu les sens et les savoirs de toutes les parties impliquées. En « aiguis[a]nt la conscience des interdépendances et celle de la responsabilité spectatorielle », les dispositifs à l’étude, faisant déjà « équipe » avec les plantes, sont à même de susciter le désir de s’engager et de passer à l’action, de créer de nouvelles alliances. Au terme du dossier, Bojana Kunst remet l’accent sur la proximité avec les végétaux que peut engendrer la performance. En se basant sur la pensée de Robin Wall Kimmerer (Potéouatami) dans son ouvrage Braiding Sweetgrass: Indigenous Wisdom, Scientific Knowledge and the Teachings of Plants (2013) et en observant la performance Os Serrenhos do Caldeirão, exercícios em antropologia ficcional (2012) de l’artiste portugaise Vera Mantero – deux espaces où la plante n’est pas considérée en tant qu’instrument, comme c’est trop souvent le cas dans la pensée occidentale –, elle souligne combien ce rapprochement demande un « ajustement sensuel, temporel et intime » pour qui souhaite, à l’intérieur comme à l’extérieur des salles, « apprendre le chant des plantes ».